Pourquoi j'ai signé la pétition "La justice doit se saisir du dossier Cantat"

cantatCeux qui le défendent et/ou le portent aux nues le disent à raison, Bertrant Cantat est un homme ravagé, dont la vie est un champ de ruines.

Deux femmes qu'il a aimées "passionnément" sont mortes. Marie Trintignant, en août 2003. Krizstina Rady en janvier 2010. L'une sous ses coups. L'autre au bout d'une corde.

Pour l'une, il a payé de quatre années d'emprisonnement, dont une passée dans les geôles lituaniennes (on a beaucoup écrit sur l'enfer que ç'avait du être). Pour l'autre, la question du contexte et des éventuelles responsabilités de l'entourage dans la décision (le choix?) d'une femme de mettre fin à ses jours a été rapidement évacuée :  après avoir entendu Betrand Cantat, « Comme d'autres proches de son ex-femme. Ni plus, ni moins. » (ni plus, ni moins) et en moins de 24 heures, le parquet de Bordeaux a classé. Suicide. Point barre. La faute à personne, sauf à celle qui a tourné l'arme du crime contre elle-même et n'est donc plus là pour en parler. Affaire suivante.

Ouvrir le dossier Krizstina Rady, parce que depuis janvier 2010, de nouveaux éléments sont apparus

Aujourd'hui, un collectif de militant-es contre les violences faites aux femmes demande à ce que la justice se saisisse de ce dossier. Pas pour rejuger l'autre dossier, le dossier Trintignant (la peine, qu'on l'estime longue du côté de celui qui aura tourné en rond dans une cellule ou courte du côté des proches de la victime, a été purgée).

Mais parce que depuis le 11 janvier 2010, date à laquelle le cas Krisztina Rady a été réglé (au lendemain de sa mort, donc), de nouveaux éléments sont apparus qui justifieraient que la justice, au minimum s'y intéresse.

Ces nouveaux éléments, c'est le témoignage des parents de Krizstina, leurs doutes et leurs questionnements sur les conditions de la disparition de leur fille exprimés dans la presse il y a près d'un an ; c'est aussi la mise à disposition du public en juin dernier d'un document audio bouleversant, le message que Krizstina Rady a laissé sur le répondeur de ses parents 6 mois seulement avant sa mort.

7 minutes de monologue désespéré sur un répondeur...

 

radyDans ce message, Krizstina Rady dit que  "Bertrand ne supporte pas" qu'elle travaille.

Qu'elle vit avec lui "un cauchemar qu'il appelle "amour" ".

Que la veille de cet appel (au secours?), elle a "failli y laisser une dent", qu'il lui a "jeté quelque chose d'une telle façon que (son) coude est complètement tuméfié", qu'un "cartilage est même carrément cassé".

Qu'il est peut-être déjà "trop tard pour fuir faute d'être en état de le faire", qu'elle ne sait de toute façon pas  vraiment où aller.

Qu'elle s'inquiète tant pour Bertrand (eh oui...) qu'elle "ose à peine respirer" (elle évoque plus loin la peur que ce soit lui qui se suicide).

Elle dit qu'elle "doit disparaître". Qu'elle n'a "aucune idée de ce qu'il faut faire dans ces cas-là".

Que, jusqu'en 2003 (date de la mort de Marie Trintignant, pour rappel), "cela" ne lui était pas arrivé à elle, que désormais "cela (lui) arrive", qu'elle a "déjà plusieurs fois échappé au pire".

Que "Bertrand est fou", même si "tout le monde le considère comme une icône, un exemple, une star".

Puis, et c'est déchirant, elle parle des résultats scolaires de ses enfants, qui ont "du mal à se concentrer".

Elle conclut en espérant "s'en sortir", en espérant que ses parents pourront "encore entendre (sa) voix". Mais "si ce n'est pas le cas", au moins auront-ils "la preuve que...".

La "preuve que..." dit Krisztina Rady... A défaut de "preuve", au minimum une "pièce" à verser au dossier

La "preuve", dit Krisztina Rady.

Sinon, de "preuve", ce témoignage n'a-t-il pas valeur, au minimum, de "pièce" à verser à un dossier judiciaire?

Plus de 7 minutes (vous laissez souvent des messages de 7 minutes sur le répondeur de vos parents, depuis que vous avez atteint l'âge adulte?), plus de 7 minutes de monologue désespéré, prononcé d'une voix étranglé, entrecoupé de soupirs lourds et d'excuses à demi-mots (pardon d'inquiéter, pardon de ne pas avoir de bonnes nouvelles à annoncer), ça mérite au minimum qu'un juge chausse ses lunettes et se mette au boulot pour faire la lumière sur ce qui ressemble quand même à une situation d'emprise, à un contexte de violences familiales, à un sentiment d'absolu désespoir qui pourrait (j'utilise bien le conditionnel) expliquer (en partie) le geste fatal commis six mois après.

Donnons à l'homme sur qui pèse le soupçon l'occasion de prouver qu'il est innocent, s'il l'est

C'est tout ce que la pétition pour que "la justice se saisse du dossier Cantat" réclame, dans le calme et la raison.

Pas que l'on s'assied sur la présomption d'innocence, certainement pas.

Pas que l'on préjuge avant d'avoir étudié le cas de près et d'avoir donné aux autorités compétentes pour le faire en démocratie, l'occasion de statuer.

Pas que l'on jette des pierres à un homme pour le seul plaisir de l'accabler.

Mais qu'on lui donne, à cet homme, justement, l'occasion, la chance, de s'exprimer, de se défendre et d'apporter les preuves qu'il est innocent, s'il l'est.

C'est une question de lutte contre les violences faites aux femmes, c'est aussi une question de confiance en l'état de droit

C'est en tant que féministe, préoccupée de la question des violences faites aux femmes, soucieuse de la prise en compte des violences physiques ET psychologiques qui peuvent s'exercer sur les personnes dans le cadre familial, que que je signe cette pétition.

C'est aussi en tant qu'humaniste et en tant que démocrate, plaçant sa confiance en l'état de droit : parce que je crois qu'un homme sur qui porte le soupçon d'avoir pu pousser sa compagne au suicide, doit pouvoir s'expliquer sur le sujet, être entendu par un juge compétent et échapper aux préjugements communs de part et d'autre (ceux qui décrètent qu'il est forcément coupable comme ceux qui garantissent qu'il est forcément innocent) pour bénéficier, enfin, comme les proches de Krizstina Rady, de l'établissement d'une vérité judiciaire.