Pourquoi il faut vraiment veiller au sommeil de ses enfants (ainsi que le disent les spécialistes depuis longtemps…)

@Burger/Phanie-AFP

Hier, tous les médias titraient sur cette étude, commandée en 2016 par le ministère de l’EN et publiée par le Parisien : « Nos enfants ont besoin de sommeil ». On y apprend que les enfants de 5 à 6 ans dorment en moyenne entre 15 et 20 minutes de moins qu’il y a 15 ans, qu’en un siècle les moins de 18 ans ont perdu une heure de sommeil, avec pour conséquence « des difficultés de concentration à l’école et des changements de comportement rendant certains enfants apathiques ou au contraire agités à l’extrême ».

Depuis le temps que les spécialistes des rythmes de l’enfant tirent la sonnette d'alarme, il serait temps qu’on les entende.

Derrière les écrans, les parents

C’est une des raisons avancées par l’étude citée par le Parisien : les écrans seraient en partie responsables de la dégradation et de la réduction du sommeil des enfants. Une étude menée l’an dernier dans l’Académie de Toulouse a établi qu’un enfant de grande section de maternelle sur 5 a un ordinateur ou une télé dans sa chambre (je n’en reviens toujours pas) ! Mais, quels que soient les chiffres, les écrans ont bon dos, quand même. Que je sache, ils ne sont pas arrivés dans la chambre tout seul, mais bien avec l’accord des parents ! Et ce sont ces mêmes parents qui sont censés réguler l’usage des écrans, notamment des téléphones et tablettes. On a parfois l’impression, à lire ou entendre certains témoignages, que les enfants font un peu ce qu’ils veulent en la matière – ils manquent simplement de cadre, de repères, de règles. Au fond, accabler les enfants, incriminer les écrans, n’est qu’une façon de déresponsabiliser les parents – et c’est le père de trois enfants qui parle.

Par ailleurs, les parents surestiment, d’après l’étude citée par le Parisien, le temps que leur progéniture passe à dormir : il existe « un écart de 30 à 50 minutes entre le temps de sommeil nécessaire estimé par les parents et celui effectivement constaté ».

On notera aussi cette curiosité : les petits enfants dorment moins que ce qu’il faudrait, quand les grands dorment presque davantage, ainsi que le montre cette infographie du Parisien.

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Cela expliquerait, en partie, pourquoi les petits de 5 ou 6 ans (maternelle, CP) semblent davantage fatigués à l’école que les grands de 10 ans. Non seulement ils ont moins de résistance que ces derniers, mais ils dorment tout simplement moins que ce qu’ils devraient. Pour le dire autrement, s’ils dormaient leur compte, ces petits seraient moins fatigués à l’école.

Enfin, l’étude pointe du doigt le décalage nocif entre le rythme de la semaine et celui du weekend, générateur de déséquilibre. Ce point, comme beaucoup d’autres, est connu depuis belle lurette des spécialistes du sommeil et des rythmes de l’enfant.

En 2010, déjà, l’Académie de médecine…

On est bien content que ce sujet fasse l’actualité – un sujet que le ministre Blanquer décrit à juste titre comme « un des sujets de société les plus importants » – mais on se souvient qu’en 2013, lors de la mise en place des « nouveaux » rythmes scolaires en 2013 (on avait alors consacré un post à ce sujet), l’Académie de Médecine rappelait notamment que les rythmes scolaires ne sont qu’une composante parmi d’autres des rythmes de l’enfant  (« c’est le temps de vie de l’enfant qu’il faut organiser et coordonner ») et enjoignait les parents à être plus concernés par cette question du sommeil : « Les enfants et surtout les adolescents se couchent de plus en plus tard, ce qui hypothèque leurs facultés physiques et intellectuelles. Les parents doivent être plus attentifs à la durée et à la qualité de sommeil indispensables à la réussite de leurs enfants ». Dès 2010, l’Académie de Médecine publiait un rapport synthétique qui allait faire référence sur le sujet. On peut notamment y lire que « la mauvaise qualité du sommeil a pour corollaire une altération des capacités d'apprentissage entraînant une faible réussite scolaire pouvant aller jusqu'au retard scolaire, des troubles d'anxiété, de dépression et du comportement (violence, hyperactivité, ...). Le rapport insiste également sur la régularité, plutôt que la quantité : « Les besoins en sommeil étant variables selon les enfants, il est important de considérer la régularité et la bonne répartition des heures de sommeil plus que le nombre d'heures de sommeil sur un espace de temps ». Cette régularité est à installer sur la semaine complète, weekend compris : « La fatigue de l’enfant à l’école est également en rapport avec ses rythmes biologiques qui ne sont plus en phase avec l’environnement aussi bien dans les 24 h (diminution du temps de sommeil) que dans la semaine avec la coupure du week-end pendant laquelle l’enfant se couche encore plus tard que pendant la semaine et se réveille plus tard le lendemain. La prépondérance de cette désynchronisation de l’enfant est importante puisqu’elle a été rapportée dans 60 % des cas des enfants fatigués loin devant toute autre cause ».

Ce rapport de 2010, en réalité, ne faisait que reprendre la conséquente littérature en matière de rythmes de l’enfant, notamment le travail mené par les chrono-biologistes depuis des décennies.

