Mariage pour tous : l'examen de la loi se termine dans une ambiance explosive

(MAXPPP)

Nuit surréaliste à l'Assemblée pour la fin de l'examen du texte sur le mariage pour tous. L'ultime séance de cette seconde lecture a été émaillée d'une série de violents incidents et d'invectives. Dans un hémicycle chauffé à blanc, des députés ont failli en venir aux mains. "Ça fait trente ans que je siège dans cet hémicycle, je n'ai jamais vu cela", a témoigné Alain Vidalies, ministre des Relations avec le Parlement. Récit de cette nuit explosive.

Acte 1 : l'UMP provoque des socialistes muets

Nous sommes en début de soirée, la séance reprend après le dîner. Comme avant l'interruption, la majorité socialiste est muette. Le PS n'a quasiment pas entamé son temps de parole, pour en "finir vite". Il ne reste qu'un peu plus de trois heures de temps de parole à l'UMP, ce qui laisse présager une fin des débats dans la nuit. Alors l'opposition tente de provoquer les socialistes pour prolonger les débats. "Mais qui vous interdit de micro, c'est une consigne de groupe ? Mais dans quel groupe êtes-vous ? Défendez vos électeurs, prenez le micro !", s'est exclamé Christian Jacob, patron du groupe UMP. "Qu'on vous entende !  Honte à vous !"

Faisant mine de défendre leurs amendements, les députés UMP vont multiplier les attaques pour faire sortir la majorité de ses gonds, sans succès. "Vous êtes des moutons, vous êtes des godillots ! Et Mme Bertinotti est la ministre des minorités agissantes !", accuse Philippe Meunier. "La majorité est K.-O. debout", assène Marc Le Fur, poursuivant le monologue de l'opposition. "Vous laissez quel choix, à part la manif du dimanche 21 avril, et de mai ?", interroge Philippe Meunier. Christian Jacob, hors de lui, pointe la majorité : "Vous avez peur du peuple ! Vous avez tellement peur que vous ne publiez pas vos agendas. On a des ministres qui rasent les murs."

Acte 2 : un "sourire" provoque la bagarre

Toujours silencieux, les députés socialistes sont prêts à craquer, mais consigne leur a été donnée de ne "rien faire" pour ne pas créer d'incident. C'est l'évocation du rassemblement contre le mariage pour tous, une veillée organisée sur l'esplanade des Invalides, à deux pas de l'Assemblée, qui va mettre le feu aux poudres. Des députés UMP qui sont allés saluer les manifestants dénoncent le déploiement de CRS, démesuré à leurs yeux, "alors que [les militants] avaient une attitude silencieuse". Marc Le Fur raconte avoir vu un jeune homme "frappé à la gorge", secouru par le député UMP Nicolas Dhuicq, et une "jeune fille à lunettes traînée par des CRS". Cette évocation fait alors réagir un fonctionnaire du ministère de la Justice, assis juste derrière Christiane Taubira. "Il a ri aux éclats", dit l'UMP, "il a soupiré", explique-t-on dans la majorité.

Excédés par cette "provocation", certains députés UMP désignent d'un doigt vindicatif le fonctionnaire. Puis ils se lancent vers lui avec la volonté d'en découdre. Autour du banc des ministres, ça se bouscule, ça hurle, ça vocifère, les visages sont rouges de colère. Les huissiers de l'Assemblée et Alain Vidalies tentent de s'interposer. Le ton monte. On entend : "C’est pas le lobby LGBT qui gouverne !" Et Christiane Taubira, au départ stoïque, monte les marches de l'hémicycle pour se réfugier en hauteur. Selon Bernard Roman, député PS, "quelques coups de poing sont partis". Du "jamais-vu", affirment les élus de droite comme de gauche. Il n'existe pas a priori de vidéo de l'ensemble de la séquence car la retransmission est coupée dès la suspension de séance. 

