Guerre de Gaza de 2008 : "déluge de feu" ou "guerre asymétrique" ?

Rappel des réservistes, multiplications des raids israéliens sur Gaza, tirs de roquettes sur Israël ...

Quatre ans après la guerre de Gaza de l'hiver 2008-2009, qui fit 1300 morts côté palestinien, selon MSF, les opérations militaires reprennent. Elles s'accompagnent des mêmes antiennes, des mêmes communiqués, des mêmes appels de l'Union européenne à des réponses "proportionnées".

Dans un court essai paru en 2010, A un ami israélien, Régis Debray décortiquait la bataille de communication israélienne pendant la guerre de Gaza. Une bataille d'autant plus efficace que les journalistes s'étaient vu interdire l'accès au territoire palestinien par l'armée israélienne. Analyse du "médiologue":

La guerre des mots
"Ce qui chagrine, écrivait Régis Debray à cet "ami israélien"  (l'ancien ambassadeur d'Israël en France Elie Barnavi),  c'est "de nous avoir accoutumés à une sorte de novlangue."[...]

"On ne boucle pas une population, on évacue* un territoire. On ne l'écrase pas sous un déluge de feu, on conduit une guerre asymétrique. Il n'y a pas de peine de mort, il y a l'exécution extrajudiciaire (qui exécute souvent, en plus du condamné, femmes, enfants et voisins). Il n'y a pas de Mur, mais une clôture de sécurité. On réclame fort légitimement des frontières sûres et reconnues,sans préciser lesquelles (la frontière, c'est pour soi, pas pour l'autre).

La novlangue est si bien rodée que c'est aux seuls Palestiniens que la "communauté internationale" pose des conditions. Les quatre milliards de dollars annuels que vous fournissent les Etats-Unis ne sont conditionnés à rien, les centaines de millions offerts aux Palestiniens le sont sévèrement".

La guerre des images
A la bataille sémantique se superpose celle des images. En 2008, quelle télévision étrangère a été seule à diffuser, de l'intérieur, des reportages de la bande de Gaza sous les bombes ? Al-Jazeera, la chaîne du Qatar,  rappelle Régis Debray, puisqu'elle avait "déjà ses correspondants sur place" avant le début du conflit.

Le "blocus visuel" israélien, continue-t-il à l'adresse d'Elie Barnavi, "fut la plus sage des décisions alors prises par votre gouvernement, la faible visibilité d'un massacre est devenue la condition sine qua non de son succès." [...]

"Le malheur est qu'Al-Jazeera ... avait ses caméras et ses micros des deux côtés, pour d'instructifs allers-retours. Arabes et Occidentaux n'ont pas vu la même guerre." [...]

"L'opinion publique israélienne elle-même est la preuve de ce que j'avance. Si vos millions de téléspectateurs n'avaient pas vu et entendu, à la fin  de cette "guerre", un médecin palestinien ... assistant en direct, sur un plateau de la chaîne 10, à la mort de trois de ses filles déchiquetées sous ses yeux par un obus de tank - parce qu'une de vos journalistes l'appelait à ce moment-là, sur un portable-, les méchants seraient restés des méchants, et les bons des bons jusqu'à la fin des temps." [...]

"Tes concitoyens, conclut Régis Debray, ont réagi illico, et Tsahal a cessé le feu deux jours après. On ne dira jamais assez de bien de la société du spectacle".

Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui, deux ans après la publication de cette lettre dont Elie Barnavi dit qu'à "quelques nuances près", il aurait "pu la signer" ?

Le processus de paix n'a pas progressé d'un iota, mais le contexte diffère puisque les révolutions arabes ont renversé les Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi au pouvoir depuis des décennies. Demeurent les impératifs de la guerre de communication, qui bat déjà son plein sur tous les réseaux.

A un ami israélien, de Régis Debray avec une réponse d'Elie Barnavi, Flammarion, Quai Voltaire (12 euros) (*Dans les extraits cités, les italiques sont de Régis Debray)

-> Comme le rappelle ici L'Express, les éditions J'ai lu ont publié Je ne haïrai point, le récit de la vie du Dr Izzeldin Abuelaish, et de son engagement pour la paix, trois ans après la mort de trois de ses enfants, tués par un obus israélien à Gaza.

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : Debray, Gaza