Apprenez à vous méfier de vos sens

Rockman of Zymurgy

Nous sommes tous influençables, à la merci des suggestions que nous recevons de nos parents, de nos enseignants, des médias, de la publicité, etc. De la même façon, un dégustateur est réceptif aux impressions venant de l'extérieur et la vue joue ainsi un grand rôle.

Je me souviens, alors étudiant, pendant les vacances d'été j'ai accompagné un voisin viticulteur dans une de ses livraisons. A un de ses clients restaurateur il avait apporté deux bouteilles de vin en échantillon. L'une était étiquetée « Edelzwicker » et l'autre « Pinot Blanc ». Il a fait goûter les deux vins à son client en lui demandant lequel il préférait. Je me souviens des commentaires du client qui, tout au long de la dégustation, exprimait les différences qu'il percevait entre les deux. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque mon voisin, en sortant de chez son client, m'expliqua qu'il avait rempli les deux bouteilles avec le même vin.

Rappelons que lors d'une dégustation la vue est le sens qui intervient en premier. On observe le vin avant de le sentir puis de le goûter. L'aspect du vin prépare et aide le jugement des autres sens. Mais s'il n'y prend pas garde, le dégustateur est facilement influençable par l'observation visuelle. Par exemple un vin trouble est souvent gustativement mal jugé. De même on peut mal juger un grand vin servi dans un gobelet, alors qu'on peut apprécier un vin banal servi en verre de cristal.

Vous pouvez vous-mêmes faire l'expérience en servant à vos amis un vin de Bordeaux que vous aurez, au préalable, transvasé dans une bouteille bourguignonne et à l'inverse, un vin de Bourgogne transvasé dans une bouteille bordelaise. Vous serez surpris des commentaires. La forme de la bouteille suggère, en la regardant, le vin qu'elle contient. Il faut savoir qu'un vin imaginé et prévu est déjà à moitié perçu.

La couleur joue aussi un rôle important dans la perception gustative

Une expérience a été menée : une série de six vins rosés (A, B, C, D, E, F) de teintes différentes, est soumise à un groupe de dégustateurs. On leur demande, dans un premier temps, de classer ces six vins uniquement d'après l'observation visuelle de la teinte et dans un deuxième temps de les classer à nouveau après dégustation des vins.

  • Le classement après observation visuelle a été le suivant : F E B C A D
  • Le classement après dégustation a été le suivant : E F B C A D

On leur demande ensuite de classer les vins après dégustation mais sans les voir.

  • Le classement a été le suivant : C B D A E F

On constate donc que dans la dégustation à l'aveugle l'appréciation est toute différente alors que le classement gustatif avec vision de la couleur est identique à celui de la couleur seule.

D'autres expériences ont été menées : on présente à des dégustateurs un verre de vin blanc et un verre du même vin blanc mais coloré en rouge (colorant neutre de goût) à l'insu du groupe. Les dégustateurs font des commentaires avec des qualificatifs de vin blanc pour le premier verre et des qualificatifs de vin rouge avec le deuxième verre.

La vision de la couleur rassure mais peut aussi induire le dégustateur en erreur. A l'inverse, l'absence de vision de la couleur est déroutante comme le montre l'expérience des verres noirs et opaques : lorsqu'on verse du vin dans un verre noir on ne perçoit plus sa couleur, ni en regardant au travers puisqu'il est opaque, ni en regardant par-dessus. En comparant, dans des verres noirs, un vin blanc souple (avec peu d'acidité) et structuré avec un vin rouge un peu acide et peu tannique, peu de personnes arrivent à désigner quel est le vin blanc et quel est le vin rouge.

Ainsi, en dégustation, savoir bien utiliser son œil c'est aussi savoir s'en méfier. Par ailleurs, la coloration est un élément essentiel de l'appréciation du consommateur, lorsque la couleur plaît on est moins critique sur le goût s'il n'y a pas de défaut gustatif marqué.