l'ABCD n'empêche pas le B.A. BA

3321345L'enfant a ceci en commun avec la (ou le) féministe qu'on le prend souvent pour moins capable qu'il ou elle n'est, qu'on lui suppose des capacités de concentration limitées et des centres d'intérêt réservés. Il faut donc lui dire avec fermeté, ce qu'il ou elle aime, ce qu'il ou elle veut, ce dont il serait surtout prioritaire qu'il ou elle se préoccupe.

Ainsi, à cours d'arguments grotesques et de calomnies douteuses pour flinguer coûte que coûte un projet éducatif qui n'a d'ambition autre que celle de sensibiliser les jeunes générations à l'égalité entre les femmes et les hommes (et cela essentiellement dans le but premier de permettre à chacun-e de se vivre bien dans sa peau, unique et sienne, en s'autorisant à choisir son propre chemin de vie, sans être enjoint-e à une conformité de genre écrasante de stéréotypes), à cours aussi de stratégies de harcèlement censeur contre des auteur-es, des blogueur-es voire des chaînes de télé, voici que les anti-djendeurs sortent de leur chapeau l'inévitable discours simpliste du rôle de l'école : apprenez d'abord à nos enfants à lire, écrire et compter ! Le B.A. BA avant les ABCD ! (youhouu! le sens du slogan).

 Oui, bien, merci. On doit toutes et tous être d'accord sur ce point : nos enfants ont besoin d'apprendre à lire, à écrire, à compter, et ça fait partie des missions essentielles de l'éducation scolaire. J'ajouterais qu'ils et elles ont aussi besoin de faire de l'exercice physique, de nourrir leur imaginaire, de développer leur sens créatif et d'accéder à des clés de compréhension du monde qui les entoure en ayant quelques connaissances historiques, quelques références culturelles, un peu d'esprit critique et de sens du raisonnement. Mais il est vrai que s'ils et elles sont analphabètes, tout ça est un peu plus compliqué.

45053254livre-lect-jpgAlors, apprenons-leur à lire, en effet. Oui. Mais quels textes? Pourquoi forcément ceux qui racontent des histoires de princesses évaporées et de chevaliers valeureux? Pourquoi ne pas leur apprendre à lire avec des textes qui décrivent et racontent le monde tel qu'il est, dans son infinie diversité, dans sa réalité riche et éloignée des clichés? Des récits dans lesquels il y a des filles qui ne sont pas des caricatures de la féminité et des petits garçons qui n'ont pas peur d'incarner autre chose que les attributs de la virilité. Des récits dans lesquels il y aurait aussi des homosexuel-les, parce que, scoop, ça existe les homosexuel-les et, si nous en connaissons toutes et tous, il y a fort à parier que nos enfants aussi en ont déjà croisé-es. Des récits qui leur permettent de comprendre comment les mots se déchiffrent, mais aussi qu'ils sont porteurs de sens, créateurs d'images et qu'ils sont faits pour qu'on s'en empare afin de pouvoir regarder et écrire sa propre réalité. Pourquoi ne pas leur apprendre à lire et écrire des histoires qui bousculent les figures imposées? Parce qu'ils seraient trop stupides pour comprendre? Pardon, mais j'ai un peu plus d'estime et de confiance en nos enfants.

Kubler Lelu Calcul CE1 000Apprenons-leur à compter, aussi. C'est important. Mais en posant quels types de problèmes? Ceux qui partent du principe que la vitesse du train se calcule mieux si le conducteur est un homme et que le poids des carottes s'évalue plus aisément si c'est la fameuse ménagère de moins de 50 ans qui fait le marché? Puisqu'il est vrai que les équations concrètes sont pour tout le monde (pas que pour les petit-es) plus propices à la compréhension, qui nous empêche de proposer des situations dans lesquelles les rôles sont différemment distribués?  Qu'est-ce que ça nous en coûte? Et qu'est-ce que ça peut apporter à nos petit-es écolier-es? J'ai la faiblesse de croire que ça peut permettre éventuellement à la petite fille de s'imaginer elle aussi en pilote du train, en ouvrier du bâtiment, en ingénieure, en banquière. Et que si ça ne devait pas avoir l'effet escompté, il ne nous en aura presque rien coûté. Alors, je crois que ça vaut quand même a minima la peine d'essayer.

Parmi les B.A. BA que l'on m'a enseignés (pour ne pas dire matraqués), il y a celui qui dit qu'on ne distingue pas le fond de la forme, la technique du propos, la mécanique du discours. D'abord, parce que faire un tel distinguo, c'est se diriger tout droit et à coup sûr vers des impasses intellectuelles. Et ensuite, peut-être surtout, parce que quand la forme se sépare du fond, comme l'oeuf coagulé du lait dans une crème dessert ratée, c'est indigeste. Or, il me semble que le meilleur des leviers de l'apprentissage reste la gourmandise, la curiosité, le plaisir. A cela, nos enfants aussi, ont droit.

 

 

 

 

=> Vos commentaires, vos réactions, vos informations complémentaires ici et/ou si vous voulez, sur la page Facebook du blog "Ladies & Gentlemen"