Après les municipales, l' "Europe des Etats désunis" convaincra-t-elle ?

Abstention record, gouvernement sanctionné, percée du Front national ...  Trois phénomènes marquants des municipales, qui risquent de s'amplifier aux élections européennes le 25 mai. Pourquoi le projet européen s'est-il enlisé ? Pourquoi est-il devenu synonyme d'austérité, dans nombre de pays de pays de la zone euro ?

Dans Europe, les Etats désunis, Coralie Delaume s'interroge en citoyenne sur les dysfonctionnements de l'Union. Cette blogueuse de 37 ans, qui se réclame de la "gauche républicaine" et milite pour la sortie de l'euro tient depuis 2011 un blog consacré à l'Europe, L'arène nue.

Avec cet ouvrage, elle a voulu "faire quelque chose de plus consistant parce que l'Europe, c'est surplombant. Le but, c'est que les gens non économistes, non experts, puissent se dire: 'j'ai compris'". Objectif atteint, avec maintes questions soulevées. Citons-en trois :

 Politique : pourquoi si peu de démocratie directe ?

Qui s'y retrouve, dans les pouvoirs  des institutions européennes ? "En dehors d'une poignée d'initiés (...), combien de citoyens connaissent aujourd'hui le rôle, le visage, le nom même de ces Européens professionnels que sont Herman Van Rompuy (président du conseil européen), Catherine Ashton (haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères), Mario Draghi (président de la Banque centrale européenne) ou Martin Schultz (président du Parlement européen)  ?", demande Coralie Delaume.

Un anonymat qui renvoie à un problème de fond : les "invraisemblables arrangements que l'Union européenne prend au quotidien, avec la démocratie." L'essayiste s'étonne que ce soit "la Commission, organe pseudo-exécutif mais surtout non-élu qui propose les lois", même si "le Parlement dispose d'un droit d'initiative indirecte". Un constat partagé : même la députée centriste européenne Sylvie Goulard reconnait les "pouvoirs limités (du Parlement européen) en ce qui concerne le budget".

Mais le plus spectaculaire déni de démocratie, rappelle l'essayiste, reste le contournement du vote des peuples. Le "non" bafoué au traité constitutionnel européen" en demeure le meilleur exemple. Refusé par 55% des Français en mai 2005, l'essentiel du texte sera repris dans le Traité de Lisbonne qui ne sera pas soumis au référendum (mais ratifié par le Parlement français en février 2008, sous la présidence Sarkozy).

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Commerce : pourquoi si peu de publicité autour des négociations sur le traité transatlantique?

Quel est le grand chantier commercial en cours ? La négociation, peu médiatisée, sur le traité transatlantique. Le mandat confié par les pays de l'UE à la Commission européenne n'a même pas été rendu public, souligne Rue 89, "il a fuité sur le site de BFM-TV (on trouvera une traduction en français sur ce site du PCF)".

Cette négociation "aboutira,  avertit Coralie Delaume, à uniformiser tout ce que les transactions commerciales comptent de "barrières non tarifaires" : les normes environnementales et sanitaires (...), les normes sociales dont le droit du travail, le droit financier, le droit bancaire, les règles protégeant les données personnelles".

Le correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer, s'interroge tout autant. "Sur le fond, écrit le journaliste ( Libre-échange transatlantique : l'Union européenne à la rame),  les Américains sont décidés à obtenir le maximum (...). Ils veulent ainsi gaver l’Europe de leurs produits actuellement interdits de séjour, des OGM au bœuf aux hormones, en passant par la viande à la ractopamine ou le poulet à la chlorine". A droite, l'UMP Xavier Bertrand a qualifié dans Le Figaro le projet de "piège pour l'Europe et pour la France".

Sur Rue 89, Pascal Riché pose la question sans ambages : "Faut-il avoir peur du grand méchant traité transatlantique ?" Entre opposants et partisans, le débat reste cantonné à un petit cercle et à une étonnante discrétion (déplorée fin mars à Secret des sources, émission de France Culture auquel participait le correspondant de France 2 à Bruxelles François Beaudonnet).

Social : pourquoi une austérité si violente dans les pays du Sud?

En 2014, la croissance en zone euro, rappelle Le Monde, ne suffira pas "pour une véritable décrue du taux de chômage". Et d'ajouter : "En la matière, la situation est particulièrement préoccupante dans les pays périphériques, Italie, Grèce et Espagne en tête, où le taux de chômage des moins de 25 ans dépasse toujours 40 % de la population active". 

L'auteure revient longuement sur la situation de la Grèce endettée,  auquel  la troïka (UE, BCE, FMI) inflige une "cure austéritaire d'une violence inouïe". Une "cure" qui a débouché sur une crise humanitaire et sanitaire : Arte  note ainsi que  "3 462 euros, c’est le prix d’un traitement contre le cancer pour un mois aujourd’hui en Grèce"  et que "les pauvres ne peuvent plus se soigner". Et  Le Figaro relève que la Grèce détient le triste record du pays européen où la pauvreté a le plus progressé (23,7 % de la population en 2013 contre 11,8% en 2012).

Greek teachers  protest against layoffs.

Le spectre grec hante désormais l'Europe, avec une zone euro sous étroite surveillance. Avec la règle d'or contenue dans le TSCG (Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance), la Commission européenne, "destinataire des projets budgets des Etats membres avant même les parlements nationaux", souligne Coralie Delaume, "peut imposer à chaque Etat ce qu'il est supposé faire. Elle le peut et elle le doit : ces textes le disent suffisamment".

"Parvenir,  conclut-elle dans un réquisitoire accablant, à faire que dans l'esprit des couches populaires "Europe" et "fins de mois difficiles" deviennent presque synonymes était une gageure . A ceux qui ont contribué à accomplir cet exploit, on peut le dire sans circonlocution, bravo !"

Le livre pointe les intérêts divergents des Etats de l'UE, spécialement en zone euro. La Grèce en crise et l'Allemagne, puissance exportatrice mondiale, peuvent-elles vraiment avoir la même monnaie ? Faute de pouvoir jouer sur le budget ou la monnaie, les Etats de la zone euro, affirme Coralie Delaume, n'ont plus qu'une corde à leur arc : la baisse (sans fin ?) du coût du travail.

On peut n'être pas d'accord avec les conclusions anti-euro de cet ouvrage documenté et argumenté. On souhaiterait au moins que soient débattus, avant les européennes, les enjeux de fond clairement expliqués. Question de démocratie : aux élections européennes de 2009, le taux d'abstention a atteint 59,5%. Six Français sur dix.

-> Europe, Les Etats désunis, de Coralie Delaume (Michalon, 17 euros)