"Mon maître d’école", surface sépia

J’étais allé voir le film avec une vraie gourmandise, à la Toussaint. J’avais reçu une invitation, comme tous les collègues participant au dispositif « école et cinéma », pour une avant-première dans le cadre de « Mon premier festival », le festival pour enfants. Dans la salle il y avait une rangée de sièges réservés aux enfants composant le jury qui décernerait son prix quelques jours plus tard à "The Case of Hana and Alice" de Shunji Iwai. Il y avait aussi la réalisatrice Emilie Thérond et le producteur François-Xavier Demaison, venus présenter le film.

J’étais en vacances, j’étais dans d’excellentes dispositions et j’avais très envie de voir ce film : il n’en faudrait pas beaucoup pour m’enthousiasmer.

Déception

J’ai vite été séduit par cette lumière du sud, la beauté du village de Saint-Just-et-Vacquières, cet accent chantant, la bonhomie placide et toute en retenue du maître d’école, monsieur Burel. J’ai aimé l’idée de cette réalisatrice qui voulait nous faire connaître son ancien instituteur, dans sa toute dernière année d’exercice, je me suis dit qu’il y avait là, dans ces lacets qui mèneraient aux au-revoir définitifs, la perspective de belles pépites, de moments forts et humains.

Et puis… Et puis pas grand-chose. J’ai passé la majeure partie du film… en spectateur, sans vraiment entrer dedans, voyant bien ce que j’étais censé ressentir mais ne le ressentant point. Ce film est sincère, à n’en pas douter, c’est un film gentil, c’est un film joli (tout y est beau et voulu comme tel), mu par des intentions louables, monsieur Burel est manifestement un très bon enseignant, mais à l’exception de quelques moments intéressants, épisodes sympathiques, je me suis surtout ennuyé, trouvant même le temps long durant le dernier tiers, avant que les adieux finaux ne viennent logiquement mais insuffisamment relever le tout.

Etre ou ne pas "Etre et avoir"

"Mon maitre d’école" a un gros problème : il vient après "Etre et avoir", le film de Nicolas Philibert sorti en 2002. Même format documentaire, même cadre (une école de campagne, une classe multi-niveaux), même type de personnage (un instituteur "à l’ancienne" au crépuscule de sa carrière), même trame narrative (une année au rythme des saisons), mais pour un résultat bien différent. Là où le prix Louis-Delluc 2002, césar 2003 du meilleur montage, nous emmène avec une grande finesse et une juste acuité à la rencontre de personnages forts et émouvants, incroyablement humains (rappelez-vous, le petit « Jojo » !), filmés à hauteur d’enfant, le film de Thérond ne parvient que rarement à pénétrer véritablement la classe, à en casser la masse pour nous donner à voir, au-delà du groupe, les élèves. De même, malgré la bienveillance et l’admiration que l’on sent chez la réalisatrice pour monsieur Burel, "Mon maître d’école" n’arrive pas véritablement à en faire un personnage fort, narrativement parlant, quand George Lopez, l’enseignant de « Etre et avoir », irrigue chaque plan du film de sa présence quasi-magnétique – peut-être parce que dans "Etre et avoir" ce sont les enfants qui comptent, avant tout.

Etre et avoir, de Nicolas Philibert

Etre et avoir, de Nicolas Philibert

Question de cadrage, question de montage, c’est-à-dire question de point de vue et de rythme, question de narration. Pour le dire simplement, peut-être un peu cruellement : "Etre et avoir", qui sait laisser le temps lent de la classe s’installer, est un véritable film de cinéma (peu importe ici que l’on parle de documentaire), merveilleusement structuré et filmé, ce que n’est pas "Mon maître d’école", qui reste en fin de compte en surface et fait plutôt penser à un film-souvenir, à un film-cadeau offert par les parents d’élèves à l’instituteur qui part en retraite.

Vous me direz, tout le monde n’aura pas forcément vu "Etre et avoir". C’est à souhaiter, en effet.

Une école qui rassurera tout le monde

Pourtant, c’est quasiment sûr, le film sera un succès. Parce que le producteur est un comédien connu, parce que le distributeur n’est autre que Disney, qui n'a pas lésiné sur les avant-premières afin de cibler une promo menée avec une certaine maestria (affiche omniprésente, campagne TV et radio finement dosée, création d’un site web dédié au film, présentation de dossiers pédagogiques à exploiter en classe, etc.), mais pas seulement.

