Corruption: l'affaire qui fait trembler les maires d’Île de France

 

C’est peut-être l’un des plus vastes réseaux de corruption  découvert par la police ces dernières années. Une demi-douzaine de maires sont soupçonnés d’avoir été corrompus par l’un des plus grands promoteurs immobiliers de la région, France Pierre. Pour construire plus facilement, son patron  leur aurait offert de nombreux avantages.

L’Oeil du 20h vous raconte ce qui pourrait être un système de corruption généralisé.

Au coeur de l’affaire, le PDG de France Pierre, Antonio de Sousa…  Son entreprise construit chaque année des dizaines de résidences comme celle-ci en banlieue parisienne.

Antonio de Sousa investit une partie de sa fortune dans sa passion, les chevaux de course. Aujourd’hui, Antonio de Souza est mis en examen pour corruption active, abus de biens sociaux et trafic d’influence.  Les enquêteurs ont interrogé plusieurs de ses sous-traitants. Ils ont révélé ce qu’ils nomment la “méthode de Sousa”... D’abord, travailler avec des architectes qui ont la faveur des maires.

“Quand je dis que ces architectes étaient proches des mairies, je veux dire qu’ils facilitaient à Antonio de Sousa l’acquisition de terrains au départ non constructibles qui, après, devenaient constructibles. Les mairies modifiaient les plans locaux d’urbanisme pour que France Pierre puissent y faire un programme.”  

Un terrain en Corse

Des plans locaux d’urbanisme modifiés, nous en avons trouvé à Ozoir la Ferrière, en Seine et Marne. France Pierre a construit ici plus de 500 logements en 10 ans … Sa prochaine construction sera sans doute là, sur ce terrain couvert de ronces. Un projet dénoncé par Dominique Lebreton, opposant au maire d’Ozoir. Pour lui, l’intérêt de la ville a été sacrifié.

“Le terrain que la commune aurait pu acheter pour 50 000 euros, c’est celui-là…”

Cette parcelle est située en plein centre-ville. En 2006, France Pierre l’achète  pour une bouchée de pain, 50 000 euros, car elle est inconstructible. Le maire ne préempte pas le terrain. 6 ans plus tard, il le rend constructible. Le prix au mètre carré explose.

“Le terrain constructible ici vaut 700 euros du m2, il y a 15000 m2, ça fait plus de 11 millions”

Selon Dominique Lebreton, un manque à gagner d’environ 11 millions d’euros pour la commune. Il affirme que l’entreprise France Pierre aurait été avantagée. Et ce à plusieurs reprises.

“J’ai très vite compris que le maire ne défendait pas les intérêts des ozoiriens. Dans quel intérêt est-ce qu’il a agi ? pour que ce promoteur puisse faire des affaires encore plus facilement”.

Ces avantages présumés auraient-ils fait l’objet de contreparties ? C’est ce que les juges soupçonnent. Ils ont mis Jean-François ONETO, le maire d’Ozoir-la-Ferrière, en examen pour corruption passive. Ils le suspectent d’avoir reçu, du promoteur immobilier, un virement de 500 000 euros pour s’acheter un terrain en Corse, dans le village réputé de Lumio. Une somme que le promoteur Antonio de Sousa aurait d’abord versé sur le compte d’un de ses sous-traitants. Ce dernier le révèle aux enquêteurs.

“De Sousa m’avait indiqué à l’époque que ce virement était destiné à monsieur le maire d’Ozoir, Jean-François Oneto, pour acheter une maison en Corse” 

Le virement le voici. 2 grosses sommes, versées par France Pierre, attérissent sur le compte bancaire du sous-traitant. Le même jour, 531 450 euros ressortent, à destination de la SCP Grasset, une étude notariale. Le but : l’achat d’un terrain en Corse par une société  immobilière détenue par Jean-François Oneto et sa femme. Devant les enquêteurs, le maire conteste. Il affirme que ces 500 000 euros étaient un prêt, dont le remboursement ne lui aurait pas été réclamé. Nous l’avons sollicité. Aucune réponse.

Quant au promoteur immobilier, la justice le soupçonne d’utiliser ces méthodes dans d’autres villes d’Ile de France.

Des travaux pour la maison du maire

A l’est de Paris, Saint Thibault des Vignes. Ici aussi France Pierre a construit. La justice suspecte le maire Sinclair Vouriot d’avoir touché des contreparties de la part du promoteur.  Nous avons rendez-vous avec un homme qui souhaite garder l’anonymat. Il est proche du maire de la ville. Voici ce qu’il affirme :

“Le maire est très angoissé. Il a reconnu qu’il avait mis le doigt dans le pot de confiture. Il le reconnaît en privé ? Oui, bien sûr.”

Sinclair Vouriot est soupçonné d’avoir agrandi sa maison sans payer les travaux. C’est un sous-traitant du promoteur qui l’explique aux enquêteurs.

“C’est monsieur de Sousa qui m’a demandé de faire ces travaux contre la promesse que j’allais avoir le gros œuvre du programme de Saint Thibault des Vignes. Je ne pense pas que le maire ait payé ces travaux.”

De ces travaux, il reste deux factures. L’une porte la mention  : “maison du maire de Saint Thibault des Vignes”. 34 000 euros, pour des aménagements intérieurs. La seconde, 96 000 euros, pour le gros oeuvre. Pour l’heure, les enquêteurs n’ont pas trouvé trace du paiement de ces travaux par le maire. Sinclair Vouriot n’est pas mis en examen. Son avocat affirme qu’il est innocent et qu’il fournira les pièces prouvant le règlement des travaux.

Cette affaire de corruption présumée n’en est sans doute qu’à ses débuts. Les enquêteurs s’intéressent aux 19 communes où le promoteur a construit. D’autres maires pourraient bientôt être mis en examen.

Quant à Antonio de Sousa, devant les juges, il conteste toutes les accusations et met en cause ses sous-traitants. Il n’a pas souhaité répondre à nos questions.

 

Publié par L’Œil du 20 heures / Catégories : Non classé