Comment réussir (ou pas) son buzz contre le mariage des homos

GERARD JULIEN / AFP

Les anti-mariage et adoption pour les homos donnent de la voix. Alors que le texte du projet de loi ouvrant aux homosexuels le droit au mariage et à l'adoption doit être présenté en Conseil des ministres le 7 novembre, le mouvement pro-vie Alliance Vita a organisé 75 rassemblements à travers la France, mardi 23 octobre. A Paris, j'ai assisté au rassemblement dans le quartier de la Défense, qui a réuni un peu moins d'un millier de personnes entre midi et 14 heures. A la même heure, elles étaient environ 300 à Lyon, 200 à Lille...

Qu'est-ce qu'Alliance Vita ? C'est une association fondée par Christine Boutin en 1993 et qui se dit aconfessionnelle (en réalité, elle est à très grande majorité catholique) et apolitique. Alliance Vita est très présente notamment sur les questions d'avortement et d'euthanasie, et revendique "37 000 soutiens" en France. L'association a-t-elle frappé un grand coup et ainsi réussi son buzz ? Décryptage de ses méthodes en trois points.

1Avoir un discours bien rodé

Dans le débat sur le mariage des homos et l'homoparentalité, Alliance Vita marche sur des œufs. Comment s'opposer au projet du gouvernement sans passer pour des homophobes ou des ringards ? Comment être entendu entre les catholiques intégristes de Civitas, au message clairement homophobe, et des élus hostiles au mariage des homos qui multiplient les dérapages ? Pour éviter les amalgames, Alliance Vita "veut remettre l'enfant au cœur du débat", n'abordant pas la question du mariage de façon frontale.

"Un papa. Une maman. On ne ment pas aux enfants", c'est le slogan choisi pour cette mobilisation dont l'objectif est de "protéger les enfants". Le discours surfe sur des valeurs chères à la majorité socialiste : "Nous réclamons ni plus ni moins que la parité dans les familles, un papa, une maman. Et l'égalité pour tous les enfants adoptés", m'explique Tugdual Derville, délégué général d'Alliance Vita. Tugdual Derville fonde son discours sur une "question de bon sens". "On ne peut pas effacer la complémentarité entre le père et la mère, un enfant a besoin des deux pour se construire, pour son équilibre et son bonheur. Et si c'est un besoin, c'est aussi le premier droit de l'enfant. Effacer cet équilibre créerait une injustice grave." Autre argument mis en valeur par le délégué général d'Alliance Vita, les "spécialistes, comme les psychologues, qui pointent le danger". "Pour l'épanouissement de l'enfant, il faut un papa et une maman. On ne peut pas laisser la loi détruire le repère fondateur de notre société", martèle Tugdual Derville.

Et quand j'interroge des participants à la mobilisation (plus d'une dizaine), les formules sont soignées, calibrées, quasiment similaires (à croire que des éléments de langage ont été distribués...). La phrase choc : "Le droit de l'enfant ne doit pas devenir le droit à l'enfant." Sont-ils homophobes ? "Il n'est pas question de stigmatiser les homos. Mais ce n'est pas parce qu'ils ont un désir d'enfant que cela est bien pour les enfants. Il faut distinguer les personnes que nous respectons et la volonté d'une petite minorité."  Quelle place pour la religion dans ce débat ? "Il ne s'agit pas d'une question liée à la foi mais de justice et d'humanité. Il ne faut pas 'confessionnaliser' ce débat. Mais on peut remarquer que l'ensemble des religions sont unies en se prononçant contre le mariage et l'adoption pour les homos." 

2Avoir le sens de la mise en scène

Le choix de rassemblements à travers la France, et non de manifestations, n'est pas anodin. En organisant des performances chorégraphiées, Alliance Vita réalise une démonstration de force bien plus spectaculaire qu'avec des cortèges rassemblant seulement quelques centaines de personnes. Le but des organisateurs était aussi de renvoyer une image "paisible et pacifique".

Venons-en à la scénographie : "symbolique et spectaculaire", précise Alliance Vita. D'un côté, les "papas" (en tee-shirt vert ou noir), de l'autre les "mamans" (en tee-shirt rose ou blanc). Les blocs forment deux parties égales. Derrière ces deux blocs, une mêlée symbolisant un œuf, toujours formée à parité entre hommes et femmes. "Un papa. Une maman. On ne ment pas aux enfants", scandent les participants alors que la mêlée-œuf s'ouvre pour laisser entrevoir un enfant-oiseau, au visage maquillé comme un clown triste. En combinaison moulante grise, l'enfant-oiseau a deux ailes sur lesquelles on peut lire "maman" et "papa". Et pour s'envoler, notre oiseau s'appuie tantôt sur le bloc des mères, tantôt sur celui des pères. La scène interpelle les passants alors que la sono crache du Abba (Mamma mia) ou du Queen (Bohemian Rhapsody).

Cette scène a été répétée à l'identique dans les 75 villes. Voici les vidéos des performances de Lyon et du Mans.

 

 

3Ne pas négliger les réseaux sociaux

Sur Twitter, Alliance Vita choisit un mot-clé (hashtag) pour tous ses rassemblements : #unpapaunemaman. Très vite, il va être détourné, moqué par les twittos. Demi-victoire pour Alliance Vita : #unpapaunemaman sera le sujet le plus discuté sur Twitter en début d'après-midi, mais plus en raison des railleries des internautes favorables au mariage pour tous que grâce à l’activisme de ses militants.

Et en fin de journée, une photo a fait le tour du réseau social : deux jeunes filles s'embrassant lors du rassemblement d'Alliance Vita à Marseille, sous les yeux ébahis et les bouches bées des manifestants.

GERARD JULIEN / AFP

D'autres internautes raillent la mise en scène des actions d'Alliance Vita. "J’ai l’impression de regarder Arte la nuit quand je suis bourré", dit un utilisateur de YouTube. "Pourquoi personne n’aide cette personne à marcher ?" s'interroge un autre, tandis qu'un malicieux fait remarquer que la tenue de l'enfant-oiseau aurait eu largement sa place à la Gay Pride. Le Monde.fr s'amuse quant à lui à imaginer l'origine de la "danse de l'oiseau", en citant la chanson de Michel Fugain, Fais comme l'oiseau... Si le buzz est incontestablement réussi, le message, lui, est brouillé.