Malagré et Hanouna : "la fille facile" et l'animateur expert en bonnes moeurs féminines

Bonne ou mauvaise interview que celle de Pharrell Williams par Enora Malagré pour Virgin Radio? C'était éventuellement un sujet (ton artificiellement relâché, questions passablement vaines, interjections un peu grotesques...). C'était éventuellement un sujet jusqu'à ce que... Cyril Hanouna, son "patron" dans l'émission "Touche pas à mon poste" déplace le sujet du professionnalisme défaillant de la chroniqueuse lors de cette interview sur celui de sa posture en tant que femme.

Jugez-en plutôt :

"Moi, ça aurait été Mouloud, j'aurais pas été choqué. Ce n'est pas pareil une femme et un homme [...] Une femme qui se tient comme ça à côté d'un artiste sur un canapé! J'ai plein de potes qui m'ont envoyé des textos et qui m'ont dit c'est inadmissible, vous passez pour une fille facile!"

 


Interview de Pharrell Williams : Cyril Hanouna... par puremedias

 

Voilà, tout est dit. Une femme qui a un comportement inapproprié avec un homme dans le cadre professionnel choque plus que son alter ego masculin dans une situation similaire. En d'autres termes, on ne sort pas du cliché asymétrique selon lequel l'homme qui joue les dragueurs est un petit malin qui amuse la galerie et la femme qui en fait autant est une salope qui a une attitude "inadmissible".

Par ailleurs, ce comportement inapproprié ne se juge pas ici en termes de compétences ni même en termes de posture attendue en situation spécifique, mais il autorise la caractérisation dégradante de la personne. Ce n'est pas l'attitude en contexte (il aurait pu dire "ce n'est pas votre meilleure interview", "vous étiez un peu à côté de la plaque ce jour-là") qui est définie par la critique, mais bien l'identité de l'individu qui est entachée par le faux pas (il la traite de "fille facile").

Enfin, tout est dit, pas tout à fait, parce que si Enora Malagré assume son erreur professionnelle tout en dénonçant à raison le prisme sexiste (et donc déplacé) par lequel cette faute est attaquée, la question reste entière de l'angle qu'elle a pris pour oser une interview d'un autre style que le convenu. Puisque c'est effectivement dans un cliché de la femme de l'univers du rap qu'elle s'est plus ou moins inscrite. Intonations sensuelles forcées, position semi-allongée sur le canapé "moelleux et confortable" de l'hôtel, esquisses de déhanchement...

Alors, désir très "premier degré" de satisfaire aux fantasmes supposés de l'artiste, de son public et de tout un univers, ou bien mise en abyme du ridicule de cet imaginaire stéréotypé en diable? L'animatrice joue-t-elle cyniquement un rôle cathodique bien rôdé en pleine conscience du petit jeu du buzz aux règles et scénarii écrits (elle déclarait il y a quelques mois que ses "embrouilles" en plateau avec Hanouna ne seraient que des "fakes" seulement destinés à faire le spectacle) ou se trouve-t-elle prise au piège d'un tel personnage? Qui peut en décider à sa place sans risquer de prêter des intentions ou d'empiler des clichés. Sans risquer aussi de dire, de quelque point de vue qu'on se place, ce que femme doit et ne doit pas.