Peut-on être contre le mariage pour tous sans être homophobe ?

(LIONEL BONAVENTURE / AFP)

La question revient sans cesse depuis le début du débat : peut-on s'opposer au projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe sans être homophobe ? La "Manif pour tous" du dimanche 13 janvier demande le retrait du texte sur le mariage pour tous et prend bien soin d'expliquer qu'elle défile également contre l'homophobie. La preuve : parmi les porte-paroles de cette manifestation, on compte Frigide Barjot, humoriste catho qui a de "nombreux amis gays", elle répète à l'envi qu'elle a assidûment fréquenté les bars gays de Paris. Autre porte-parole de la "Manif pour tous" : Xavier Bongibault, jeune gay contre le projet de loi.

Pour de nombreux partisans de l'ouverture du mariage, s'opposer à l'accession à un droit pour les homos est au contraire homophobe. Un argument récurrent dans un débat qui vire au dialogue de sourds. La violence des échanges m'a surpris par son intensité. Les dérapages sont quotidiens, les insultes fusent, et, on sait déjà que cette "séquence" laissera des traces. Pour autant, doit-on considérer systématiquement que tous ceux qui s'opposent au mariage pour tous sont homophobes ? Je me garderai ici de répondre, tant la réponse est (dans le cas qui nous occupe) une affaire d'opinion et de passion. J'ai donc posé la question à quatre personnes impliquées dans ce débat : la présidente de SOS Homophobie, un célèbre blogueur catho, un philosophe contre le projet de loi et une sociologue qui défend l'ouverture du mariage. Voici leurs réponses.

 "S’opposer à l'égalité des droits est une forme d’homophobie"

Elisabeth Ronzier, présidente de SOS Homophobie, favorable au projet de loi :

"S'opposer au projet de loi, est une forme d'homophobie parfois inconsciente. Vouloir maintenir une distinction entre les individus en raison de leur orientation sexuelle, c’est vouloir maintenir les personnes homosexuelles dans un statut inférieur puisque c'est les priver de certains droits. Evidemment, ce n'est pas la même chose que quand on va dans la rue pour casser la figure d'un gay ou d'une lesbienne, mais c'est aussi une forme d'homophobie. S'il s'agissait d'un projet d'un loi qui prévoyait de mettre à égalité des droits pour des personnes indistinctement de leur origine ethnique, ceux qui s'y opposeraient seraient qualifiés de racistes. C'est donc une forme d’homophobie de s’opposer à l'égalité des droits entre les personnes indépendamment de leur orientation sexuelle.

Quand, des opposants au mariage pour tous se déclarent gay-friendly et jurent ne pas être homophobes, c'est difficilement recevable. C'est difficilement conciliable avec leur position : 'Les homosexuels sont nos amis, mais ils doivent avoir un statut inférieur aux autres.' Moi, j'ai du mal à le concevoir que respecter les personnes homosexuelles et leur accorder toute la dignité qui leur est due, ça puisse se traduire par un statut inférieur."

"Un reproche qui disqualifie d'entrée de jeu"

Koztoujours, avocat et blogueur catholique, défavorable au projet de loi :

"Taxer tous les opposants au projet d'homophobes, c'est faire preuve d'un grand sectarisme. C'est une façon de faire passer les opposants pour des fous parce que finalement la phobie, ça relève de la psychiatrie, c'est une pathologie. Pour moi, l'homophobie est piégée : ce reproche disqualifie d'entrée de jeu, cela interdit de prendre part au débat. Je prends ça dans la gueule mais je considère effectivement qu'il faut partir de l'enfant. Qu'on lui dise qu'il a deux papas ou deux mamans, je pense que ce n'est pas bon pour sa construction. Si ça c'est de l'homophobie, tant pis, je ne peux pas y faire grand chose. Mais moi, je ne considère pas que cela soit de l'homophobie et je n'ai aucune hostilité contre les homos. C'est un peu ridicule et insultant. On en vient à devoir se justifier de fréquenter des personnes homosexuelles et de ne pas avoir de problème là-dessus.

