Erwann Binet : "L'homophobie est une violence qui me motive encore plus"

(ERIC FEFERBERG / AFP)

Les députés socialistes veulent aller plus loin que le gouvernement et le font savoir. Ce matin, ils ont voté en faveur du dépôt d'un amendement ouvrant l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de lesbiennes afin de compléter la loi sur le mariage pour tous. Avec cette décision, les députés socialistes reprennent à leur compte un engagement de campagne de François Hollande, engagement quelque peu oublié par le président, et envoient valser le Premier ministre, partisan d'une seconde loi sur la famille incluant la question de la PMA. Cependant, cette question divise le PS: 126 députés ont voté pour le dépôt d'un amendement, 61 contre et ils sont 9 à s'être abstenus... 

Pour parler de ce passage en force, des auditions qui sont menées à l'Assemblée depuis deux mois sur la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ou encore de l'opposition au projet qui prend l'ampleur, j'ai rencontré Erwann Binet, député PS de l'Isère et rapporteur du projet de loi.

Vous avez voté ce matin le dépôt d'un amendement ouvrant l'accès à la PMA pour les couples de femmes malgré les réticences du gouvernement. Jean-Marc Ayrault avait renvoyé cette question à un second texte... 

Erwann Binet : Ce n'est pas de la réticence. La réticence aurait été que le gouvernement soit contre la PMA. L'ouverture de la PMA aux femmes lesbiennes est une question qui a été tranchée maintes et maintes fois au sein du groupe socialiste, notamment à l'occasion des lois de bioéthique où des amendements ont été portés par le groupe en ce sens. Nous l'avons porté dans le programme du Parti socialiste lors des élections présidentielles. S'il ne faisait pas partie des 60 engagements de François Hollande, il a fait partie des promesses du candidat. Donc, il n'y a pas d'opposition frontale. Il y avait une interrogation sur le moment : est-ce que c'était plus légitime de le mettre dans ce texte-là ou de le mettre dans un texte à venir sur le droit de la famille ? Nous n'avons pas la même vision que le gouvernement sur cette question. Maintenant que le groupe a posé clairement et formellement la volonté de mettre cet amendement dans ce texte, nous allons pouvoir partager nos vues sur la question.

Juste après ce vote, le président du groupe socialiste à l'Assemblée a expliqué que la PMA pourrait toutefois figurer dans une seconde loi si le gouvernement le souhaite... 

Cela veut dire qu'aujourd'hui nous posons notre intention et maintenant, on va confronter avec le gouvernement nos vues sur le timing. Le dialogue n'a jamais été rompu avec le gouvernement. En même temps, le président de la République a dit que la souveraineté appartenait au Parlement.

Soixante et un députés se sont prononcés contre l'amendement introduisant la PMA, ne craignez-vous pas que cette question divise votre groupe ?

Soixante et une personnes, ce n'est rien du tout parce que dans ces 61 personnes, il y en a qui voulaient aller au-delà, qui souhaitaient que les femmes seules aient aussi accès à la PMA. D'autres se posaient des questions sur le périmètre de la loi. Moi je pense qu'il faut raccorder l'amendement au texte sur le mariage et donc consacrer la PMA aux femmes mariées, sans préjuger d'éventuelles évolutions législatives plus tard. Donc, dans les 61 personnes qui ont voté contre, il y a bien sûr des opposants à la PMA par principe, d'autres qui voulaient davantage... C'est difficile de donner une cohérence au vote de ces 61 députés.

Ces députés auront-ils la liberté de vote lors de l'examen de cet amendement ?

Il n'y a pas de raison qu'il n'y ait pas de discipline de vote, comme sur les autres sujets. D'autant plus que cette question de la PMA ne tombe pas du ciel. Nous avons tous été élus avec le programme du Parti socialiste, la PMA en faisait partie, au même titre que le mariage et l'adoption. Et l'engagement du président sur ce sujet était très clair.

Outre la PMA, les associations homoparentales ont pointé d'autres manquements dans le projet de loi, comme le statut du tiers, l'adoption hors mariage... Ces questions feront-elles l'objet d'autres amendements ? 

Cela viendra au mois de janvier. Aujourd'hui, nous parlions d'un amendement du groupe socialiste, il y aura les amendements du rapporteur notamment sur les questions qui se sont posées lors des auditions qui se terminent demain. Il faut me laisser le temps de mûrir tout ça. Il y aura une réflexion autour de la question du statut du tiers. Il y a urgence de poser les bases d'une reconnaissance de ce statut de beau-parent ou de "parent social" qui existe déjà dans les faits. Donc le législateur doit accompagner par la loi cette situation. Et nous allons imaginer un dispositif pour pouvoir répondre à une autre préoccupation : celle des couples qui ont eu un enfant et qui se sont séparés avant la loi sur le mariage et qui n'ont pas les droits des divorcés. Cela fera l'objet de notre travail dans les semaines qui viennent.

