Rentrée littéraire 2014 : quatre recommandations pur plaisir, pour commencer

Au secours ! Six cents romans débarquent cet automne dans les librairies, et la concurrence sera impitoyable. Que choisir dans cette avalanche? Premières recommandations :

Le goncourable

Olivier Adam publie Peine perdue, époustouflant roman choral. Point de départ : l'agression d'Antoine, footballeur surdoué et fantasque qui aurait dû "devenir le prochain Zidane". Dans le camping où il vit d'expédients, Antoine a été laissé pour mort, après avoir été attaqué à coups de batte de base-ball. Qui a fait le coup? Tour à tour défile, sur fond de tempête qui dévaste le sud de la France, une galerie de vingt-deux portraits, tous liés à Antoine. Le malfrat, l'entraîneur de foot, l'ado fugueuse, la romancière lesbienne ... 22 portraits marquants, 22 histoires d'une France sous tension, dans le décor (de rêve ?) de l'Esterel, en bord de mer. Un roman haletant, superbement construit, et une peinture criante de vérité d'une société en crise . Allô, le jury Goncourt, vous m'entendez ? Ou c'est vraiment Peine perdue ?

♥ Peine perdue, d'Olivier Adam (Flammarion, 21,50)

Le biopic

Qui connaît encore le nom de Jean-Pierre Rassam (1941- 1985), producteur génial, flambeur, toxico, qui vécut des années dans une suite du Plaza Athénée ? Christophe Donner signe un extraordinaire portrait de cette figure de légende. Riche Libanais, le père de Jean-Pierre n'a guère le temps de s'occuper de l'enfant, mais il le soigne. Son fils intègre Sciences-Po, à Paris ? Il lui achète un vaste appartement, à l'angle de la rue Saint-Guillaume et du boulevard St-Germain. Brillant, le jeune homme rate deux fois l'Ena : la première pour ne pas s'être réveillé. La seconde pour avoir avoué dans un éclat de rire, après dix minutes éblouissantes sur l'auteur de L'annonce faite à Marie,  n'avoir jamais lu Péguy.  De toute façon, il a mieux à faire : il se prend de passion pour le cinéma français et forme avec les cinéastes Claude Berri et Maurice Pialat un trio d'autant plus lié que Berri épouse la soeur de Rassam, et que Pialat a pour maîtresse la soeur de Berri (vous suivez ?).  Rassam produira Godard et Bresson, Pialat et Jean Yanne, Ferreri et Polanski, la fine fleur du cinéma d'auteur de ces années-là. Chaque page du livre -Rassam jouant sa soeur au poker contre l'oscar de Claude Berri, Rassam ramenant de Prague envahie par les chars russes les jumeaux de Milos Forman, Rassam généreux, irascible, insupportable, vous arrache un rire, une larme, un bond, une indignation. On ne prête qu'aux riches et l'écrivain avoue avoir brodé autour de ce personnage hors normes. Les lecteurs soucieux d'exactitude et de légèreté s'abstiendront, mais la critique encense déjà ce roman jubilatoire et cruel.  Qui, prudent,  s'arrête avant l'entrée en scène de Carole Bouquet. Elle fut la dernière compagne du producteur, elle est la mère de son  fils, Dimitri.

 Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive, de Christophe Donner (Grasset, 19 euros)

Le nostalgique

Ils étaient quatre amis. Le fils d'ouvrier surdoué qui rate l'Ena et fait carrière au PS. Le futur businessman qui aime les femmes (et de moins en moins la sienne).  Le photographe qui va droit à l'essentiel : son art. Le comédien homosexuel qui perçoit très tôt son attirance pour les garçons, mal vue dans sa Normandie natale. Car l'histoire débute en province à l'aube des années 80, quand ils passent leur bac, avant de s'achever à Paris. Le lecteur suit  nos quatre héros pendant trente ans : de la France de 1981 (qui vit la victoire du socialiste François Mitterrand à la présidentielle) à celle de 2012 (celle de François Hollande). Quatre beaux portraits et une prenante saga sur lequel flotte, de compromis en désillusion, un entêtant parfum d'amertume.

♥ Le bonheur national brut, de François Roux (Albin Michel, 22,90 euros)

Le bretonnant

Plantez le décor : l'île aux Moines, villégiature chic des beaux quartiers parisiens. Amenez-y une jeune Anglaise débarquant d'un voilier avec son père, dans les années 30. Séduite par le charmant habitant d'un manoir, elle l'épouse, juste avant la seconde guerre mondiale. Esprit de contradiction ? Fidélité à la mère patrie ("right or wrong, my country" : qu'il ait raison ou tort, c'est mon pays) ? Envie de s'amuser ?  Cette forte tête rejoint la résistance. Ce qui ne l'empêche ni de succomber aux délices de la chair, ni de faire la fête au casino de la Baule, en compagnie peu fréquentable. Ajoutez quelques autonomistes bretons. Pimentez d'histoires d'amour qui tournent à l'imbroglio et faites défiler un demi-siècle d'histoire, avec la fluidité d'écriture d'un rédacteur en chef de Paris Match.  Recette éprouvée, résultat efficace.

  La femme qui dit non, de Gilles Martin-Chauffier (Grasset, 19 euros, sortie le 27 août)