Non, le niveau en lecture et en écriture n’a pas baissé depuis 12 ans (dit une étude passée inaperçue)

AFP - Philippe Desmazes

Forcément, sortir une étude sur l’école en plein milieu des vacances d’été, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour son retentissement. C’est dommage, car l’étude CEDRE publiée par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) à la mi-juillet est particulièrement intéressante : elle établit que le niveau de maitrise de la langue des élèves n’a pas baissé entre 2003 et 2015, il a même progressé en éducation prioritaire.

Pourquoi CEDRE est intéressant

Tout le monde connait PISA, certains ont entendu parler de PIRLS, peu savent ce qu’est CEDRE (Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon). Il s’agit pourtant d’une des études les plus intéressantes sur le niveau des élèves français.

CEDRE évalue le niveau  des acquis des élèves en maitrise de la langue (compréhension écrite et étude de la langue, grammaire, orthographe, vocabulaire), à la sortie de l’école (CM2) et du collège (3ème), de manière fine et étendue.  L’étude « considère la compréhension de l’écrit comme la capacité à se construire une représentation cohérente et unifiée des informations délivrées par le texte. Cela suppose notamment d’être capable d’établir des relations de référence entre les éléments du texte (connecteurs, unités anaphoriques, interprétation des pronoms personnels) et de produire des inférences. En outre, il convient d’être capable d’extraire l’essentiel du texte (le thème). Cela implique aussi de pouvoir exercer un contrôle sur sa compréhension, par exemple par la vérification de la pertinence et des interprétations effectuées. La connaissance du lexique et le traitement de la syntaxe influent aussi directement sur la compréhension du texte. L’évaluation, se fondant sur ce modèle, propose donc aux élèves un panel représentatif du questionnement relatif à l’activité de compréhension en lecture : dégager le thème d’un texte, repérer des informations explicites, inférer des informations nouvelles, repérer les effets de choix, réfléchir sur le texte » ;

Point fort de CEDRE, le panel de supports utilisés est varié et complet : « Pour évaluer la compréhension en lecture, une sélection de différents types d’écrits (littéraire, scolaire, vie courante), de modalités variées (lecture d’un ou plusieurs documents) et de divers genres de textes (narratif, explicatif, poétique) a été opérée. Dix-huit supports écrits (dont la longueur varie de 60 à 900 mots) sont utilisés, dont neuf accompagnés d’iconographie »

Par ailleurs, le nombre d’élèves et d’écoles ayant pris part à l’étude est important : 7 400 élèves de CM2 de 270 écoles, 9 000 élèves de 3ème de 360 collèges, de quoi donner du poids à l’étude. Enfin, pour la première fois, CEDRE propose une mise en perspective portant sur 12 années et 3 études (2003, 2009, 2015).

CEDRE 2015 : verre à moitié plein, voire plus

Le premier constat, manifeste, est que le niveau des acquis des élèves de primaire en maitrise de la langue n’a pas baissé depuis 2003. En ces temps de morosité scolaire, en pleine mode décliniste, la chose mérite tout de même d’être soulignée : non, le niveau n’a pas baissé depuis 12 ans (score moyen de 250 en 2003, de 251 en 2015). 60% des élèves ont une maitrise suffisante des compétences attendues en fin de scolarité primaire. On est d’accord, c’est insuffisant, mais c’est pareil qu’il y a 12 ans, pas pire.

Deuxième point intéressant : il y amoins d’élèves en très grande difficulté en 2015 (11% des élèves) qu’en 2003 (15%). Les deux groupes les plus faibles comptent moins d’élèves, au bénéfice des groupes intermédiaires. De fait, les écarts entre élèves tendent à diminuer (43 points contre 50), malheureusement en raison également du nombre moins important d’élèves performants (7,2% contre 10% dans le meilleur groupe) : « la répartition des élèves dans les groupes indique que la part des élèves en très grande difficulté ainsi que le nombre d’élèves les plus performants (groupe 5) ont baissé significativement, traduisant un resserrement vers les groupes intermédiaires (2 et 3) ».

Troisièmement, les résultats des élèves en éducation prioritaire (EP) progressent sensiblement : ils ne sont « plus que » 20 % dans les deux plus mauvais groupes, contre 34% il y a 12 ans ; le nombre d’élèves en très grande difficulté y a été divisé par 3,5 ; cette amélioration se fait au bénéfice de tous les groupes supérieurs, y compris le meilleur groupe, ce qui est le cas uniquement en éducation prioritaire (dans le public hors EP et le privé, le pourcentage d’élèves dans le meilleur groupe diminue). Le score moyen en EP augmente de 12 points en 12 ans, c’est important, cependant le niveau reste inférieur au public hors EP (33 points d’écart en 2003, 20 points en 2015). On reproche à l’école française de creuser les inégalités, CEDRE 2015 semble indiquer, pour la première fois, qu’il n'y a pas de fatalité de ce côté.