Même si l'on me dit que l'homophobie est plus large que la définition juridique, ce qui est induit, c'est que nous avons un comportement réprimé pénalement, que nous sommes comme des racistes. Cela signifie que nous n'avons pas le droit d'exprimer une opinion. Et Act up par exemple le dit très bien : 'L'homophobie n'est pas une opinion, mais un délit.' Donc, on qualifie d'homophobie l'opposition à la loi. Et donc l'opposition à la loi est un délit."

"Il y a ceux qui se posent des questions et ceux qui instrumentalisent ces interrogations"

Irène Théry sociologue, spécialiste du droit et de la famille, favorable au projet de loi, a été entendue lors des auditions sur le texte à l'Assemblée nationale :

"Je ferai une distinction entre deux sortes de problèmes. Il y a des gens qui sont troublés par l'idée qu'un enfant ait deux pères ou deux mères, il y a des gens de très bonne volonté parmi eux. Cela ne me surprend pas car je travaille sur ces sujets et je comprends que l'on confonde parent et géniteur alors que depuis très longtemps on connait des situations où ce n'est pas le cas. Donc, ces personnes-là ne sont pas homophobes, elles se posent des questions.

En revanche, ce que je considère comme totalement homophobe, c'est l'exploitation qui est faite de ces interrogations tout à fait légitimes, auxquelles il faut apporter des réponses. Cette manipulation est l'œuvre de groupes qui répètent depuis maintenant quatre mois qu'on va supprimer la différence des sexes dans la famille, que l'on va supprimer les mots 'père' et 'mère' du Code civil, que les enfants auront des 'parents A' et des 'parents B'... Ce sont des choses parfaitement inventées, contraires à ce que l'on peut voir dans le projet de loi et qui sont faites pour affoler la population et pour désigner à la vindicte les homosexuels. Tout ça pour dire : 'par la faute des homosexuels, on va aller vers la destruction de la civilisation, la zoophilie, la polygamie...' Ça, j'appelle ça de l'homophobie. Ils donnent à la vindicte les homosexuels en mentant comme des arracheurs de dents. Donc ne confondons pas ceux qui se posent des questions et ceux qui instrumentalisent ces interrogations pour dire des mensonges."

 "Une rhétorique de l'intimidation"

Thibaud Collin, philosophe, spécialiste de morale et de politique, défavorable au projet de loi, il a également entendu lors des auditions sur le texte à l'Assemblée nationale :

"Tout cela dépend de ce que l'on entend par homophobie, tout est dans le sens des mots. Certains partisans de ce mariage ont une vision maximaliste de l'homophobie c'est-à-dire que toutes critiques du projet de loi est immédiatement vu comme homophobe. C'est outrancier. D'autres, plus nuancés, considèrent que si on entend par homophobie une sorte de répulsion envers les personnes homosexuelles (répulsion qui peut aller jusqu'à des injures et à de violence), effectivement, ils peuvent très bien entendre que l'on peut être critiques d'un projet de loi, critiques d'une nouvelle manière de penser le mariage et la filiation, sans éprouver de la répulsion, voire de la haine ou du mépris, pour les personnes homosexuelles.

Il me semble que la question n'est pas tant de savoir s'il on est homophobe ou pas quand on est opposé au projet de loi. C'est plus le concept d'hétérosexisme qui est aussi utilisé par les partisans de ce mariage pour disqualifier la critique de ce texte. Là encore, est-ce que c'est de l'hétérosexisme de considérer qu'un enfant, il a un droit, dans la mesure du possible, à avoir un accès à sa double origine et de vivre dans la continuité de cette double origine ? Si c'est de l'hétérosexisme de considérer que fonder la filiation sur cette sexuation de l'être humain, alors effectivement, on peut assumer d'être critique et hétérosexiste. Comme l'a dit Lionel Jospin, on peut être contre l'ouverture du mariage civil aux couples de même sexe et ne pas être homophobe. Mais cette rhétorique de l'intimidation peut fonctionner chez certains. Par peur d'être homophobe ou d'être 'contre l'égalité', ce qui assez lourd à porter en France, les gens vont se prononcer pour le projet."