Procréation médicalement assistée : le parcours de combattantes d'Anne et Marie

(JEFF PACHOUD / AFP)

Sans le savoir, Anne et Marie ont risqué leur vie pour avoir un enfant. Les deux femmes s'aiment depuis bientôt dix ans. Anne a 39 ans, elle est bibliothécaire. Marie en a 36, elle est chef de projet dans l'informatique. Ensemble, elles élèvent le petit Théophile, âgé de deux ans, et, vivent dans un appartement, confortable et chaleureux, en banlieue parisienne.

L'histoire de l'arrivée de Théophile dans leur vie, qu'elle me raconte, est l'histoire d'un parcours du combattant et d'une volonté que rien n'a ébranlée. Après leur Pacs en 2006, Anne et Marie décident de se rendre en Belgique pour bénéficier de la procréation médicalement assistée (PMA). C'est Anne qui suit le traitement hormonal qui la prépare à l'insémination artificielle avec donneur anonyme (IAD). Ce traitement est destiné à favoriser la fécondation. "Entre janvier 2007 et juillet 2007, quatre essais d'IAD sont tentés, ils se soldent tous par un échec", explique Anne. "Un ami nous propose alors de nous faire don de son sperme, proposition que nous acceptons." 

"Des boules de pétanque dans le ventre"

Ainsi de juillet 2007 à avril 2008, huit essais seront fait par insémination artisanale. Anne fait des tests d'ovulation pour optimiser la période d'insémination, "mais, ça ne fonctionne pas non plus". Les deux femmes reprennent alors la route pour la Belgique. Anne reçoit deux IAD en décembre 2008 et février 2009, sans résultat. "On n'y croyait plus, on a commencé à désespérer" , confie Marie. Les médecins belges décident de changer de technique et pratique une fécondation in-vitro (fiv, on prélève des ovocytes et du sperme et on implante les embryons obtenus dans l'utérus). Une première fiv est réalisée en avril 2009, puis une seconde en septembre 2009. La deuxième fiv fonctionne tellement bien qu'Anne porte 20 ovocytes (contre 5 à 10 en général) : "J'avais la sensation d'avoir des boules de pétanque dans le ventre". Elle fait une hyperstimulation, son corps a tellement été sollicité pour féconder qu'il a trop répondu. Hospitalisée en urgence, les médecins lui expliquent que l'hémorragie interne est évitée de peu. "Tout était compressé, c'était dangereux pour moi. J'ai eu très peur", confie Anne.

Anne et Marie n'avaient pas de suivi en France car les gynécologues n'acceptent de suivre des lesbiennes en parcours PMA, illégale sur notre territoire. Autre paramètre à prendre en compte : le dosage des médicaments belges, qui n'est pas exactement le même qu'en France. "J'avais le choix entre faire un peu moins ou un peu plus que ce qui m'était préconisé en Belgique, raconte Marie. Moi, j'ai fait plus en me disant que ça me ferait plus d'embryons, donc plus de chance d'avoir un enfant. Mais c'était une très mauvaise idée. Comme personne ne nous disait comment faire, comme personne nous suivait, on a fait notre cuisine..." 

"En Belgique, on avait l'impression d'être des numéros"

Après cet épisode douloureux, Anne décide d'arrêter les essais et Marie prend le relais. A la fin du mois d'avril 2010, avec l'accord de la clinique belge, Marie bénéficie d'un transfert d'embryon d'Anne qui fonctionne du premier coup. Elle donne naissance à Théophile le 24 janvier 2011, qui est du coup génétiquement l'enfant d'Anne. Soulagées et heureuses d'être mamans, elles insistent sur la "nécessité d'autoriser la PMA pour les lesbiennes en France et de l'encadrer". Pour elles, "sur le plan de la santé, c'est très important que cela se passe ici avec le même médecin qui respecte un protocole. Nous, en Belgique, on avait l'impression d'être des numéros. Ils ne connaissent à peine les dossiers, c'est dangereux car nos vies sont entre leurs mains".

En octobre 2011, Anne a fait une demande pour obtenir une délégation d'autorité parentale sur Théophile, car la loi ne reconnaît que Marie, en tant que mère biologique de l'enfant. L'audience a eu lieu en septembre 2012 au tribunal de grande instance de Versailles. Une audience qui leur a laissé un goût amer. "Le procureur a conclu que la stabilité de notre couple n'était pas démontrée. On est quand même pacsée, on a acheté notre appartement ensemble, on élève Théophile ensemble... Et si c'est Marie qui accouché, c'était l'embryon d'Anne". Et Anne ajoute : "La juge m'a dit que j'avais le rôle d'une nounou pour Théophile et une nounou n'a pas besoin d'avoir l'autorité parentale". "La juge a conclu qu'elle avait compris que nous voulions fonder une famille homoparentale, or, nous a-t-elle dit, c'est interdit par la loi en France".

Les deux mamans ressortent de l'audience "plombées et dépitées". Elles envisagent de se marier pour qu'Anne puisse demander à adopter leur petit garçon. Une solution qui ne les satisfait qu'à moitié, "un premier pas""La procédure prend du temps, un temps pendant lequel l'enfant n'est pas protégé. Je n'ai ni droits ni devoirs sur Théophile, et, cela restera au juge de trancher", regrette Anne. "Le bon vouloir du juge fait vraiment peur quand il s'agit d'un enfant qu'on élève."