A l'Académie, Dominique Bona n'aura que des "confrères"

220px-Dominique_Bona_-_Comédie_du_Livre_2010_-_P1390483Hier, Dominique Bona, jeune académicienne, était l'invitée de la Grande Table, sur France Culture.

Interrogée par Caroline Broué sur l'épineux sujet de la féminisation des noms de métiers et titres à laquelle l'Académie est fermement opposée, elle a assumé son intention de prêter allégeance à l'institution qui vient de l'accueillir en son sein : "Entrant à l'Académie, je dois évidemment respecter ce qui a été décidé, c'est à dire de privilégier d'abord les noms au masculin".

Dominique Bona ne prendra donc non seulement pas de position contraire ni ne cherchera de quelque façon que ce soit à faire évoluer celle qu'a adoptée l'Académie (en dépit du fait que du point de vue linguistique, il n'y a rien d'absurde ni de barbare à féminiser les noms de métiers et titres, comme aime à le rappeler le Professeur Bernard Cerquiglini). Mais encore adoptera-t-elle la langue académique qui veut (outre que nous autres, femmes ordinaires, puisssions librement être nommée caissière mais pas chèfe), que comme aux autres académiciennes, on ne lui donne sous la Coupole que du "cher confrère".

1596Car oui, l'Académie est ainsi : elle veut bien faire l'effort d'afficher une petite représentation féminine (6 membres sur 36, 8 dans toute son histoire). Mais fidèle à sa conception retrograde de la langue, elle ne connait pas de "consoeur" en son sein.

Il semble pourtant que le mot ne soit pas un néologisme à proprement parler, puisqu'on l'utilise depuis le XIVè siècle. Précisément pour désigner, à l'équivalent des hommes, les femmes appartenant à un même ordre - religieux, puis professionnel.

Mais pas de ça, chez les Immortel-les : Danièle Sallenave, Florence Delay, Simone Veil, Assia Djebbar et Hélène Carrère d'Encausse et tou-tes les autres académicien-nes interpelleront donc Dominique Bona d'un "cher confrère". A la rigueur, sera toléré un "ma chère confrère", a glissé Sallenave à l'oreille de Bona, comme un petit secret malicieux qu'on s'échange entre filles.

Ca sonne bien, ça, "ma chère confrère"? Non, je pose la question naïvement, hum, puisque les défenseur-es de la bêêêêê-ê-ê-ê-elle langue française bien de chez nous n'ont de cesse de dire que le problème avec la féminisation des titres, c'est que ça sonne bizarre, que ça pique les yeux et que ça gratte les tympans, bref que c'est laid-berk-berk. Mais "ma chère confrère", c'est sûr, c'est moins curieux et moins déplaisant à l'oreille que "ma chère consoeur"...

Quand le masculin l'emporte sur le féminin, c'est pas pareil, vous dit-on, ça peut pas être étrange ou moche, puisque c'est "normal". Et c'est bien connu, tout ce qui relève de la norme est bon, beau, fort, juste et légitime.

Quoi? Comment? La norme et la langue sont faites pour évoluer? Oui, oui, mais à leur rythme, hein... Les cultures, ça ne se décrète pas ; la langue, ça ne se bouscule pas. Ouh la la! Surtout pas! C'est précieux comme tout, la langue, c'est délicat, c'est fragile, si on n'en respecte pas les règles à la lettre, ça va se briser en mille morceaux, nous allons alors perdre tous nos repères et là, c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres.

PivotBon, c'est vrai, depuis que Bernard Pivot gazouille sur Twitter, il est autorisé, pour faire court, d'écrire les nombres en chiffres et non en toutes lettres, d'abréger les mots, d'utiliser le signe "+" pour exprimer "davantage", voire de temps en temps de laisser passer une petite faute d'orthographe...

Nul n'est infaillible et la culture des réseaux sociaux est ainsi constituée qu'elle fait passer l'efficacité du message avant la stricte correction de son expression. Pivot, l'académicien 2.0 de service, ne s'est pas fait sortir manu militari de la Coupole pour si peu. Car l'Académie, qui sait aussi faire preuve de grande tolérance quand il le faut (si, si!) sait se montrer flexible et ouverte aux évolutions de l'usage de la langue quand elles accompagnent les grandes transformations de la société.

Alors, il faut croire qu'on ne peut pas considérer le fait que l'immense majorité des femmes travaillent et accèdent à des fonctions autrefois réservées aux hommes comme une transformation de la société suffisamment importante et suffisamment durable pour que la langue s'y adapte...