Pourquoi "cela revient cher d'être pauvre", selon Martin Hirsch

Cela devient cher d'être pauvre, constate Martin Hirsch dans son dernier livre. Le promoteur du RSA (revenu de solidarité active) rappelle qu'aux plus démunis, "le mètre carré de loyer coûte plus cher. Le contrat d'assurance est moins favorable. Les dépenses restant à sortir de sa poche quand la Sécurité sociale a remboursé sa part sont plus élevées." Quatre exemples détaillés dans son livre :

Assurance auto

Premier exemple, auquel on n'aurait pas pensé spontanément : l'assurance auto. "Aux Etats-Unis, au Canada, en France, des journalistes ... ont fait une demande d'assurance pour un véhicule avec leurs vrais revenus, puis une autre en indiquant des revenus plus faibles, pour la même voiture, le même âge, les mêmes caractéristiques". Résultat ? "Le devis est revenu plus cher pour le dossier indiquant le revenu le plus faible".

En 2012,  AutoPlus avait renouvelé l'expérience dans l'hexagone en comparant le coût des assurances automobiles entre un chômeur et un salarié. Résultat ?  "Dix-sept compagnies d'assurance sur vingt-sept ont imposé un tarif plus élevé aux sans-emploi, l'écart pouvant aller jusqu'à 33% de surcoût, soit 180 euros", relevait le magazine qui titrait à la une Le scandale de la surtaxe chômeurs.

Pourquoi ? L'ancien haut commissaire aux solidarités actives le souligne, cela reste partiellement un mystère, mais "l'un des motifs évoqués était qu'un chômeur se déplace davantage ...pour les entretiens d'embauche et qu'il dispose de plus de temps libre !".

Téléphone

Martin Hirsch s'attarde aussi sur un autre surcoût méconnu. "En France, affirme-t-il, la minute des cartes prépayées est plus chère que le coût d"une minute extraite d'un forfait" tandis qu'elle est "particulièrement bon marché" dans d'autres pays.

Pourquoi ? Selon l'auteur, l'opérateur décide de faire payer davantage la minute de téléphone à ceux qui n'ont pas de forfait. "Pour les opérateurs, détaille l'essayiste, le coût marginal d'une minute de téléphone est quasiment nul (tant que le réseau n'est pas saturé). Les coûts sont essentiellement composés des coûts fixes mutualisés entre tous les clients" (coûts d'infrastructure technique, de production etc.).

Or cette mutualisation permet une "réelle souplesse dans le mode de tarification" : en clair, les vendeurs peuvent choisir "de faire subventionner les grands consommateurs par les petits ou les petits consommateurs par les grands, en adoptant des taux de profit différent selon le type de clients".

 Résultat ? "Le petit client, qui achète des cartes prépayées parce qu'il ne remplit pas les conditions plus strictes pour avoir un forfait, notamment celle de pouvoir supporter un prélèvement automatique, est un client 'à un coup'. Il n'est pas fidèle, il n'est pas captif. il est donc tentant d'en tirer le profit maximum à chaque achat".

Lessive

C'est une lapalissade : acheter en gros permet d'acheter moins cher. Mais les petits revenus ne peuvent guère investir pour l'avenir.

Exemple donné par le président de l'Agence du service civique : "Un paquet de lessive coûte 10 euros, qu'un ménage très modeste ne pourra pas dépenser d'un coup, ayant à arbitrer entre plusieurs types de dépenses ... Il sera donc tenté par le paquet plus petit. Mais qu'il achètera plus souvent."

Pourquoi ? Prenant acte de ce mode de consommation contraint, "les fabricants et les distributeurs ont développé des minidoses dont le coût par gramme ou par millilitre est bien plus élevé... Les plus modestes payeront donc leur dose de shampoing ou de lessive plus chère que ceux qui peuvent s'acheter des quantités standard."

Crédit

"On ne prête qu'aux riches", adage faux ou incomplet. On prête aussi aux pauvres, mais c'est plus cher. Parce qu'ils négocient moins bien, ne menacent pas de transférer ailleurs leur épargne, mais aussi parce qu'ils empruntent des petites sommes.

Martin Hirsch décortique la procédure de prêt bancaire. "Un dossier pour un prêt coûte des frais fixes (il faut du temps pour constituer un dossier) et ce coût est le même pour un prêt de 1000 euros ou pour un prêt de 10 000 euros. Admettons que ce coût soit de 50 euros. Il ne représentera que que 0,5% des 10.000 euros... Pour le prêt de 1000 euros, les mêmes 50 euros représenteront cette fois 5%, ce qui peut être supérieur au taux de base".

Pourquoi ?  Les moindres revenus sont toujours pénalisés par des frais fixes, proportionnellement plus importants pour leurs bourses.

Conclusion : "si toutes choses  égales par ailleurs, les plus modestes payaient le même tarif pour leurs besoins essentiels que le reste de la population, ils économiseraient 6 à 8% de leurs revenus". D'autant qu'en vingt ans, la part des dépenses contraintes pèse de plus en plus lourd puisqu'elle "est passée d'un quart à la moitié du revenu".

Que faire face à cette inflation des coûts contraints ? Pour Martin Hirsch,  trois leviers traditionnels -  "l'augmentation du Smic, l'augmentation des salaires, l'augmentation des dépenses sociales -n'ont plus d'effets significatifs sur la pauvreté comme des râteaux sans dents".  Il prône donc ce qu'il appelle le "social business"  : fournir à la population la plus déshéritée de quoi pourvoir à ses besoins essentiels grâce au mécénat d'entreprise (Renault, Danone ou Schneider Electric sont d'ailleurs partenaires de la chaire qu'il co-préside à HEC).

Et de citer entre autres 'l'association Optique solidaire, qui regroupe industriels, opticiens et mutuelles solidaires et dont il préside le comité d'éthique. L'objectif est de "favoriser l'accès des populations financièrement fragilisées à une optique de qualité", à moindre coût. Il balaie en revanche d'un revers de plume les interrogations suscitées (les entreprises doivent-elles se substituer à l'Etat ?)

-> Cela devient cher d'être pauvre, Martin Hirsch (Stock, parti pris, 12,50 euros).