Vincent et Bruno : un mariage (presque) comme les autres

(GERARD JULIEN / AFP)

"C'est un grand honneur pour moi de vous dire que vous êtes unis par le mariage au nom de la loi." Cette phrase, que tant de maires ont déjà prononcé, a revêtu un caractère historique en cet fin d'après-midi du mercredi 29 mai à Montpellier. Pour la première fois en France, deux hommes se sont mariés, Vincent Autin et Bruno Boileau se sont dits "oui". L'épilogue d'une célébration hors-norme par bien des aspects. Un mariage tout à fait classique, sous d'autres aspects.

Il est 15h30 quand les journalistes accrédités pour la cérémonie doivent pénétrer dans l'immense salle des rencontres de l'hôtel de ville de Montpellier, la salle des mariages étant trop exigüe pour la foule attendue. Il faut montrer patte blanche pour pénétrer à l'intérieur de ce bâtiment moderne, énorme carré, bleu et noir. Les 200 journalistes rentrent au compte goutte, fouille au corps, ouverture des sacs et passage au détecteur de métaux. La sécurité est sur les dents, elle redoute un "coup" des anti-mariage pour tous. L'ambiance est moins tendue dans la salle où sera célébré le mariage, mais légèrement surréaliste. Deux cent journalistes prennent possession des lieux, photographient la table où seront signés les actes d'état civil, font des directs en russe, en chinois, en anglais pour leur chaîne de télévision... "C'est too much, on se croirait à Disneyland", s'exclame un confrère.

"Tu verrais, il y a 100 journalistes devant moi !"

Une fois que tous les journalistes sont en place, la municipalité fait rentrer, avec les mêmes précautions de sécurité, les invités de Vincent et Bruno. Familles, amis, et officiels (élus, associatifs)... découvrent leurs places dans la salle grâce à des étiquettes collées sur les chaises. Sous son grand chapeau bleu nuit, la mère de Vincent crée une cohue entre les journalistes qui veulent tous parler à la mère du futur marié. Réservée, elle refuse de donner des interviews, se contentant de préciser, qu'elle est "très heureuse". "Je n'en peux plus, tellement je suis heureuse", dit-elle radieuse. En attendant les mariés, la foule de journalistes présents joue au chat et à la souris avec les invités, tentant de décrocher une interview avec des proches des futurs mariés. Le téléphone de la mère de Bruno sonne, les caméras se précipitent pour filmer, elle éclate de rire : "Tu verrais, il y a 100 journalistes devant moi !", dit-elle à son interlocuteur.

Certains amis du couple "hallucinent" devant un tel dispositif de sécurité et face à tant de journalistes, d'autres font abstraction. Adeline, la soeur de Bruno, qui est aussi témoin du mariage, fait la part des choses. "A titre personnel, c'est une journée de fête, j'accompagne mon frère dans la réalisation de son bonheur. Et pour la France, c'est l'histoire qui se joue. Mais, ce qui me concerne, c'est l'intime", confie Adeline, 35 ans. La jeune femme a d'ailleurs hâte de "fêter ça en privé", assurant que tout est prévue pour la fête qui doit avoir lieu le soir même dans un endroit tenu secret. Hervé, 67 ans, est un ami du couple. Il est ému aux larmes quand on lui demande ce qu'il ressent à quelques minutes du mariage : "J'ai vécu 33 ans avec mon compagnon. Aujourd'hui, il n'est plus là. Alors, en ce jour heureux, je pense à lui."

"Vous allez nous faire vivre un moment historique"

Peu avant 17h30, le personnel de la mairie siffle la fin de la récréation pour les médias. Tout le monde doit regagner sa place. La ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem fait son entrée, sous les applaudissements. Souriante et détendue, elle salue les familles des futurs mariés. Puis c'est au tour de la maire socialiste de Montpellier, Hélène Mandroux, accompagnée des témoins. L'ambiance est tout d'un coup plus solennelle, le brouhaha a disparu. Les mariés font alors leur entrée jazzy sur Love, de Nat King Cole. Ils arrivent main dans la main, tous les deux en smoking, noeud papillon pour Bruno et cravate pour Vincent.

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Hélène Mandroux commence alors son discours. "Ce jour vous l'avez, nous l'avons rêvé et aujourd'hui ce rêve est devenu une réalité. Vous allez nous faire vivre un moment historique", dit-elle avant de saluer la promesse tenue de François Hollande. Un discours d'une dizaine de minutes, émaillé, comme dans tous les mariages par des pleurs de bébés et des sonneries intempestives de téléphone portable. Puis, la maire de Montpellier lance : "Levez-vous". L'élue lit alors les articles du code civil énonçant les droits et les devoirs des époux. "Monsieur Bruno Boileau, consentez-vous à prendre pour époux Monsieur Vincent Autin", demande Héléne Mandroux, avant de retourner la question à Vincent. Il est 18 heures précises. Deux petits "oui" fusent dans la salle, les voix sont nouées. Vincent et Bruno sont désormais "unis par le mariage au nom de la loi". Love and marriage de Franck Sinatra résonne alors que les invités applaudissent à tout rompre.

"Le vrai symbole, c'est cette solidarité"

L'adjointe au maire chargée de lire l'acte d'état civil fond en larmes. Les micros laissent entendre : "Vous n'auriez pas un mouchoir en papier s'il vous plaît'". Rires dans la salle. Puis vient le moment de la signature des actes civil. Légèrement surréaliste. "Vincent, Vincent, à gauche ! Vincent !", comme pour une montée des marches au festival de Cannes, les dizaines de photographes appellent les mariés pour capter leur regard. La scène fait sourire les invités.

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"C'est plus dur que pour un discours à la gay pride", déclare Vincent, qui organise chaque année la gay pride de Montpellier pour débuter son discours de remerciement en hommage aux militants pour les droits des LGBT. Et il se tourne vers son mari, Bruno : "Mes derniers mots sont pour toi mon amour. Je n'ai qu'une peur avec le mariage, c'est que nos vies ne soient pas assez longues pour le consommer. Je t'aime". Les époux sont ensuite sortis sur le balcon pour saluer les plusieurs centaines personnes qui suivaient l'évènement depuis le parvis de l'hôtel de ville. Vincent a souligné que "le vrai symbole, c'est cette solidarité qui a existé entre toutes les personnes pour que ce mariage soit possible aujourd'hui". Avant de s'éclipser, Bruno et Vincent ont accordé une dizaine de minutes aux médias. Un moment de cohue incroyable ou chaque journaliste pousse l'autre pour avoir la meilleure image, le meilleur son, ou tout simplement entendre ce que disent les mariés. Sans surprise, ils sont "très, très ému".

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Et, vers 18h30, les époux vont rejoindre leurs invités pour célébrer leur mariage en privé. Le programme de la soirée n'est pas connu, le menu non plus (mis à part le déssert, une pièce montée de macarons). Seule information qui a filtré : le plan de table rend hommage aux militants de la cause LGBT, mais aussi de la lutte contre les discriminations. Les invités s'assiéront donc à la table Rosa Parks, à la table Harvey Milk, à la table Alice Nkom... mais aussi à la table Dalida "pour le clin d'oeil".