Héroïne de la twittosphère féministe à 7 ans, vraiment?

Capture d’écran 2014-12-01 à 16.44.09Elle s'appelle Maggie Cole, elle est anglaise et fan de super-héros. Elle a semble-t-il beaucoup de tempérament ou à tout le moins un regard déterminé qui le laisse penser. N'aime pas les stéréotypes sexistes et en ras-les-couettes de la ségrégation entre "jouets pour filles" et "jouets pour garçons" dans les rayons de supermarché .

Elle a 7 ans et sa mère l'a photographiée dans une enseigne en train de pointer du doigt un panneau recommandant des "fun gifts for boys". Le cliché a été posté sur twitter (toujours par sa mère*). Puis re-tweeté à une vitesse fulgurante par plusieurs dizaines de milliers d'internautes. Tant et si bien que l'enseigne a plié, fait retirer l'affichette de ses magasins et présenté d'officielles excuses par la voie d'un communiqué de presse.

Je devrais, en tant que féministe convaincue de longue date et assurément révoltée depuis l'enfance par les asymétries de traitement  entre filles et garçons sur les terrains de jeux et dans les cours de récréation, me réjouir de ce fait qui témoigne d'une manifeste prise de conscience collective de ce que marketing genré est. Et me satisfaite encore de la montée en puissance de l'agacement que suscitent ces stéréotypes imbéciles qu'il véhicule et conforte dans les mentalités, dès le plus jeune âge.

Sauf que voilà, un ingrédient de l'histoire me chagrine : l'âge de la principale protagoniste. 7 ans, ça me parait un poil jeune pour devenir une star des réseaux sociaux, même si c'est en tant qu'héroïne de l'anti-sexisme.

Il y a quelques mois, j'avais été littéralement écoeurée par les scansions racistes d'enfants à l'encontre de la Ministre de la Justice Christiane Taubira, sous l'oeil complice de parents militants contre le mariage pour tous. L'image était bien détestable de ces enfants instrumentalisé-es qu'une vidéo amateur a immortalisés dans un sinistre rôle que peut-être, un jour, on est en droit de l'espérer, ils n'auront plus envie d'endosser...

Est-ce parce que le message de la petite Maggie m'est nettement plus sympathique, que la cause qu'elle porte me semble parfaitement juste et que le rôle qu'elle joue me parait plus valorisant, que je devrais être moins dérangée de voir une enfant tenir publiquement un discours qui certes me flatte en tant qu'adulte et féministe, qui flatte assurément sa mère et qui visiblement flatte la foule des internautes qui en ont en quelques heures fait un symbole?

La question n'est pas si simple, qui recoupe celle plus vaste de la protection de l'image de nos enfants sur les réseaux sociaux. Mais sans même discuter de la pertinence de publier des clichés de nos bambins sur des plateformes où passent des individus dont on ignore les intentions, ne devrions-nous pas, pour commencer, sur le web comme ailleurs, par éviter de faire de nos enfants les porte-parole et porte-drapeau de nos luttes? Et même dans le cas où ces combats militants seraient authentiquement les leurs, puisque rien n'interdit à des enfants d'avoir leurs propres opinions, semblables ou contraires à celles de leurs parents, peut-on vraiment souhaiter qu'elles et ils s'exposent en les exprimant publiquement? N'y va-t-il pas de leurs droits d'être, le temps de leur construction personnelle, tenu-es à l'écart de débats qui certes permettent de participer activement à la citoyenneté mais imposent aussi des responsabilités et soumettent possiblement à l'agressivité d'opposant-es...?

Pour les filles, que l'on traite désormais de plus en plus tôt en petites femmes, cette question du droit à l'enfance ne peut s'en tenir à la lutte contre l'hypersexualisation. C'est aussi leur droit de vivre une enfance pleine et entière, insouciante et légère, libre et ouverte au vaste champ des possibles goûts, envies et centres d'intérêt. Charge aux adultes de rendre cela effectivement permis, en combattant notamment et en leur propre nom, tout ce qui restreint la liberté d'imaginer, de jouer, de vivre son être-soi et de se projeter ... Combattons donc le sexisme sans hésiter, pour nos enfants. Mais ne leur demandons pas de le faire à notre place!

 

 

 

* Depuis le buzz, Karen Cole, la mère de Maggie, a restreint l'accès à son compte Twitter.