Cher François Ozon, laissez-moi vous parler de mes fantasmes...

2012468Décidément, à Cannes, les femmes ne sont pas à la fête.

Tandis que Thierry Frémeaux expliquait tranquillement samedi dernier dans M, le Magazine du Monde, qu'un seul film réalisé par une femme en compétition officielle et 11 films de femmes sur les 51 sélectionnés constituaient "en proportion" une "très bonne représentation" des réalisatrices au Festival, François Ozon, défend aujourd'hui l'utilité de son Jeune et Jolie et la légitimité du message qu'il porte en déclarant que "beaucoup de femmes fantasment de se prostituer".

Des chiffres? Des statistiques? Une étude un peu sérieuse sur le fantasme de prostitution de ces dames? Pas besoin, on est entre artistes, on est là pour sentir l'air du temps et pour le restituer à sa façon, en toute liberté de créââââââtion.

Donc, "beaucoup de femmes fantasmeraient de se prostituer" et " être payée pour une relation sexuelle serait quelque chose de patent dans la sexualité féminine"? Braoum! Je viens d'entendre un grand bruit : c'est Freud qui se retourne dans sa tombe. Même le plus misogyne des psychanalystes d'un autre siècle n'aurait pas osé croire que ses théories du refoulement et de la sublimation pourraient aboutir à d'aussi vulgaires interprétations.

Toutefois, je n'ai nul besoin de relire Freud pour affirmer que non, je ne nourris pas le rêve caché d'enfiler une jupe courte et des talons vertigineux pour aller sucer incognito pour 10 euros sur les Maréchaux après ma journée de boulot. Non, non, je ne m'imagine pas avec plus de plaisir échanger mes faveurs pour des billets de 500 (même livrés par valises entières) dans un cinq étoiles fréquenté par les élites internationales. Ca ne signifie pas que je méprise celles et ceux qui gagnent leur vie de cette façon-là ni que je porte de jugement définitif (moi) sur leur consentement à cette pratique et le (dé)plaisir qu'elles et ils en retirent. Ca veut juste dire que je n'ai pas ce fantasme-là et que je connais pour ma part "beaucoup de femmes" (puisque "beaucoup" est vraisemblablement l'unité de mesure fixée par Ozon dans ce débat) qui n'en expriment pas davantage le désir.

dirty-week-end11Mes fantasmes à moi, voyez-vous, s'ils doivent être extrêmes pour être crédibles, c'est plutôt de faire la peau aux masculinistes décomplexés, aux proxénétes abrités et aux machos de tout poil. C'est d'humilier publiquement les dragueurs de rue qui, prétendant me flatter avant de m'insulter jouissent plutôt du plaisir de m'intimider et de me rappeler que l'accès à l'espace public ne m'est que prêté (à mes risques et périls) et jamais complètement acquis. C'est, à l'instar de l'héroïne du roman fondateur d'Helen Zahavi, Dirty week-end, de me faire justice rien qu'une fois quand je suis confrontée à toute forme d'agressivité sexuelle. Mes fantasmes, c'est parfois, oui, de prendre un gros marteau ou un grand sécateur pour régler mes comptes avec la misogynie ambiante.

Heureusement, les fantasmes, ce n'est pas fait pour être toujours réalisé et sachant me contrôler et prendre mes fantasmes pour ce qu'ils sont et non comme prétexte à faire et dire tout et n'importe quoi, je fais de préférence appel à la pédagogie, au dialogue, à la négociation et malgré moi, à la patience pour rendre mes colères intelligibles et en faire des moteurs dynamiques et positifs du combat que je mène contre le sexisme, avec "beaucoup" de femmes ET d'hommes aussi désireux-ses que moi de réussir l'égalité.

Enfin, j'ai encore un fantasme, apparemment complètement fou, celui que la grand messe du cinéma international, foire aux vanités bronzées aux UV s'il en est, cesse d'être un espace ouvert à toute provocation idiote destinée à vendre de la pellicule au kilomètre en se faisant à n'importe quel prix remarquer...

 

 

Mise à jour du 22 mai 2013 (9h21) : à lire aussi, l'article de The Hollywood Reporter, traduit et diffusé par Courrier International, sur la "livraison" d'escorts en masse aux Festivaliers...