Quelles conclusions tirez-vous des auditions que vous avez menées dans le cadre de ce projet de loi ?

Ma première conclusion, c'est que les familles homoparentales existent. Elles existent en grand nombre et elles continueront d'exister pour la simple et bonne raison que les couples homosexuels sont mieux reconnus et acceptés dans notre société. Aujourd'hui, ils ne se posent plus la question de faire des enfants, ils ont des moyens pour pouvoir en faire. Autre conclusion : leur situation est vraiment dramatique, notamment pour les femmes lesbiennes car elles n'ont pas les moyens décents, dignes de pratiquer la PMA dans notre pays alors qu'elles le font en Belgique ou Espagne. Ce n'est pas normal. Pour celles qui n'ont pas les moyens d'aller à l'étranger, elles ont recours à l’insémination artisanale, avec des risques sanitaires et juridiques qui ne sont quand même pas tolérables. Un autre enseignement concerne les enfants. Est-ce qu'un enfant qui se développe au sein d'un couple d'hommes ou de femmes grandit normalement ? La réponse est oui. On a rencontré des pédopsychiatres, des psychiatres, des psychologues, des sociologues, des anthropologues, des médecins qui rencontrent ces familles et qui nous ont dit que ces enfants sont comme les autres, ni moins bien, ni mieux. Ils ont une vie normale. Et les études, qui sont nombreuses, le montrent aussi. Même si évidemment, il y a eu quelques voix discordantes.

Des juristes hostiles au projet vous ont reproché de ne pas les avoir entendus. Que leur répondez-vous ?

Sur les juristes, j'ai voulu en voir à différents moments. Au début des auditions, au moment où la question n'était pas défrichée. J'ai reçu les avocats, notamment le Conseil national du barreau, qui est d'ailleurs relativement opposé au projet. Et j'ai reçu des professeurs de droit et des avocats qui travaillent sur l'homoparentalité depuis des années. Et ce n'est pas une surprise : ceux-là sont plutôt favorables à un encadrement juridique. Et demain matin, je vais voir des juristes qui, eux, ont étudié le projet de loi.

On a aussi reproché aux parlementaires de la majorité d'avoir brocardé les représentants des religions lors de leur audition...

Brocardé, je ne dirai pas ce mot. Mais frustré, oui. Je le suis également. Il n'était pas évident que les religions soient reçues à l'Assemblée nationale [compte tenu de la séparation de l'Etat et des Eglises]. En même temps, il était important de les entendre car elles se sont invitées dans le débat dès le mois d'août. J'ai été frustré pendant cette audition car je n'ai pas eu le sentiment qu'il y ait eu, de part et d'autre, de volonté de dialogue. Il y a eu un échange de postures. Et certains parlementaires ont pu avoir des propos un peu excessifs, mais à l'Assemblée nationale on ne censure pas les paroles des députés.

La mobilisation contre le projet du gouvernement prend de l'ampleur. Vous ne craignez pas que le débat vire à la confrontation  ?

Je ne redoute pas cette mobilisation. Je redoute les excès qu'elle pourrait avoir, pas des organisateurs mais des gens qui pourraient se raccrocher à la manifestation du 13 janvier. J'ai rencontré Frigide Barjot, on n'est absolument pas d'accord sur le fond du sujet mais j'ai le sentiment qu'elle n'a pas du tout la volonté de jeter le discrédit sur les familles homoparentales. Il y aura certainement beaucoup de monde lors de cette manifestation, mais je suis extrêmement déterminé. Tout simplement parce que je vois devant mes yeux grands ouverts le problème des familles homoparentales, qui existent, et le caractère insupportable de l'inégalité, ainsi que la situation de ces enfants.

Les associations de défense des droits des homosexuels dénoncent une montée de l'homophobie depuis le début du débat. Est-ce que vous le constatez également ?

Je la subis moi-même à travers les lettres, les mails et sur les réseaux sociaux. C'est une violence qui me motive encore plus. Ce dont je suis sûr, c'est qu'il n'y aura jamais de loi sur la bêtise, il faut la subir. Je reçois des menaces de mort, ce n'est pas une surprise, c'était attendu. Je ne pense pas à moi, mais aux enfants qui vivent dans des familles homoparentales aujourd'hui et qui entendent cela, auxquels on tente de donner l'image que leurs parents sont des incompétents, des capricieux qui ont voulu avoir des enfants dans une démarche commerciale... Je pense aussi aux jeunes ados qui se posent des questions sur leur orientation sexuelle et qui, à la table familiale du dimanche, entendent des choses parfois excessives.