Ecole, police, islam, prison ... : quatre jeunes de Nanterre racontent leur cité

Riadh Lékhéchène, Alexandre Philibert et Sylvain Erambert, trois des cinq auteurs de "Nous ... La cité"

Merci, Florence Aubenas ! Si son livre annoncé sur la préfecture des Hauts-de-Seine - où elle a vécu plusieurs mois "en immersion"- était sorti comme prévu cet automne, il aurait sans doute éclipsé Nous ...La cité qui vient de paraître aux éditions Zones. Son report a braqué les projecteurs sur cet estomaquant journal de Nanterre.

Les auteurs -quatre jeunes, Rachid Ben Bella, Sylvain Erambert, Riadh Lakhéchène, Alexandre Philibert, et leur éducateur Joseph Ponthus - y racontent l'école, la police, l'islam, la prison. Ce qui débuta, dans le cadre d'un atelier d'insertion par l'écriture, par un article pour Le Canard Enchaîné sur la police, est devenu un objet de fierté : "on est partis de rien et on a fait un livre".

Flanqués de deux anges gardiens de la cité, plusieurs des auteurs étaient venus samedi 22 septembre à Paris présenter leur oeuvre à un Salon d'éditeurs, dans le XIe arrondissement . Il y avait là l'éducateur, Joseph Ponthus, qui flirte avec le double mètre, Riadh Lakhéchène, beau gosse qui rêvait, adolescent, d'être graphiste, et travaille aujourd'hui pour une pizzeria, et  Alexandre Philibert, chic et flashy en cravate rose fluo.

Sous le regard de leurs potes, ils n'en ont guère dit plus que dans le livre. Mais quand Sandrine Bouchayer, juge d'application des peines à Nanterre, a débarqué pour les féliciter chaudement, quand elle a sorti les chèques de ses collègues magistrats pour en commander une dizaine d'exemplaires,  ils se sont illuminés. La parole changeait de camp. Morceaux choisis d'un livre qui tour à tour choque, émeut, fait rire et bouleverse.

L'école

"A chaque fois, je me suis fait virer pour comportement, au troisième trimestre, parce que les deux premiers, tu reste sérieux pour bien te faire voir des profs, et le troisième tu peux tout baiser. C'est là où les profs ils ont la rage quand ils t'aimaient bien et qu'après ils voient que tu baises tout. Après c'est vrai que nos blagues elles étaient nombreuses. Bon, elles étaient gentilles, hein, on balançait pas de pétards ni de cailloux. Mais elles étaient nombreuses".

Garde à vue

"Ma première garde à vue est pour un scooter volé et j'ai quatorze ans et toutes les semaines, après, je les enchaîne, les garde à vue. Les keufs me connaissent, me disent même "Encore toi !" et même la juge des enfants en a marre de me voir jusqu'à ce qu'elle décide de me placer en foyer pour mineurs où je dois rester quatre mois. J'avais quinze ans. Mais le foyer, quand on regarde bien, il n'y a rien de bien, en fait c'est la case avant la prison, je connais aucun mineur qui est sorti du foyer et n'est pas parti en prison".

La police

"La police dite de proximité, la BAC (Brigade anti-criminalité) ? Elle n'a pas la cote..."
"Faudrait virer tous les flics et les remplacer par des gendarmes. Les gendarmes, s'ils viennent t'arrêter, c'est vraiment parce que t'as fait quelque chose. Pas comme les flics qui viennent toujours te faire chier pour rien, même si t'es en règle à cent pour cent. Les gendarmes, ils parlent super bien, ils ont une vraie éducation, tous."

"Quand tu vois des flics tout retourner chez toi, insulter ton père et voir ta mère pleurer, tu peux que avoir le seum (la rage)."

L'islam

[Riadh] "En général, à la cité, la première religion des Noirs et des Arabes, c'est la religion musulmane. C'est vraiment une question d'éducation, ça vient des parents, mais pas seulement. La religion, ça aide à donner un sens, à s'en sortir. Moi, par exemple, ma mère ne m'a pas trop élevé dans la religion, ça vient plus des copains et de la fréquentation de la mosquée."

"La religion, on y pense souvent à la cité, parce que, par exemple, il y a des frères musulmans qui viennent faire des "rappels". Les rappels, c'est des histoires qui sont arrivées au Prophète et qui disent ce qu'il est important de de faire ou non".

[Alex, converti à l'islam] "La première fois où je suis allé à la mosquée, c'était pour ma conversion.."
"Pour les médias, les gens ne voient que les mauvais côtés de la religion par exemple, les attentats, c'est pas ça la religion pour moi". "Le traitement médiatique des musulmans, c'est une fabrique de la peur".

 La prison

 "Pour définir la prison, je dirais que c'est comme si on était à la cité, mais c'est un concentré de cité, tout est plus intense. Les drogués sont plus drogués, les fous sont plus fous. Pour les embrouilles,ça peut partir d'une clope..."

Les filles

"C'est plutôt pas évident de choper une fille dans un quartier. L'occupation de l'espace public est ainsi faite qu'elles ne traînent pas dehors, à de rares exceptions près. les réputations vont vite, et l'on peut rapidement devenir une "douille" (une "fille facile", précise une note) à peu de frais : une attitude, un regard, une jupe.
Quelques-unes sont acceptées, sans qu'on sache trop pourquoi, une dégaine de garçons, un peu moins de timidité et plus de répartie, elles peuvent un peu trainer dans les bandes sans pour autant se faire draguer".

Les livres

"Riadh raconte l'anecdote du jour . -En fait, c'est trop bien, le livre que tu nous a offert...Je me suis fait contrôler par des flics dans le RER parce que j'avais pas de billet. Comme y avait du monde avant moi qui se faisait contrôler, j'enlève mes écouteurs et je me mets à lire, l'air tranquille, quoi. Les flics, ils ont vu que je lisais, ils ont dû se dire je sais pas quoi, et ils m'ont laissé partir comme ça..."

Signalons enfin que Rue 89 a publié d'autres extraits de ce livre qui fait entendre de nouvelles voix : celles d'une cité racontée par elle-même.