Comment choisir son millésime ?

Ulf Bodin

Les vendanges touchent à leur fin. Ce sera bientôt l'heure du bilan, quantitatif dès à présent et qualitatif un peu plus tard.

En volume de production, la récolte 2014, selon les sources officielles, devrait avoisiner les 47 millions d'hectolitres. Si ce chiffre est confirmé, la France retrouvera sa place de leader des pays producteurs de vins dans le monde cette année, place qu'elle avait perdue au bénéfice de l'Espagne et de l'Italie suite à une année 2013 fortement déficitaire chez nous. Toutes les régions françaises ont eu en 2014 une production en hausse sauf le Languedoc-Roussillon à cause de nombreux épisodes de grêle et l'Alsace à cause du phénomène Suzukii (attaque de drosophiles sur les raisins colorés).

Pour pouvoir se prononcer sur la qualité de la récolte 2014 il faudra attendre la fin des vinifications et le résultat des analyses des divers constituants du vin.

On peut se demander ce qui fait la qualité d'un vin ?

Il y a des facteurs fixes et des facteurs variables. Les facteurs fixes sont principalement le cépage, la nature du sol, l'exposition des vignes, la taille et les facteurs variables sont essentiellement les conditions climatiques et météorologiques. Ce sont ces dernières, différentes chaque année, qui font que la qualité des vins n'est jamais la même d'une année sur l'autre et qui nous font parler de millésime.

Alors qu'entend-t-on par millésime ?

En œnologie c'est l'année de récolte des raisins ayant servi à produire un vin. Le millésime exprime les conditions climatologiques de l'année. Au fil des ans, le millésime est devenu de plus en plus un argument commercial, d'ailleurs certains médias s'empressent de nous annoncer chaque année le « millésime du siècle », surtout dans les deux vignobles mythiques que sont le Bordelais et la Bourgogne. On utilise bien le millésime pour vendre le vin, on en a pour preuve le fait que sa mention est devenue systématique alors qu'elle est facultative. En effet, la législation sur l'étiquetage est très claire, il y a des mentions obligatoires comme, par exemple, l'appellation, le nom et l'adresse de l'embouteilleur, le degré alcoolique et des mentions facultatives dont le millésime et par voie de conséquence, tout ce qui n'est ni obligatoire, ni facultatif, est interdit. Comme dans toutes règles il y a cependant quelques rares exceptions comme pour l'AOC Alsace Grand Cru dont le décret impose le millésime sur l'étiquette. Le seul vignoble qui associe le millésime à une grande qualité de vin est le vignoble champenois. En effet, on ne millésime en Champagne que les « grandes années » et la décision est prise par le CIVC (Conseil Interprofessionnel des Vins de Champagne). D'ailleurs, en dehors des vins millésimés, le champagne est issu de l'assemblage de vins de différentes années.

« Une année bonne et l'autre non », à quoi est-ce-du ?

Tout se joue dans la période de maturation du raisin (d'avril à septembre inclus) et il y a trois facteurs qui interviennent, la lumières (durée d'insolation), la chaleur (somme des températures) et l'humidité (hauteur des pluies). Ces facteurs varient d'une année sur l'autre et à des périodes différentes au cours de la maturation. En règle générale les très bonnes années sont issues de vendanges précoces et les années moins bonnes de vendanges plus tardives. On a des exemples dans le vignoble Bordelais où les années les plus précoces ont été 1982, 1989, 1990 et 2000, des millésimes de très grande qualité car les raisins ont bénéficié de journées chaudes et ensoleillées avec peu de précipitations. A l'inverse, 1977 et 1980 ont été des années tardives avec des conditions climatiques très défavorables, ce qui explique la qualité moyenne de ces millésimes.

Comment peut-on classer les millésimes ?

Dans tous les médias et revues spécialisés vous trouverez des tableaux qui classent les différents millésimes en année moyenne, grande année et année exceptionnelle. Dans la période récente ils sont unanimes pour classer les 2005 et 2009 en année exceptionnelle dans pratiquement tous les vignobles, ce qui est remarquable car dans une même année les conditions climatiques ne sont pas toujours identiques d'un vignoble à l'autre. Il existe ainsi des différences régionales comme, par exemple 2002 considéré comme une année moyenne à Bordeaux est parmi les grandes années en Bourgogne.

Des années exceptionnelles il y en a eu périodiquement depuis longtemps. On entend encore parler des mythiques 1893. J'ai moi-même eu le bonheur de déguster des Vouvray liquoreux de 1947 et 1959, des Coteaux du Layon de 1959, des Chinon blancs de 1959, des rouges de 1947, 1964 et 1976 et j'en passe.

Les conditions favorisant un grand millésime font que le vin qui en est issu possède plus d'équilibre, plus de longueur en bouche, plus de fruit, plus de gras et plus de couleur (pour les vins rouges). Par ailleurs ils ont une capacité de vieillissement plus grande ce qui explique que souvent ils restent « fermés » les premières années. Or, pour pouvoir bénéficier du maximum de ce qu'un vin peut donner en termes de plaisir gustatif, il faut le boire lorsqu'il arrive au sommet de son expression. Pour les grands millésimes cela demande plusieurs années, alors en attendant on a le choix de ne pas boire de vin ou de boire des vins qui s'ouvrent plus rapidement et c'est le cas des vins d'années dites moyennes qui, chez des récoltants compétents, ne sont jamais mauvais.

En conclusion, la nature, comme toujours, fait bien les choses puisque les « petits » millésimes, consommés plus rapidement et apportant malgré tout du plaisir, permettent d'attendre que les « grands » veuillent bien s'exprimer.

Quelques indications, dans les millésimes récents, pour vous guider :

Bordeaux rouges :

  • années exceptionnelles : 2000, 2005, 2009
  • grandes années : 2003, 2006, 2007

Bourgognes rouges :

  • années exceptionnelles : 1990, 1996, 2005, 2009
  • grandes années : 1995, 1999, 2002, 2003, 2007

Languedoc-Roussillon :

  • années exceptionnelles : 2005, 2009, 2010
  • grandes années : 1999, 2000, 2001, 2007, 2011

Je finirai par mon Alsace natale où les vins, contrairement à une idée reçue, ont une très bonne capacité de vieillissement dans les grandes années. Il y a moins d'un mois je me suis régalé avec un Riesling de 1997 au cours des vendanges chez mon neveu. De même, il y a trois ans, nous dégustions des Gewurztraminer et des Pinot Gris de 1983 encore en « pleine forme ». J'ai également toujours en mémoire les fabuleux Gewurztraminer de 1976 dégustés chez mon frère en 1991 et élaborés par lui.