"Mariage gay" : le poids des mots

Les "unes" de la presse. (FTVi)

Mariage gay, mariage homosexuel, mariage pour tous... A FTVi, la question sémantique s’est posée au moment de l’appel à la prière (notamment) contre l'ouverture du mariage aux homos lancé par la Conférence des évêques de France pour le 15-Août. Lors de notre conférence de rédaction quotidienne, nous avons été plusieurs à faire remarquer qu’il serait temps d’en finir avec l’expression "mariage gay"... Et j’ai été surpris par la ligne de front que nous avions ouverte : la conférence de rédaction a viré au débat polémique.

Pour certains de mes collègues, abandonner le "mariage gay", c’est "céder à une revendication communautaire", "utiliser une expression de communication politique", "se tirer une balle dans le pied car on comprend pas ce que signifie le mariage pour tous”. Rien que ça. Le désaccord entre nous a perduré plusieurs jours jusqu’à ce que nous faisions appel aux secrétaires de rédaction de FTVi. Tels des casques bleus, ils ont tranché : ce sera le "mariage des homos". L’adjectif est tombé. Voici ce que les secrétaires de rédaction ont envoyé aux journalistes de FTVi :

 

"En titre et en titraille : on utilise essentiellement 'mariage des homosexuels' ou "mariage des homos'. On évite ainsi l'écueil de l'expression 'mariage homo' ou 'mariage gay', qui peut induire que la loi proposera un mariage spécifique aux homosexuels, ce qui n'est pas le cas ; on ne dit pas non plus 'mariage des gays' car on peut nous reprocher de ne pas parler des lesbiennes...

On ne parle pas non plus, en titraille, de 'mariage pour tous', l'expression ayant à mon sens deux inconvénients : 1/ Elle fait très com' gouvernementale et n'est utilisée que par les partisans de la nouvelle loi, on peut donc nous accuser de parti pris (et nous devons rester impartial, service public oblige). 2/ Surtout, 'mariage pour tous' est peu explicite et équivoque. Exemple : si je titre 'L'Eglise catholique contre le mariage pour tous', la moitié de nos lecteurs ne comprendront pas de quoi il s'agit. D'autres estimeront que le titre est anti-catho. Et certains comprendront aussi : 'L'Eglise catholique contre le mariage pour quiconque', ce qui serait un sacré revirement : tous les catholiques vont devoir divorcer et vivre à la colle...

"Facilité de langage"

Le "mariage gay" avait un énorme avantage pour les journalistes : c’est une expression courte et claire qui se glissait facilement dans un titre.  Ajoutez à cela, qu’une large partie de la population s’est appropriée l’expression. Comme le note Slate.fr, la recherche Google "mariage gay" écrase tout. Sur le "mariage pour tous", le "volume de recherche [est] insuffisant pour afficher des graphiques", nous dit Google.

Alors pourquoi les assos LGBT ne peuvent plus voir le "mariage gay" en peinture ? Elles sont plus sensibles à la sémantique car nous n’avons jamais été aussi proche de la concrétisation du mariage et de l’adoption, rappelle Slate.fr. Et les assos redoutent précisément un "droit spécifique", c’est-à-dire sans les notions de filiation et d’adoption, une simple union civile qui offrirait les droits du mariage. J’ai interrogé à ce sujet Nicolas Gougain, porte-parole de l'Inter-LGBT (qui organise notamment la gay pride). S’il reconnaît une "facilité de langage" utilisée par les médias, il estime que l’adjectif qualificatif "gay" accolé au mariage est aussi "blessant". "Le mariage gay, comme le mariage gris, le mariage arrangé..."

Compromis

Dans ce débat sur l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels, chacun choisit ses termes en fonction de ses idées. Le gouvernement parle par exemple de "mariage pour tous", les opposants au projet dénoncent le "mariage gay", et, Civitas, mouvement catholique extrémiste, parle de "duos gays", pour décrédibiliser le couple formé par deux personnes du même sexe.

Nous sommes conscients que le choix de FTVi pour le “mariage des homos” n’est pas parfait. Pour nous, c’est un compromis entre la nécessité journalistique de rendre compte d’une nouveauté sociale et la volonté d’être neutres. Quand ce "mariage des homos" sera rentré dans les mœurs, il ne s'agira plus que d’un simple mariage.