Si le film va plaire, c’est qu’il est ra-ssu-rant.

Tant pis s’il ne rend pas vraiment compte de ce qu’est l’école aujourd’hui en France. Non parce qu’il n’est pas réaliste : il subsiste quelques écoles de campagne, quelques classes, quelques instits comme ceux présentés ici. Mais dans des proportions tellement faibles qu’il s’agit presque d’un inventaire avant disparition. L’immense majorité des enfants et des instits de ce pays connait bien autre chose, l’hétérogénéité sociale, familiale, la multiplicité des origines, les classes surchargées, l’omniprésence tatillonne de l’administration, etc. La classe de monsieur Burel est un long fleuve tranquille, à de rares exceptions tout roule, les rares problèmes rencontrés disparaissent aussitôt, pas nécessairement parce qu’ils n’existent plus dans la classe, mais parce que le film passe à autre chose (il y avait pourtant matière à creuser, pour la réalisatrice, on repense à cette scène où monsieur Burel parle avec cet élève qui ne parvient pas à retenir ce qu’il apprend). Comme si l’auteure avait, consciemment ou non, fait l’impasse sur les aspects grisés de ce métier, pour ne se souvenir que des belles choses.

Nostalgie quand tu nous tiens

Tant pis donc si le film ne dit pas grand-chose des difficultés d’enseigner aujourd’hui (ni même hier, d’ailleurs). Tant pis et même tant mieux, pense-t-on comprendre : les gens ont besoin de rêver, ont besoin de beau, de joli, de pur, surtout si ça ressemble à ce qu’ils ont connu dans leur enfance. La réalisatrice et le producteur ont beau assurer qu’ils ne voulaient pas faire un film nostalgique, c’est tout de même ce qui ressort du film, qui exsude la nostalgie presque malgré lui : nostalgie des petites écoles de campagne de jadis, nostalgie des fêtes de village d’antan, nostalgie de ces temps où l’instituteur était un notable du village, avec le médecin et le maire, quand il n’était pas maire lui-même (comme monsieur Burel), nostalgie de ces instits à l’ancienne (un homme, comme dans "Etre et avoir", ce n’est sans doute pas anodin), la vocation du hussard noir chevillée au corps, nostalgie des vieilles pierres, des clochers et des monuments aux morts. Il y a ici un peu de la France de Charles Péguy, un peu de celle de Marcel Pagnol (avé l’accent, pour monsieur Burel comme pour monsieur Lopez de "Etre et avoir"), un peu de la France insouciante d’après-guerre, mais peu, ou pas de trace de la France du XXIème siècle, ni même de la fin du XXème.

Tout ce sépia plaira, à n’en pas douter. Il renvoie à une époque où la France n’avait pas de problème (croit-on se souvenir), à une époque où les instits savaient instruire et éduquer, à une époque sans crise ni crise de l’école, une époque qui valide que « c’était mieux avant ».

Il plaira au grand public, qui en a marre d’entendre PISA lui dire que l’école dysfonctionne et qui pourra se réfugier, une heure et demie durant, dans cette école éternellement souriante.

Il plaira aux parents, qui se diront que, quand même, l’école peut être belle et les enfants y être heureux.

Il plaira aux enseignants, aussi, les futurs y verront leur vocation confirmée et auront hâte de découvrir le plus beau métier du monde, les anciens se remémoreront un temps qu’ils ont peut-être connu, les autres savoureront sans doute un Eden qui les éloignera, quelques instants, de leur réalité.

Il plaira à tant de monde que, finalement, peu importe qu’il ne m’ait pas franchement emballé.

 

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Nota : je suis tombé sur une plaquette de Disney qui nous explique "les 5 raisons qui feront du film un succès" : "Un film sourire qui rassure sur les valeurs humaines, le témoignage sincère de 40 ans de carrière d'un enseignant pas comme les autres, la vie d'une école d'un petit village de province où se sont succédées des générations d'enfants, Mr. Burel, un enseignant qui nous plonge dans nos souvenirs d'enfance, un hommage d'une élève, la réalisatrice, au professeur qui a marqué sa vie". Outre les deux fautes d'orthographe (se sont succédées, Mr Burel), Disney semble assez d'accord avec moi, finalement.

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Publié par Lucien Marboeuf / Catégories : Actualité