A quoi sert le prix Goncourt ?

Les quatre romans en lice pour le Goncourt 2012 (AFP)

Esprit des Goncourt, es-tu là ? Alors que le prix  2012 a été décerné mercredi 7 novembre à Jérôme Ferrari pour Le sermon sur la chute de Rome, l'éternelle question ressurgit, qui fait les délices de Saint-Germain des Prés. Bon prix ? Bon livre ?

Dans Un siècle de Goncourt, Robert Kopp rappelle l'histoire du plus célèbre des prix littéraires, et le sens qui lui a été donné à travers les décennies.

Un prix pour un jeune romancier ?

En 1862, deux écrivains, les frères Goncourt, décident de fonder une "société littéraire". Après la mort de Jules, Edmond, l'aîné, définit en 1974, dans un premier projet de testament, les statuts de cette Académie et l'esprit du prix qui portera son nom :

"Mon voeu suprême, voeu que je prie les jeunes académiciens futurs d'avoir présent à la mémoire, c'est que ce prix soit donné à la jeunesse, à l'originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme. Le roman, dans des conditions d'égalité, aura toujours la préférence....

Dans le cas, mais seulement dans le cas où il y aurait unanimité des dix membres pour déclarer qu'il n'a pas paru dans l'année d'ouvrage digne du prix, ce dernier pourra ne pas être donné et le capital affecté au prix grossira de sa rente celui des années suivantes". ("Rente" de dix euros aujourd'hui, mais initialement de 5000 francs or).

Les indications des Goncourt ont-elle été suivies ? Davantage qu'on ne le croit. Ces dix dernières années, deux primo-romanciers ont ainsi été récompensés : Jonathan Littell en 2007 pour Les Bienveillantes (Gallimard) et Alexis Jenni en 2011 pour L'Art français de la guerre (également publié dans la célèbre collection blanche). Ils avaient respectivement 39 et 48 ans au moment du prix.

Un prix pour "porter quelques jours la littérature au premier plan" ?

Les Goncourt doivent-ils récompenser des chefs d'oeuvre ? Robert Kopp cite dans son essai cette réponse abrupte et modeste d'André Billy, académicien Goncourt de 1943 à 1971 (et 4e couvert chez Drouant), au Figaro littéraire, en 1969 :

"La raison d'être des prix littéraires n'est pas de de couronner des chefs d'oeuvre. Les chefs d'oeuvre sont très rares et difficilement reconnaissables quand ils paraissent... Aujourd'hui, la raison d'être des prix littéraires, en particulier du prix Goncourt, est de porter pour quelques jours la littérature au premier plan d'une actualité faite le reste du temps de politique, de cinéma et de sport".

Quarante ans plus tard, pas un mot à retrancher : la courte saison des prix littéraires est la seule qui projette quelques romans sous les feux des médias, et surtout de la télévision. Le Goncourt devient ensuite, d'un geste machinal, le cadeau facile de fin d'année, avec des succès variables.

Si Jonathan Littell a écoulé plus de 500.000 Bienveillantes en 2006, la moyenne tourne plutôt autour de 300.000 exemplaires, selon l'institut GfK, soit le double d'un Femina (autour de 160.000 exemplaires). Mais hélas, même ultra-médiatisée, la rentrée littéraire ne pèse pas plus de 2,5% du chiffre d'affaires annuel du marché du livre, toujours selon GfK.

Un prix pour récompenser un "roman naturaliste, voire populiste" ?

Dernière question: quel type d'oeuvre doit être récompensé ? Académicien Goncourt durant trente ans (1977-2007) et "faiseur de prix" pendant plus de deux décennies, l'écrivain François Nourissier avait confié à Lire, en 1991, sa vision du livre méritant et du lauréat idéal.

Il y a, disait-il, "une loi non écrite, cette tradition naturaliste qui fait qu'apparaît bien rarement dans nos sélections la littérature fantastique ou d'anticipation, ou de science-fiction par exemple. Le profil idéal du candidat? C'est un écrivain de 35-45 ans qui publie son troisième ou son quatrième roman (le lauréat 2012, Jérôme Ferrari, a 44 ans. Son Sermon sur la chute de Rome est son 6e roman). Cela dit, s'il n'y a pas de "style Goncourt", le goût qui domine parmi nous est francophone, naturaliste et même populiste, plutôt que pointu, avant-gardiste et mondain".

Francophone et naturaliste, comme le voulaient les frères fondateurs, plutôt que fantastique, avant-gardiste et mondain ... Les prix Goncourt des années récentes relèvent-ils vraiment de cette veine?

Les jurés du IIIe millénaire se sont permis bien des écarts, souvent sous l'influence de grands vents balayant d'un souffle neuf une littérature parfois un peu confite.

Ils ont ainsi récompensé en 2008 l'étonnant Syngué Sabour. Pierre de Patience d'Atiq Rahimi, originaire d'Afghanistan, ou, en 2010, Trois femmes puissantes de Marie NDiaye, qui flirte parfois avec le fantastique. Mais pas, cette année, l'émouvant Lame de Fond signé Linda Lê, où le personnage principal s'adresse, d'outre-tombe, au lecteur.

Un siècle de Goncourt de Robert Kopp, Découvertes Gallimard

 

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : Goncourt