Les ravages du manque de sommeil

Il se trouve que durant ces vacances j’ai lu le livre de Claire Leconte, « Des rythmes de vie aux rythmes scolaires », très complet, parce qu’il fait une parfaite synthèse des connaissances scientifiques historiques et se fonde sur des expériences menées dans de nombreuses écoles, avec de nombreux enfants. J’avais notamment stabiloté les passages liés au sommeil.

Le problème majeur consiste dans la désynchronisation interne, le déphasage du rythme veille-sommeil. « Pour un retard de coucher qui crée un décalage de phases de sommeil, le sommeil paradoxal met plusieurs jours à se réadapter alors que le sommeil lent profond s’adapte à ce décalage mais est diminué en quantité ». Donc, il est important d’« éviter les ruptures dans les rythmes de vie qui provoquent des désynchronisations : une régularité des horaires de coucher et de lever est le plus sûr moyen d’être en forme ».

Cette régularité dans l’heure du coucher concerne également le weekend, où l’écart avec la semaine ne doit pas excéder une demi-heure, sous peine de désynchronisation. Même chose durant les petites vacances : durant celles-ci, les enfants se couchent plus tard parce qu’il n’y a pas classe le lendemain, mais ce n’est que 8 jours plus tard qu’est pris ce nouveau rythme. Inversement, il faut à nouveau 8 jours après les vacances avant de retrouver le rythme d’école. D’où l’importance, de garder un rythme relativement stable durant les petites vacances aussi.

De nombreux effets néfastes apparaissent en cas de désynchronisation, d’autant plus graves que la dette de sommeil est importante : « diminution de la vigilance, de la concentration, et de la capacité de raisonnement logique ralentissement des réflexes, troubles de la mémoire, fatigue musculaire, sautes d’humeur, parfois agressivité et même, dans des cas de suppressions de sommeil importantes, difficultés à se situer dans le temps et/ou dans l’espace, parfois d’hallucinations (…). On ne pense jamais suffisamment au fait qu’un enfant, à l’école ou autre, agressif peut tout simplement être un enfant fatigué ».

Des effets néfastes existent aussi sur le long terme : « De nombreuses études ont trouve une relation entre la quantité et la qualité de sommeil et plusieurs problèmes de santé chronique tels l’obésité, le diabète, l’hypertension et les risques cardio-vasculaires. Dans tous ces cas le manque de sommeil perturbent des mécanismes régulateurs qui se mettent normalement à l’œuvre la nuit ». L’insuffisance de sommeil entraine également un risque d’hyperactivité.

Sur l’impact du manque de sommeil sur les performances cognitives, Leconte cite plusieurs études édifiantes : dans l’une, les performances des enfants en manque de sommeil sont deux fois moins bonnes que pour les enfants dormant entre 10 et 11 heures par nuit ; dans l’autre, « 63,6% des mauvais élèves présentaient un sommeil perturbé contre 30% chez les bons élèves ; 43% (contre 65%) avaient des difficultés d’endormissement et 22% (contre 4,7%) des éveils nocturnes ».

Les effets bénéfiques du sommeil

Sur les effets bénéfiques du sommeil (décomposé en sommeil lent profond et sommeil paradoxal, où l’on rêve), je fais ici une synthèse de quelques éléments cités par Leconte :

Le sommeil lent est connu pour ses effets bénéfiques sur les récupérations physique et musculaire. Le sommeil lent profond contribue à l’élimination des toxines et autres déchets des systèmes respiratoires, cardiovasculaires et glandulaires, ce qui explique que dormir suffisamment participe à la protection contre le stress. Toujours pendant le sommeil lent profond, la synthèse protéique (processus de fabrication des protéines telles que la testostérone, l’insuline) est accru. En particulier c’est au cours de cette période qu’est secrétée l’hormone de croissance indispensable au développement de l’enfant. Enfin nos défenses immunitaires se façonnent la nuit, le manque de sommeil accroit la sensibilité aux infections.

Le sommeil est aussi une période pendant laquelle le cerveau « travaille activement ». Des chercheurs ont montré l’effet bénéfique du sommeil paradoxal sur la mémorisation d’informations acquises pendant la veille. La suppression de cette phase de sommeil ne permet pas à un apprentissage nouveau de s’effectuer. L’imagerie médicale a confirmé que le sommeil lent permet de trier les informations importantes de celles qui ne le sont pas. Une autre étude montre que les performances de la mémoire continuent de s’améliorer au cours des deux ou trois nuits qui suivent un apprentissage, la première nuit étant capitale. Si on ne dort pas suffisamment cette nuit-là, si on est réveillé pendant cette nuit, on ne retiendra pas aussi bien l’information, même si on dort très bien par la suite. De plus, mal dormir durant la troisième nuit, c’est 30% de l’apprentissage qui disparait.

Une leçon nouvelle sera donc d’autant mieux retenue qu’elle est apprise en fin d’après-midi ou au cours de la soirée avant d’aller dormir afin que le sommeil lent de début de nuit consolide l’apprentissage dont la trace mnésique pourra être renforcé par le sommeil paradoxal de fin de nuit.

 

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Nota : Une toute récente étude de l’Inserm a mis en évidence que « plus les adolescents se couchent tard le weekend, plus leur volume de matière grise est diminué ». A lire ici. http://presse.inserm.fr/le-manque-de-sommeil-altere-le-cerveau-des-ados/27478/