Pourquoi le Sénat veut retoucher la loi sur le mariage pour tous

(JOEL SAGET / AFP)

Mariage pour tous, nouveau round. Le texte arrive au Sénat après son adoption à l'Assemblée nationale le 12 février. Contrairement à ce qu'espérait le gouvernement dans un premier temps, les sénateurs n'adopteront pas le texte tel qu'il a été voté par les députés, ils souhaitent l'amender. Tour d'horizon des enjeux de ce débat au Sénat.

Ce que la majorité veut changer dans le texte

Le "vote conforme" des sénateurs avait un avantage majeur aux yeux des partisans du texte, celui d'éviter une seconde lecture à l'Assemblée nationale et donc un allongement du processus législatif. Les sénateurs de la majorité souhaitent "garder le texte tel qu'il est et ne pas augmenter son périmètre", m'explique Jean-Pierre Michel, sénateur PS et rapporteur du projet de loi, mais ne veulent pas apparaître comme une simple chambre d'enregistrement.

La disparition de l'article-balai "père" et "mère". Pour éviter de remplacer les termes "père" et "mère" par "parents" dans le code civil, le rapporteur du texte à l'Assemblée, Erwann Binet, avait fait voter un amendement d'ensemble (dit "balai") qui stipulait que l'ensemble des dispositions du code civil relatives aux "pères" et "mères" s'applique également aux parents de même sexe. Une "fausse bonne idée" pour les sénateurs de la majorité qui redoutent un rejet de cette disposition par le Conseil constitutionnel. En remplacement, le rapporteur du projet de loi au Sénat souhaite introduire un article inscrit en tête du code civil qui "pose le principe d'égalité de droits et de devoirs pour toutes personnes qui sont mariées, quelque soit leur sexe", précise Jean-Pierre Michel. Ce principe s'appliquerait à toute la législation à "l'exclusion des dispositions relatives à la filiation biologique", ce qui évite de modifier chaque article du code civil faisant référence au père et à la mère.

Retour à la tradition pour le nom de famille. En cas d'absence de choix des parents ou en cas de conflits, les députés ont prévu que les enfants aient les deux noms de leurs parents accolés par ordre alphabétique. Actuellement, le nom du père est attribué au nouveau-né par défaut. Les sénateurs socialistes souhaitent revenir à cette situation. Le nom du père s'imposera par défaut lors d'absence de choix, une solution "plus conventionnelle", se justifie le rapporteur du texte. En cas de conflit entre les deux parents, la solution des deux patronymes accolés devrait perdurer.

Eviter la pluriparentalité. Le rapporteur Michel souhaite éviter les adoptions successives qui "entraîneraient un risque de pluriparentalité". "En cas d'apotion simple, l'enfant a ses deux parents biologiques et un parent adoptif, pas plus. Nos amendements visent à éviter les adoptions sur adoptions d'enfants", me précise le sénateur.

La question du beau-parent. Cet amendement vise à conforter le statut du beau-parent (ou statut du tiers). Par exemple, une "mère sociale" pourra rester en relation avec un enfant même si elle est séparée de la mère biologique. Je racontais leurs difficultés dans ce post de blog. Jean-Pierre Michel défendra un amendement qui renforce le "maintien des relations personnelles de l'enfant avec le tiers qui a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents".

La stratégie de l'opposition

Contrairement aux députés UMP, les sénateurs de l'opposition ne souhaitent pas utiliser l'arme de l'obstruction parlementaire. Au total, 279 amendements ont été déposés, on est très loin des 5 000 amendements de l'Assemblée nationale. L'orateur de l'UMP sur le mariage pour tous, le sénateur Patrice Gélard, a indiqué qu'il n'y aurait "pas d'obstruction systématique mais une opposition de fond". Le groupe UMP au Sénat va développer deux axes majeurs : la promotion d'une union civile (qui offre les mêmes droits que le mariage mais qui le déconnecte de la question de la filiation) et la mise en cause de l'ouverture de l'adoption plénière aux couples homosexuels car elle "efface la filiation biologique".

La discussion s'annonce donc plus courte dans une atmosphère plus feutrée qu'à l'Assemblée. Toutefois, le vote sera beaucoup plus serré. La gauche ne dispose que de six voix d'avance au Sénat. Certains sénateurs de la majorité ont déjà prévu de voter contre le mariage pour tous, d'autres hésitent à l'image de Jean-Pierre Chevènement, tandis que que certains pourraient pencher pour l’abstention. Mais plusieurs sénateurs de l'UMP et de l'UDI voteront le texte, à l'image de l'ancienne ministre Chantal Jouanno. "Cela sera serré, mais cela va passer", prédit Jean-Pierre Michel, "confiant".