"J'archive les dérapages pour que ça colle à la peau des homophobes"

Capture d’écran Tumblr "Hop - hop - hop - homophobie".

Inceste, pédophilie, polygamie, consanguinité... Le dérapage homophobe sur le mariage des homosexuels commis par le maire UMP du 8e arrondissement de Paris, François Lebel, et rapporté mardi par FTVi, n'est pas un cas isolé. Le mois dernier, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, avait déjà fait le lien entre ouverture du mariage aux couples du même sexe, polygamie et inceste. Ce matin, Christine Boutin, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy et pasionaria anti-Pacs, a, elle aussi, associé "mariage homosexuel" et "polygamie".

Des propos qui exaspèrent Lucas Armati, journaliste de 32 ans, et gay. Début septembre, il a ouvert un blog, baptisé "HOP - HOP - HOP - HOMOPHOBIE". L'objectif : "Compiler tous les propos homophobes, délirants, apocalyptiques que l'on entend pendant ce débat." Pourquoi ces archives de l'homophobie ? Voici les explications que Lucas m'a données.

Pourquoi avoir créé ce blog ?

Lucas Armati : A l'époque de l'adoption du Pacs, j'avais 18 ans. J'ai quelques souvenirs du débat autour du Pacs : Christine Boutin et sa Bible et les slogans très hostiles dans des manifestations anti-Pacs... Mais le web n'était pas démocratisé en 1999 et les souvenirs se sont estompés au fil des années. A l'époque, des propos tels que "Et pourquoi pas des unions avec des animaux ?" [déclaration datant de 2011 de Brigitte Barèges, députée UMP], il y en a eu beaucoup à l'époque. On l'a beaucoup oublié. Ce Tumblr permet donc d'archiver les dérapages.

Pour moi, il est important de s'adresser à ceux qui détiennent la parole publique (politiques, éditorialistes, évêques...) et de leur dire : "Attention à ce que vous dites. Dans cinq ou dix ans, grâce à Google, votre nom sera directement associé à votre dérapage, on pourra retrouver le moindre de vos dérapages. Cela vous collera à la peau."

Est-ce aussi une façon de souligner qu'on ne se soucie pas assez des questions d'homophobie ?

En 2009, un livre compilait toutes les lettres d'insultes reçues par Noël Mamère après la célébration d'un mariage entre deux hommes à Bègles [dont il est maire]. Le fait d'avoir dans un seul endroit toute cette violence homophobe a un effet de prise de conscience de ce que peut être l'homophobie. Cela tranche avec ce que l'on entend souvent, à savoir que les homosexuels sont mieux intégrés dans notre société, de plus en plus acceptés et qu'ils n'ont rien à revendiquer. Mettre tout sur ce blog a un effet un peu sidérant à la lecture.

Il faut quand même s'imaginer à la place d'un jeune homme ou d'une jeune fille qui a aujourd'hui 13 ou 14 ans, qui se dit "je suis homo". Imaginez cette personne entendre tout ce qui est dit actuellement, notamment les comparaisons avec l'inceste, la pédophilie, la zoophilie. Tout cela doit être d'une violence extrême pour ces jeunes gens, qui sont moins préparés, moins habitués que les plus âgés. Quand le texte de loi sera débattu au Parlement, la violence va redoubler. On sera là pour compiler et archiver.

Certains opposants au projet de mariage et d'adoption pour les couples homos regrettent d'être systématiquement taxés d'homophobie. Le comprenez-vous ?

Ils ont des arguments qui vont contre l'égalité des droits. Je fais le parallèle avec le débat qui a eu lieu dans les années 60 aux Etats-Unis, quand les Noirs réclamaient les mêmes droits que les Blancs. C'est difficile de dire aujourd'hui que ceux qui ne voulaient pas laisser les Noirs accéder aux mêmes droits que les Blancs n'étaient pas racistes. C'est la même chose avec l'homophobie : dans vingt ans, on se dira que c'est fou qu'on ait eu tant de dérapages et de violence, et on aura exactement le même regard sur ces opposants.

Pour bâtir leur argumentation, ils font appel à un ordre soi-disant naturel, à la religion, qui n'a rien à voir avec le débat sur le mariage civil, ou carrément à des visions apocalyptiques de la société. Parfois, c'est tellement délirant que cela peut avoir un côté drôle. Mais cela reste avant tout tragique. D'ailleurs, faire ce recensement est parfois dur.

Après, il y a différents niveaux d'homophobie. L'homophobie primaire avec la volonté de "casser du pédé" s'avère au final assez peu présente. On entend surtout de l'homophobie rentrée, culturelle, sous-entendue. Derrière des propos de compassion, on nous explique que nous devons rester une sous-catégorie de la population. Mais nous sommes des citoyens à part entière.