Il n'y a pas que les vins de Bordeaux en France

TempusVolat

De nos jours on entend encore des consommateurs faire l'éloge des vins de Bordeaux et considérer les vins du midi (produits dans le Languedoc-Roussillon) comme des « petits » vins de soif. Si cela a été le cas pendant près d'un siècle entre le milieu du 19ème siècle et le milieu du 20ème, ce n'est plus vrai aujourd'hui.

 Alors d'où viennent ces idées reçues ?

L'explication se trouve peut-être dans l'histoire de ces deux vignobles. Voyons comment ils ont évolué dans le temps.

Le Bordelais :

Début du vignoble au 1er siècle de notre ère avec l'arrivée dans la région des Bituriges Vivisques, peuplade celte venue du Berry. Ils apportent avec eux un cépage résistant au froid, le biturica, qui n'est autre que l'ancêtre des cabernets.

Le premier grand essor du vignoble débuta en 1152 après le mariage d'Aliénor, Duchesse d'Aquitaine, avec Henri Plantagenêt, futur roi d'Angleterre. Un commerce maritime florissant et notamment celui du vin va ainsi s'établir grâce au port de Bordeaux. Cette situation va durer trois siècles, jusqu'en juillet 1453, date à laquelle l'Aquitaine revient au royaume de France après la victoire à la bataille de Castillon qui marqua également la fin de la guerre de Cent Ans.

Le commerce du vin avec l'Angleterre va fortement chuter. Les exportations vont reprendre au 17ème siècle grâce aux hollandais et continuer au 18ème vers les Iles d'Amérique (Saint-Domingue et et les Petites Antilles). Les ventes en Angleterre vont également reprendre via la demande de la « High Society » de Londres qui s'intéresse plus particulièrement aux grands crus. Les vins du Château Haut-Brion (premier grand cru classé des Graves depuis 1855) sont présents à Londres depuis la fin du 17ème siècle.

La notoriété des vins du bordelais, principalement du Médoc, ne baissera plus et sera même confortée par le classement de 1855. Toute la production sera classée en AOC dès 1936 et est aujourd'hui répartie sur 105.000 hectares.

Le Languedoc-Roussillon :

Ce vignoble a connu une destinée toute différente et plus variée. Il a débuté bien plus tôt, au 6ème siècle avant J.C. avec les grecs qui se sont installés à Agde. Les romains continueront à développer la vigne dans la région (la « Narbonnaise ») en fondant la ville de Narbonne qui deviendra la plus grande cité romaine, en dehors de l'Italie.

Bien plus tard, au 17ème siècle, les vins du midi vont se faire connaître plus au nord grâce à la construction du Canal du Midi qui relie Béziers à Bordeaux. Le terrible hiver de 1709 va provoquer une pénurie de vin et c'est ce même canal qui permettra l'acheminement des vins du sud, épargnés par le gel, dans les régions déficitaires.

Au 19ème siècle, la révolution industrielle et l'extension de l'agriculture vont être à l'origine, de la part des ouvriers dans les usines, dans les mines, dans les champs et dans le bâtiment, de la forte demande d'une boisson énergisante, désaltérante et peu alcoolisée. Le Languedoc-Roussillon, en plantant deux cépages productifs, l'aramon et le carignan (150 hectolitres/hectare), va produire un vin répondant parfaitement à cette demande. Par ailleurs, le développement du chemin de fer à la même époque va permettre l'acheminement de ce vin dans les régions du nord et de l'est où la demande est la plus forte. Ce vignoble, sur 470.000 hectares, choisit donc alors de se « lancer » dans la production de vins de table.

Avec la forte baisse de la demande et l'évolution du goût du consommateur, la crise s'installe vers les années 50.

Une partie des viticulteurs décide alors d'arracher les vignes pour se reconvertir dans d'autres cultures (céréales, olives, fruits, etc.....).

La grande majorité, après réflexion et recherche, en prenant exemple sur la notoriété viticole de l'époque romaine, décide elle aussi d'arracher mais pour replanter des cépages traditionnels et qualitatifs, comme le grenache, le mourvèdre, la syrah et le cinsault ainsi que le carignan mais en limitant son rendement à 40 hectolitres/hectare.

C'est ainsi qu'en 1968 naissent les premiers VDP (Vins de Pays) dans la région. Corbières et Minervois accèdent un peu plus tard au label VDQS (Vins Délimités de Qualité Supérieure) pour obtenir l'AOC (Appellation d'Origine Contrôlée) en 1985, alors que Faugères et Saint-Chinian l'ont déjà obtenue en 1982.

Cela fait donc trente ans que cette région a réussi sa reconversion en une production de vins de grande qualité grâce à une bonne adéquation cépage-terroir.

En conclusion, la production des vins de Bordeaux, avec ses cépages merlot et cabernets en grande majorité, a toujours eu, tout au long de son histoire, une réputation méritée de vins haut de gamme. En ce qui concerne les vins du Languedoc-Roussillon, malgré un changement radical depuis trente ans, les consommateurs français ont toujours en mémoire cette production de vins de table qui a duré un siècle et cette réputation est encore aujourd'hui un handicap chez nous. A ce propos, en discutant avec Hervé Leferrer, propriétaire du Domaine le Grand Crès à Ferrals-les-Corbières (AOC Corbières), celui-ci me disait qu'il n'avait aucun problème à l'exportation car ses clients étrangers ne connaissent pas l'histoire du vignoble, ils ne s'intéressent qu'au rapport qualité/prix de son vin. Par contre le consommateur français a encore des réticences envers cette appellation Corbières.

Sans doute faudra-t-il attendre la génération qui n'aura pas du tout connu cette consommation du « gros rouge qui tache » pour que ces réticences disparaissent.

En plus du Domaine du Grand Crès, quelques bonnes adresses dans le Languedoc-Roussillon :

  • Château de La Liquière à Cabrerolles (AOC Faugères)
  • Château Lagrave à Badens (AOC Minervois)
  • Château Coujan à Murviel-les-Béziers (AOC Saint-Chinian)
  • Domaine de Mingraut à Fontcouverte (AOC Corbières)
  • Domaine Depeyre à Cases de Pène (AOC Côtes du Roussillon Villages)