Ce que veulent les femmes enceintes...

Il y a quelques jours, le New York Times publiait une infographie de synthèse des requêtes Google les plus fréquentes des femmes enceintes, de par le monde.

Où l'on constate quatre grandes préoccupations universelles de la parturiente connectée:

- se débarrasser des nausées

- dormir

- faire l'amour

- rester mince, perdre du poids... et éviter les vergetures.

Des différences d'une nation à l'autre s'observent lorsque la requête démarre par la formule "Est-ce qu'une femme enceinte peut..." Et ce qui suit concerne majoritairement la nourriture : "Est-ce qu'une femme enceinte peut manger..." des crevettes et des sushis aux Etats-Unis, de la mayo et de la mozza aux Royaume-Uni, du bacon et de la feta en Australie, des mangues et de la pizza en Inde, de l'ananas à Singapour, de la charcuterie en Espagne...

En fait, ce qui diffère, au fond, ce sont les habitudes alimentaires générales variant d'une culture gastronomique à l'autre ; pas l'inquiétude qu'inspire à une femme son propre corps et la satisfaction des besoins de celui-ci durant la grossesse. Cette inquiétude, il faut bien le dire, est savamment entretenue par la sacralisation de l'enceinte qui contient le nouvel humain à naître. Sauf qu'étrangement, il semble que l'on ne fasse pas confiance à la forteresse elle-même pour garder le trésor et le faire croître, mais qu'on la soupçonne incessamment d'être tentée de faire entrer en son sein de toxiques hôtes, par inconscience, irresponsabilité ou égoïsme. Alors, il faut que tout le peuple alentour, scandant des injonctions plus ou moins validées par les autorités médicales, s'emploie à protéger le foetus de celle-là même qui l'abrite.

Le ton n'est pas toujours au conseil bienveillant, il est même très souvent à la métaphore légalisante : je me souviens notamment, lorsque j'attendais un enfant, d'avoir régulièrement entendu des personnes (plus ou moins proches) me demander si, dans mon "état", j'avais "le droit" de consommer ceci ou cela, de pratiquer telle ou telle activité ou de m'adonner à quelque plaisir. J'attends d'ailleurs toujours que la police de l'état gravide vienne m'arrêter pour m'être rendue coupable d'avoir enfreint plusieurs articles du code général de la bonne future mère, lequel à force d'obligations et d'interdictions semble surtout décrire en creux le contre-modèle d'une femme totalement privée de bon sens, d'éducation, de discernement et d'intuitions pour ce qui concerne son propre corps.

Il n'est guère étonnant que se sentant surveillée collectivement et fermement encadrée par une surmédicalisation volontiers infantilisante, la femme enceinte perde ses repères, sa confiance en soi pour sentir ce qui est bon pour elle et l'enfant qu'elle porte et sa capacité à faire la part des choses entre le conseil et l'obligation, l'information et l'injonction, le scientifique et le moral... Et qu'elle se trouve alors à googliser convulsivement des noms d'aliments, d'activités ou de maladies dans l'espoir d'obtenir du peuple digital des réponses rassurantes, sinon éclairantes, quitte à essentiellement recevoir en retour des opinions personnelles plus ou moins argumentées, des avis alarmants et culpabilisants illustrés d'anecdotes sordides et des points de vue contradictoires susceptibles de l'abandonner au doute encore plus grand. Mais la question qu'une femme pourrait bien commencer par poser au moteur de recherche, ce pourrait aussi être : "Comment obtenir qu'on me lâche l'utérus pendant les neuf prochains mois?", en se faisant globalement confiance pour le reste.