Rentrée littéraire 2014 : l'engouement saisonnier dissipera-t-il les nuages à l'horizon?

C'est la rentrée ! Une flopée de romans - 607, dont 404 français, selon le pointilleux décompte de Livres Hebdo - déboule cet automne sur les étals des libraires.

Seule une vingtaine bénéficiera d'une réelle couverture médiatique. Et une petite dizaine d'auteurs à peine verra son travail conforté par des prix littéraires prescripteurs (Goncourt, Goncourt des lycéens, Fémina, Médicis, Renaudot ...). Le bref engouement de saison pour la littérature fera-t-il oublier les nuages qui planent sur l'édition française ? Et parmi eux :

Un marché en déclin

Les statistiques ne sont guère riantes. En 2013, le marché du livre a accusé un recul de 2,7% par rapport à 2012, selon l'institut GfK. Pire encore, selon Livres Hebdo, les ventes ont reculé de 6,5%, en juin dernier - mois pourtant favorable aux achats de lectures de vacances. Et le livre "se porte beaucoup moins bien que la consommation, tous produits confondus".

Comment va, plus précisément, la littérature générale, qui fait sa rentrée cette semaine et représente un quart du marché total du livre (évalué à 4 milliards d'euros) ? Elle n'aurait baissé que de 0,7% en 2013, selon GfK.

Une chute amortie par le succès du livre de poche, encore en croissance en 2012 (1,4%, selon les dernières données disponibles du Syndicat national de l'édition). Comme l'atteste le palmarès des meilleures ventes Edistat pour la première semaine d'août, il a également fait recette cet été.

La rentrée littéraire, qui représente 20% du chiffre d'affaire annuel de la "fiction moderne" selon GfK (en 2012), s'annonce donc décisive pour relancer les ventes en grand format. D'autant que le poids des principaux prix littéraires aurait tendance à s'accroître.

prixlit

Les ventes cumulées des romans récompensés se sont ainsi envolées à plus d'un million de volumes en 2012, dopées par le Goncourt des lycéens (La vérité sur l'affaire Harry Quebert, du Suisse Joël Dicker). La saison 2014 trouvera-t-elle sa locomotive ?

La tempête Amazon

Quant au livre numérique, dont la part de marché est encore faible (4,7% en 2013 selon la fourchette haute de l'institut Xerfi), deviendra-t-il un jour l'eldorado promis aux éditeurs de fiction française ? Pas sûr. Amazon, qui domine le secteur, entend se tailler la part du lion dans les marges dégagées, sachant que "les meilleures ventes sur Internet sont les mêmes que celles réalisées dans les librairies traditionnelles" (Les Echos).

Et c'est un des grands enjeux de la bataille Amazon-Hachette. Amazon veut doper les ventes des best-sellers, dès leur sortie, avec un tarif promotionnel à moins de dix dollars pour la version numérique. C'est avec ce prix cassé que l'entreprise de Jeff Bezos a convaincu outre-Atlantique les gros lecteurs addictifs (thrillers, SF, fantastique, etc.) de s'équiper en tablettes et liseuses.

Fort de ses 2 milliards de chiffre d'affaires en 2013 (un chiffre qui s'amenuise), dont 40% pour la littérature générale, Hachette refuse depuis des mois de céder à l'ultimatum d'Amazon. Géant mondial de l'édition, le groupe français ne veut pas brader les prix de ses nouveautés en format numérique. Malgré les économies réalisées (pas d'impression, pas de stockage, etc.),  il n'accorde qu'un rabais de 25% à 30%, .

Ses arguments ? Conserver sa rentabilité (223 millions d"euros de résultat opérationnel en 2013), mais aussi, développe Michael Pietsch, le président de la filiale américaine Hachette Book Group, dans sa lettre ouverte à Jeff Bezos, préserver la chaîne traditionnelle du livre, assurer la diversité éditoriale et faire un vrai travail d'accompagnement des auteurs.

Il a été appuyé par la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, qui a jugé "inqualifiables" les pratiques d'Amazon (Le Monde du 12 août). Elle a emboîté le pas à plus de 900 auteurs américains (Stephen King, Paul Auster, Jay McInerney...). Tous inquiets que le livre ne soit plus, pour Amazon, qu'un produit parmi d'autres (moins de 30% de son chiffre d'affaires).

Un produit que le distributeur américain entend vendre à un prix compétitif, en se passant si nécessaire des intermédiaires (libraires, éditeurs ...), qui maintiennent en vie une littérature de qualité. Pour combien de temps ?

Une littérature française essoufflée ?

Mais les éditeurs (voire la presse et les critiques) français n'ont-ils pas également leur part de responsabilité dans le désintérêt grandissant pour le livre ?

Dans l'Hexagone, relève Télérama"la proportion de forts lecteurs (définis comme lisant plus de vingt livres par an) ne cesse de baisser : ils étaient 28 % des Français de plus de 15 ans en 1973, 24 % en 1988, 16 % en 2008, date de la dernière enquête". Dans le même journal, la philosophe Myriam Revault d'Allonnes dresse ce sombre constat : "Dans la guerre de l'attention, tout menace le livre qui réclame une attention au long cours."

Pour retenir ce lectorat fuyant, combien d'auteurs grand public et imaginatifs les éditeurs ont-ils contribué à faire émerger ces dernières années? Citons le Goncourt 2013 Pierre Lemaitre (Au revoir là-haut). Ou encore Joël Dicker, édité par un Bernard de Fallois ravi, à 86 ans, de jouer un bon tour à ses collègues en publiant le best-seller de l'année. Et puis ?

Dans la pléthorique cuvée automnale 2014, quoi d'original, percutant, irrésistible et au long cours ? Peu curieuse ? paresseuse ?  la presse ne trouve rien de mieux à vendre pour l'instant que les "valeurs sûres". Entendez le 23e roman d'Amélie Nothomb (Pétronille), Emmanuel Carrère "enquêtant sur la naissance du christianisme" (Le Royaume) ou Frédéric Beigbeder brodant sur la fugace histoire d'amour entre la future Madame Chaplin et  l'auteur de L'Attrape-Cœur (Oona & Salinger).

Comme le synthétise Le Monde des Livres sur Twitter :

Et en écho, Juliette Joste, éditrice chez Grasset :

Biopics et remakes, quel souffle d'air frais !  Où est la littérature qui parle, avec vigueur, chaleur, empathie, de la France d'aujourd'hui (signalons à ce propos le dernier Olivier Adam, Peine Perdue, qui sort cette semaine et répond à tous ces critères) ?

Rien d'étonnant si la littérature jeunesse, plus créatrice, plus inventive, a le vent en poupe  (5,9% de croissance en 2012). Mieux encore : vitaminée par la série des Hunger Games, puis par le fabuleux succès de Nos étoiles contraires de John Green, cette littérature jeunesse a rapporté davantage au Royaume-Uni que la littérature générale, au premier semestre 2014. Du jamais vu, selon Livres HebdoLes ados prenant goût à la lecture ? Enfin une bonne nouvelle.