Du côté du verre à moitié vide

Conformément à ce que disent d’autres études, l’écart continue à se creuser entre les garçons et les filles, passant de 6 à 14 pts entre 2003 et 2015. Les garçons sont certes moins nombreux dans le groupe le plus faible en 2015 qu’ils ne l’étaient en 2003, mais ils sont également moins nombreux dans les deux groupes les plus performants. Les filles sont moins nombreuses dans les deux groupes les plus faibles, mais plus nombreuses dans les groupes performants. En résumé, la tendance est à l’augmentation des effectifs dans les meilleurs groupes chez les filles, à l’augmentation des effectifs dans les groupes intermédiaires chez les garçons.

L’autre source d’inquiétude concerne le groupe le plus performant, à la baisse dans tous les cas de figure (y compris dans le privé sous contrat). Si l’école semble trouver un début de réponse pour les élèves en très grande difficulté, cela semble se faire au détriment des meilleurs.

Une piste pour les enseignants : travailler sur les stratégies de lecture

Pour la première fois, CEDRE s’est penché sur les stratégies de lecture utilisées par les élèves. On sait en effet que « les bons lecteurs sont des lecteurs actifs, conscients des stratégies qu’ils emploient pour accéder au sens et pour contrôler et réguler leur compréhension ». L’étude montre que moins d’un tiers utilise des stratégies efficaces, et plus d’un tiers des stratégies inefficaces (par exemple : éviter la lecture à haute voix, continuer à lire sans résoudre les problèmes de compréhension, utiliser uniquement les informations du texte…). Parmi les stratégies efficaces, seule celle consistant à diminuer la vitesse de lecture est massivement utilisée (+ de 60%). « Cette faible utilisation des stratégies autres que la modulation de la vitesse de lecture, ainsi que l’utilisation répandue de stratégies inefficaces, indiquent clairement un déficit de connaissance des élèves sur les stratégies qui peuvent soutenir la compréhension de l’écrit. »

Ici l’étude renvoie aux travaux (dont on reparlera, ils sont importants) menés lors de la Conférence de consensus sur l’apprentissage continu de la lecture en mars 2016 par le Cnesco (Conseil national de l’évaluation du système scolaire) et l’IFÉ (Institut français de l’Éducation), lesquels « recommandent de développer des stratégies de lecture-compréhension en privilégiant un enseignement explicite de la compréhension pour tous les élèves et de le prolonger aussi longtemps que nécessaire pour les élèves moyens ou faibles afin d’en faire des lecteurs autonomes. »

Pourquoi l’étude est-elle passée inaperçue ?

Voilà donc une étude fiable, sérieuse et circonstanciée, qui vient nuancer le sempiternel constat de baisse du niveau en indiquant clairement que celui-ci n’a pas baissé depuis 2003, qu’il y a moins d’élèves en grande difficulté, que l’école française cesserait enfin de renforcer les inégalités, une étude qui donne de surcroit des pistes très concrètes de progression, or, quasiment personne n’en a parlé, hormis les médias spécialisés (Café Pédagogique, VousNousIls). Dans un contexte de morosité concernant l’école, où les mauvais classements succèdent aux enquêtes alarmistes, on devrait accueillir avec intérêt, si ce n’est soulagement, une étude aussi nuancée que CEDRE. Comment se fait-il qu’elle ait suscité aussi peu d’intérêt ?

On l’a dit, publier une étude de cette ampleur en plein été constitue une excellente manière de la passer sous silence : les médias sont trop occupés à filmer les touristes sur la plage pour (faire mine de) s’intéresser à des sujets un peu pointus. De ce point de vue, on peut tout de même s’interroger sur la stratégie de la DEPP et du ministère.

Mais au-delà, on peut aussi se demander si les médias, le grand public, y compris les enseignants, ont vraiment envie d’entendre que tout n’est pas si noir, que l’école ne va pas si mal que cela. Les rares médias qui ont relayé l’étude l’ont fait avec la moue et des réserves voire carrément à contresens, tirant vers le noir (« Au collège, 15% des élèves n’ont aucune maitrise du français »). Au fond, tout se passe, dans ce pays, comme si tout le monde semblait non seulement accepter mais même, se satisfaire de lire/entendre/voir que l’école se porte mal. Cela permet de regretter l’école d’antan, celle qu’on a connue, celle du « c’était mieux avant », et tant mieux, finalement, parce qu’avant, c’était nous. A cet égard, le sondage BVA de rentrée scolaire (qui devient un marronnier au moins aussi navrant que le poids des cartables) en dit long : 75% des Français interrogés pensent que l’enseignement était meilleur avant, 65% sont favorables au rétablissement de l’uniforme. Un sondage mené auprès de 1009 personnes par téléphone. Méthodologiquement, c’est nettement moins costaud que CEDRE, mais bon, tout le monde a parlé du sondage.

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