 

Acte 3 : la jeune fille à la ballerine

Lors de l'interruption de séance, la salle des Quatre-Colonnes, où les députés rencontrent les journalistes, est en fusion. Les élus de l'opposition règlent leurs comptes avec ceux de la majorité devant les caméras. "Vous avez dit qu'on allait assassiner les enfants !", s'indigne un député PS. "Mais vous nous avez traités de chiens !", lui rétorque un élu UMP. L'ambiance est survoltée, tout le monde pense que l'examen du texte s'arrêtera là pour cette nuit. Accompagné des députés UMP Patrick Ollier et Daniel Fasquelle, Philippe Meunier profite des caméras pour dénoncer l'interpellation de jeunes filles "avec des ballerines", brandissant une de ces chaussures. Ballerine qui sera de nouveau brandie dans l'hémicycle par l'élu UMP. "La police de M. Valls interpelle des jeunes filles en ballerines", répète-t-il, soulignant que la propriétaire du soulier ne portait pas de "godillots".

Acte 4 : "On a mis les enfants de la France dans des cars"

De retour en séance, l'ambiance est à la fois grave et électrique. Très remonté, Claude Bartolone assène : "Rien ne justifie une espèce de descente avec une menace physique comme celle à laquelle on a assisté (...). Rien ne peut justifier la descente qu'il y a eue pour menacer un membre du cabinet de la garde des Sceaux." Le président de l'Assemblée nationale décide de poursuivre l'examen du texte, malgré les protestations de l'opposition. Loin de s'apaiser, les esprits s'échauffent au sujet des incidents qui ont émaillé la "veillée" organisée près de l'Assemblée. Les députés réclament des comptes au gouvernement. Nicolas Dhuicq s'indigne que l'on ait mis "les enfants de la France dans des cars". Dénonçant un dispositif policier démesuré ("des CRS casqués, bottés, équipés de boucliers"), ainsi que des violences policières à l'encontre "de jeunes gens et de jeunes filles étudiants qui chantent", l'opposition accuse le gouvernement d'avoir organisé une "mascarade".

Les explications du ministre des Relations avec le Parlement ne vont pas calmer les députés UMP. Après s'être entretenu avec Manuel Valls, Alain Vidalies fait état de la présence "de groupuscules d'extrême droite", provoquant la colère sur les bancs de la droite. Il ajoute qu'il n'y a eu "aucun blessé". Devant les protestations de l'UMP, Alain Vidalies lance : "Vous avez le droit d'être au secours des factieux, pas nous." Selon la préfecture de police, citée par l'AFP, 74 personnes ont été interpellées et un gendarme mobile a été légèrement blessé.

Acte 5 : le monologue de l'UMP et la litanie des chiffres

A 2 heures du matin, l'UMP ne dispose plus que d'environ deux heures de temps de parole. Les esprits se sont un peu apaisés. La majorité retrouve alors son silence et on assiste à deux heures d'un monologue qui vire parfois à l'absurde. Une vingtaine de députés UMP vont ferrailler contre un mur. Tout y passe : les "CRS de M. Valls" contre les "millions de Français qui manifestent", "le tic-tac de la grogne" (sic), le "simulacre de démocratie", le "Parlement assiégé"… Rien n'y fera. Aux alentours de 4 heures, le temps de parole du groupe UMP est épuisé.

La majorité, qui n'attendait que le silence de la droite, peut alors rejeter les amendements de l'opposition et adopter les articles du projet de loi. On assiste alors à une tragi-comédie. Le président de l'Assemblée annonce un à un les amendements que les députés sont appelés à voter. Une longue série de chiffres comme une litanie, entrecoupée parfois de votes, toujours les mêmes : rejet des amendements, adoption des articles de la loi. Claude Bartolone est même félicité par le député UDI Jean-Christophe Fromantin pour "son talent d'apnée". Hervé Mariton tente "un rappel au règlement pour savoir si l'UMP a droit au rappel au règlement".

Aux alentours de 6 heures, l'examen du projet de loi est terminé. Restent les explications de vote. Chaque inscrit a cinq minutes pour exposer ses arguments. Fière du devoir accompli, la majorité quitte l'hémicycle. Vingt-six députés UMP, qui ont lutté avec acharnement contre le texte, martèlent une nouvelle fois leur opposition et déplorent les méthodes du gouvernement. Pour les écouter, il ne reste plus que Christiane Taubira, Alain Vidalies et moins de dix députés PS. "S'il y a deux semaines, on m'avait dit que le débat durerait deux jours, je ne l'aurais pas cru. Je suis donc satisfait car il fallait que l'on passe à autre chose", confie Jean-Jacques Urvoas, le président PS de la Commission des lois, qui prend congé peu avant 7 heures. Le vote solennel entraînant l'adoption définitive de la loi sur le mariage pour tous aura lieu mardi 23 avril.