Amantine et Virginie, deux mamans qui font "du mieux possible, comme tous les parents du monde"

(JEFF PACHOUD / AFP)
"Treize ans de vie commune, pacsées, deux mômes. Avec le mariage, on va finir par être d'un classicisme !" Amantine, 37 ans, et Virginie, 38 ans, me reçoivent chez elles, dans une jolie ferme rénovée, située dans un petit village du Maine-et-Loire, à une demi-heure d'Angers. C’est l'heure de la sieste. Nous nous attablons autour d’un café. Sur le sol, autour de nous, des jouets rappellent la présence des enfants. Elles commencent à me raconter leur histoire, celle d'un irrépressible désir de fonder une famille.

 

Après avoir vécu à Nantes et à Bordeaux et beaucoup voyagé, Amantine, urbaniste, et, Virginie, sapeur-pompier, se pacsent en 2005 et s’installent à la campagne. Le désir d’enfant commence à naître au sein du couple… Avec, une "longue période de questionnements""On doit beaucoup s'interroger sur la parenté. Contrairement à certains hétéros, c'est une démarche qui pousse énormément à mûrir son projet parental", expliquent-elles. "La société nous dit 'c'est pas bien' : et le référent paternel ? L'enfant sera-t-il équilibré en l'absence d'un père ? Aura-t-il une vie bancale parce qu'il lui a manqué quelque chose ? Nous sommes finalement arrivées à des réponses qui tenaient la route et on s'est dit qu'on ferait du mieux possible, comme tous les parents du monde". 
La PMA en Belgique : deux années de galère
Cinq ans s’écouleront entre la décision d'avoir un enfant et l'arrivée de leur premier bébé. Après avoir écarté la solution de l'adoption, les deux femmes optent pour la procréation médicalement assistée (PMA), "même si nous étions gênées par l'anonymat du donneur. A aucun moment de sa vie, notre enfant n'aurait pu savoir d'où il venait", estime Virginie. En 2008, le couple choisit la Belgique pour bénéficier d'une insémination artificielle (IAD). C'est Virginie qui suit le traitement hormonal qui la prépare à l'IAD. Commencent alors deux années de galère. Les allers-retours en Belgique, programmés du jour au lendemain pour ne pas rater le moment favorable à la fécondation, les traitements épuisants "physiquement et moralement", les prises de sang, les échographies…  Des démarches lourdes, qui ont aussi un coût financier : entre 10 000 et 15 000 euros).

 

"On faisait le voyage jusqu’en Belgique, on attendait, un médecin appuyait sur une seringue, puis il repartait. Sans poser de question, sans suivi. En France, les gynécologues nous rembarraient car on était lesbiennes", confie Virginie. Après neuf essais infructueux et avec un "moral cassé", Virginie et Amantine mettent fin aux tests. "Quand il y a un désir d'enfant, on est prête à aller loin... On a joué avec notre santé".
Le don d'un ami
Amantine et Virginie ont débuté leur "travail de deuil"... quand le déclic se produit. "On a commencé à parler de nos démarches  à un couple d’amis hétéros. Ils ont halluciné. Ils n’imaginaient pas que nous étions obligées d'aller en Belgique pour faire une PMA, ils pensaient qu'on avait droit d'adopter à deux..." Sans hésiter, le couple d'amis propose son aide. "On a alors passé la journée à leur lister les inconvénients, à parler du rôle délicat du donneur de sperme, et on leur a laissé du temps pour réfléchir", poursuit Amantine. Mais rien n’entame la détermination du couple, qui relance les deux femmes.

 

"Il n'y a pas eu de relation sexuelle, c'était un don", explique pudiquement Amantine. L'insémination "artisanale" a un "côté un peu glauque", mais "l'important est de communiquer" : "On en a rigolé avec nos amis pour être plus à l'aise." Le premier essai sera le bon. Amantine accouche fin 2010 d'une petite Malou. Un an plus tard, Virginie donne la vie à Colin, toujours grâce au don de leur ami.

 

Un engagement : répondre aux questions des enfants
Après leur sieste, les deux bambins nous rejoignent pour le goûter. Quelles relations ont-ils avec leur géniteur ? "Nous le voyons régulièrement, ni plus ni moins qu'avant", racontent les deux mamans. "Quand les enfants seront plus grands, s'ils ont des questions, s'ils ont besoin de lui, notre ami sera là", se réjouissent Amantine et Virginie. Malou et Colin auront accès à leurs origines : parce qu'"il n'y a rien de pire que les mensonges dans les familles". "On répondra à leurs interrogations au fur et à mesure qu'ils se questionneront. Ce don fait partie de leur histoire, on n'a pas le droit de le cacher."

 

Légalement, Malou n'a qu'une maman, Amantine. De même que Virginie est la seule mère reconnue de Colin. L'autre maman, la maman "sociale" (par opposition à biologique) n'a pas de droit sur l'enfant qu'elle élève. En cas de séparation, d'accident, de décès, "les enfants et nous-mêmes ne sommes pas protégés". Les deux femmes ont tout de même fait une tutelle testamentaire qui reste précaire : elle nécessite un conseil de famille et un avis du juge des tutelles. Entamer les démarches pour une délégation d'autorité parentale ? "C'est au bon vouloir du juge qui la refuse la plupart  du temps pour les couples homos." Du coup, les deux mamans jonglent avec les formulaires et les lettres d'autorisation pour la crèche, l'assistante maternelle, le pédiatre... "Sans la lettre autorisant l'autre maman à venir chercher notre enfant, l'assistante maternelle pourrait être accusée de favoriser un kidnapping ! C'est pesant et discriminant".

 

"Ce débat nous fait un mal de chien"
Un vide juridique et des lourdeurs administratives qui contrastent avec leur vie quotidienne, simple, épanouie. "On vit dans un tout petit village et on n'a jamais eu aucune difficulté, ni de remarques désobligeantes", constatent-t-elles avec le sourire. "On m'a même demandé d'intégrer le conseil municipal, indique Amantine, j'ai accepté." Quant à l'assistante maternelle du village, elle a seulement posé deux questions : "Comment nous voulions être appelées, maman ou un autre nom, et comment nous fêtions la fête des mères". "Maman Amantine" et "maman Virginie" ont reçu chacune un cadeau le jour de la fête des mères.

 

Quand j'aborde la question du débat actuel autour de la loi ouvrant le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe, les visages se raidissent, le ton est plus grave. Amantine et Virginie ne s'attendaient pas "à une telle violence". "Ça nous fait un mal de chien", soupire Virginie. "On est sans histoire, bien intégrées et ils nous renvoient l'image de monstres qui élèvent des futurs déséquilibrés. C'est impossible à entendre." Pour les deux femmes, "ce qui fait le plus mal, c'est que personne ne nous défend. Où sont les partisans du projet de loi ? On a le sentiment d’être abandonné des politiques et des intellectuels, qui devraient monter au créneau". Fatalistes, les deux mamans  se réjouissent que Malou, deux ans, et, Colin, un an, n'aient pas l'âge d'aller à l'école. "Avec les discours ambiants, on n'imagine pas les insultes dans les cours de récréation en ce moment."