En France Caitlyn Jenner s'appellerait encore Bruce Jenner

C’est en douceur, mais pas en douce, que Caitlyn Jenner a préparé la presse américaine à sa transition. Le 24 avril dernier, elle accordait à la journaliste Diane Sawyer de la chaîne ABC un entretien sous son nom de baptême – Bruce Jenner – où elle évoquait la lente conquête de son identité de femme. Le 9 juin prochain, elle fera la couverture du Vanity Fair américain dans le corps et les vêtements en accord avec ce qu’elle s’est toujours sentie être, au mépris du sexe biologique que la nature lui a donné. « Je serai libre dès que Vanity Fair sortira dans les kiosques », lit-on sur le site du mensuel.

Aussitôt, Valerie Jarrett, l’une des plus proches et des plus anciennes conseillères du président Barack Obama, a salué par un tweet la démarche de Caitlyn Jenner : « Le choix courageux de vivre votre identité est un exemple fort pour beaucoup. » Plus qu’un exemple, un modèle, qui fait de Caitlyn Jenner le porte-drapeau de toutes les vies transgenres et transexuelles, anonymes et cachées. C’est à ce titre d’ailleurs que l’ancienne championne olympique devrait recevoir bientôt le prix Arthur Ashe décerné par la chaîne sportive américaine ESPN, prix qui honore les sportifs-ves dont l’aura excède les frontières du monde du sport.

Les images de papier glacé glamour, saisies par l’œil bienveillant d’Annie Leibovitz, ne doivent pas occulter le côté souvent glaçant de la réalité : jamais les transidentités n’ont été si visibles et pourtant les droits des transgenres et des transsexuels-les avancent avec peine. L’image la plus vraie sans doute, c’est celle de la bannière du compte twitter de Caitlyn Jenner, qui a enregistré en quatre heures un million de followers : un arc-en-ciel à moitié noyé dans les nuages, laissant à l’ombre une partie de la vallée.

Aux Etats-Unis, on peut obtenir un certificat de naissance en accord avec le genre auquel on se sent appartenir dans 29 Etats. Mais seulement 18 des 50 Etats ont adopté des lois interdisant les discriminations au travail et à l’école. Dans les autres Etats, on peut encore licencier un salarié si il-elle est gay, lesbienne, transgenre ou transsexuel-le. Seuls 5 Etats obligent les assureurs à couvrir les traitements et les interventions chirurgicales liées à une transition. Disparités et inégalités de traitement demeurent, qui marginalisent au sein de la société mais aussi au sein de leur propre famille les personnes transgenres et transsexuelles dans des pays se revendiquant pourtant des droits humains. Pour mémoire, n’oublions pas Leelah Alcorn, née fille dans un corps de garçon, et qui s’est jetée une nuit sous un camion, ne pouvant plus supporter d’être niée et rejetée par ses parents.

Et en France, qu’en est-il ? Dans ce pays où des députés sifflent les robes de Cécile Duflot et où Gérard Depardieu fait la couv du Vanity Fair du mois de juin, il reste beaucoup à faire.

Selon le Refuge, qui a dédié la troisième édition de sa Semaine nationale à la lutte contre la transphobie, 85% des trans sont victimes de transphobie, 64% d’entre eux à l’occasion de soins médicaux. Mais seulement 3% d’entre eux/elles portent plainte, par peur de vivre encore pire la porte du commissariat passée. Le Rapport annuel sur l’homophobie, paru en mai dernier, évoque un délit de faciès quotidien : «  Que ce soit dans les transports ou dans la rue, il ne fait pas bon assumer sa transidentité ni même son androgynie : regards insistants, commentaires désobligeants lancés d’une voix audible, insultes homophobes et transphobes mélangées, agressions verbales et physiques… A la violence des propos ou des actes se rajoute souvent l’absence de réactions des témoins éventuels-les. »

En France, en 2015, toute démarche administrative est encore une épreuve pour les transgenres et les transsexuels-les dès qu’il s’agit de demander des modifications d’état civil : pour l’heure, les personnes trans qui ne veulent ou ne peuvent pas se faire opérer doivent conserver leurs papiers d’identités de naissance, c’est-à-dire les papiers d’identité de cet/cette autre qu’ils/elles n’ont jamais été.

En France, Caitlyn Jenner s’appellerait encore Bruce.