Comment j'ai compris que l'endométriose est un sujet politique

Je dois l'admettre, je ne suis pas partie avec un a priori spécialement positif sur la question de l'endométriose.

Déni d'un sujet qui ne me concerne pas directement ou bien suspicion militante à l'endroit de tout ce qui semble ramener le féminin à des problèmes spécifiques? Ou alors carrément, peut-être, réflexe défensif à l'égard de tout ce qui pourrait renvoyer les menstruations à la rhétorique de l'hystérique qui emmerde le monde quand elle a ses lunes et dont toute forme de réaction est alors disqualifiée au motif de ce qui se passe dans sa culotte ("t'es de mauvais poil, t'as tes règles?", "Cherche pas, elle est irritable ces jours-là") Bref, l'honnêteté m'oblige à dire en préambule de ce billet, que d'une part, je n'y connaissais rien et d'autre part, je n'étais pas forcément partante pour traiter du sujet.

Et puis, mon amie Claire Nouvian, une femme d'action parmi celles que j'admire le plus et pour son combat (la lutte contre la pêche en eau profonde) et pour sa rigueur (le copinage, voyez-vous, c'est pas franchement son truc ni son genre) a souhaité me mettre en relation avec les organisatrices de la première marche mondiale contre l'endométriose. J'ai dit : ok, je ne promets rien, mais puisque la recommandation a du poids, je veux bien aller y regarder de plus près.

Comme quoi, s'intéresser à ce qu'on ne connait pas rend généralement un peu moins stupide. Et permet surtout d'affiner sa réflexion tout en lui donnant de nouveaux élans. J'ai découvert l'endométriose et compris, au passage, pourquoi c'est un sujet politique essentiel et non, comme je le pensais au préalable, une seule affaire de santé féminine ayant trait aux douleurs de règles.

 

180 millions de femmes dans le monde

180 millions de femmes dans le monde, une femme en âge de procréer sur dix est sujette à l'endométriose, maladie invisible, incurable et douloureuse. L'endométriose, ce n'est pas comme je le pensais, des douleurs de règles un peu fortes, qu'un Spasfon glissé sous la langue et un peu de bonne volonté pour penser à autre chose font passer. L'endométriose, c'est le développement anarchique de la muqueuse utérine, en dehors de l'utérus qui entraîne effectivement des douleurs anormalement élevées au moment des menstruations, mais aussi la formation de kystes, de tissu cicatriciel douloureux et de phénomènes d'adhérence avec les organes proches de l'utérus (ce qui va par exemple, avoir des conséquences sur le fonctionnement du système digestif). C'est donc pas tout à fait comme si c'était dérisoire ni en termes statistiques ni à l'échelle individuelle, pour chaque femme qui en souffre .

Ce peu de cas de la sexualité féminine

Une des conséquences de l'endométriose, par delà celles citées ci-dessus, est la dyspareunie des femmes atteintes. La dyspareunie, c'est le mot scientifiquement ganté de la douleur physique pendant les rapports sexuels. On en parle volontiers pour le premier rapport vaginal d'une femme, au moment du déchirement de l'hymen. C'est considéré comme une fatale nécessité. Ca se discute.

Ce qui ne se discute pas, c'est que c'est à coup sûr intolérable quand c'est récurrent, voire systématique. Les femmes sujettes à l'endométriose ont mal à chaque pénétration! Et pour la plupart d'entre elles, cette souffrance se double de gêne voire de honte, car cette souffrance, elles craignent de la voir considérée en prétexte pour éviter les rapports, se sentant renvoyées par là-même aux stéréotypes de la frigide, mal-baisée et peine-à-jouir. A la douleur physique qui touche leur intimité vient s'ajouter donc, la renforçant au passage, une immense détresse psychologique.

Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, je me souviens du ramdam qu'ont fait les "Salauds" embarqués par Beigbeder, à l'automne dernier, pour défendre leur bon droit à jouir. Et chacun-e de s'inquiéter des dérives pudibondes d'une société qui limiterait les voies d'accès à l'orgasme masculin. Il me parait aujourd'hui justifié que l'on fasse au minimum autant de bruit pour que 180 millions de femmes aient droit, pour commencer, à une sexualité non douloureuse. C'est un préalable évident à l'évocation du sujet de leur jouissance, qui concerne peut-être bien un nombre encore plus grand d'entre elles, même parmi celles qui ne souffrent pas d'endométriose ni ont été victimes d'excision. Mais prenons les choses dans l'ordre : nous pourrons aborder le thème (hautement subversif) de notre droit plein, entier et effectif à l'orgasme, au même titre que les hommes, le jour où il sera bel et bien exclu que sexualité rime avec douleur pour autant d'entre nous.

La santé des femmes, ce parent pauvre des politiques de santé publique

Capture-logo1Alors une Marche mondiale contre l'endométriose, se prépare, qui aura lieu ce jeudi 13 mars dans 40 pays. Une Marche faite pour dire la réalité d'un mal invisible, d'un mal caché, d'un mal traité en affection "bénigne" par la majorité du corps médical quand aucune femme touchée n'utilise le vocable "bénin" pour dire ce qui la vrille. Une Marche contre une honte indue. Une Marche aussi pour rappeler que la santé des femmes reste le parent pauvre des politiques publiques, partout dans le monde, aussi bien en termes de budgets alloués à la recherche qu'en termes de protection sociale.

Un comble, voire une aberration, quand on sait que l'endométriose coûte de fait 9,5 milliards d'euros en France de façon indirecte, au travers de traitements contre l'infertilité (qui est une autre conséquence de l'endométriose), en médications non adaptées faute de connaissance précise du sujet par le corps médical généraliste qui retarde ou rate carrément le diagnostic, en interventions chirurgicales mutilantes et pas toujours efficaces...

Il est donc grand temps de prendre ce sujet au sérieux et de le prendre dans le bon sens, c'est à dire en entendant la parole des femmes atteintes, en la considérant à l'égale de celle de toute personne en souffrance, en consacrant enfin à cette maladie de vrais crédit de recherches, en l'intégrant légitimement au corpus des affections chroniques reconnues par la Sécurité sociale, en faisant tout pour pouvoir y proposer bientôt des réponses médicales et sociales adaptées...

C'est pourquoi, moi, moi qui ai la chance de n'en pas souffrir et d'avoir pu bêtement croire un instant que parce qu'il ne me touchait pas, c'était un faux problème, je serai, jeudi 13 mars aux côtés des femmes (et des hommes aussi, j'espère) qui marcheront contre l'endométriose. Et vous?

 

 

Plus d'information sur la première Marche Mondiale contre l'Endométriose

Ecoutez l'émission "Révolutions médicales" de René Frydman consacrée à l'endométriose