La formation continue (à poser problème)

(Crédit AFP)

Cette semaine la Cour des Comptes a sorti le carton rouge pour le ministère de l’éducation nationale : dans un référé de 6 pages, la Cour des Comptes résume parfaitement tous les manques et les dysfonctionnements de la formation continue des enseignants, constatés au quotidien sur le terrain.

3,5 jours de formation par an

3,5 jours de formation par an, c’est moins que ce dont bénéficient les cadres A de la fonction publique (4 jours), alors que le besoin de formation continue des profs est sans doute supérieur. 3,5 jours, c’est surtout beaucoup moins qu’ailleurs : en moyenne dans l’OCDE, les profs ont droit à 8 jours annuels de formation continue. On leur souhaite que ces huit journées soient plus fécondes que nos 3,5, qu’on ne choisit pas toujours et dont l’intérêt ou la pertinence laissent souvent à désirer. La Cour des Comptes relève à juste titre le « scepticisme, très majoritaire parmi les enseignants, sur l’aide que leur apportent ces formations dans leur travail quotidien ».

Pas d’entretien annuel

Depuis 2007, chaque enseignant doit bénéficier d’un entretien annuel de formation. Il ne s’agit pas d’une possibilité offerte mais d’une obligation légale (loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique). Huit ans plus tard, pas un seul enseignant français n’en a bénéficié. La Cour des Comptes regrette également qu’il soit impossible « de retracer le parcours de formation des enseignants » : il n’y a aucun suivi, les formations ne sont pas données dans un cadre global de valorisation des compétences des enseignants, ni de cohérence ou de vision à long terme. En résumé, le référé regrette que « la prise en compte de la formation continue dans le parcours de carrière des enseignants [soit] quasiment inexistante ».

Le ministère hors la loi sur les frais

La Cour des Comptes relève également que le ministère se met régulièrement hors la loi en ne participant pas, comme il le devrait, aux « frais de déplacement, de restauration et d’hébergement occasionnés par la formation continue ». Ce « défaut de remboursement » n’est pas conforme à la réglementation, et la Cour des Comptes rappelle que « les règles de gestion, à cet égard, sont les mêmes pour les enseignants que pour tout fonctionnaire ».

Pire, elle met en garde le ministère contre « un risque contentieux potentiellement lourd » : « Cette liberté prise avec les textes place les rectorats dans une situation de forte insécurité juridique. Dans l’éventualité où des enseignants engageraient massivement des procédures de recours, les académies seraient, en effet, susceptibles de devoir verser des montants conséquents, non provisionnés à ce jour ».

Ce que devrait être la formation continue

Le pire pour le ministère, dans ce texte, est doute le rappel à ce que devrait être une formation continue digne de ce nom – manière de dire en creux tout ce qu’elle n’est pas, actuellement. Pour la Cour des Comptes, la formation continue devrait « permettre un accompagnement des enseignants tout au long de leur carrière, depuis le développement actif de compétences pendant les premières années du métier jusqu’à une phase de consolidation professionnelle, puis de valorisation de l’expérience acquise. Les dispositifs de congé pour formation professionnelle devraient aussi avoir pour but, ainsi que les textes le prévoient, d’accompagner les réorientations de carrière et de soutenir des projets professionnels atypiques ».

Accompagnement, développement actif des compétences, consolidation professionnelle, valorisation de l’expérience acquise, réorientation de carrière et soutien des projets atypiques, ça fait tout bizarre, tant de bon sens et de bienveillance réunis, on n’a pas l’habitude !

Les ESPE, au travail

La Cour des Comptes demande également à ce que les ESPE (Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education) prennent à bras le corps leur mission s’agissant de la formation continue. Il faut, « comme prévu dans les programmes budgétaires, veiller à ce que l’offre de formation continue des ESPE soit effective » et que cette formation soit « construite en lien étroit avec les liens besoins concrets exprimés par les enseignants et les corps d’inspection ». « Il importe, en particulier, que l’articulation entre recherches et sciences de l’éducation, formation et acte pédagogique soit incluse dès le cahier des charges de tout action de formation, afin d’assurer le dialogue entre les acteurs de terrain et les chercheurs et la diffusion des expérimentations réussies ».

Années 70 : 36 semaines de formation continue

Sur son excellent blog, l’historien de l’éducation Claude Lelièvre a enfoncé le clou, au lendemain de la publication du référé de la Cour des Comptes, en rappelant qu’en mars 1972 était signé un accord historique entre le ministère et le Syndicat National des Instituteurs : « Le principe essentiel de cet accord est que la formation permanente est un droit pour tous les instituteurs. Chacun d’eux pourra disposer pour cela de 36 semaines à temps plein – soit une année scolaire – à répartir sur toute sa carrière. Il est prévu que dans une première période de six ans, les stages dans les écoles normales seront de six semaines ou de trois mois ; et que, pendant la durée des stages, les classes de ces maîtres seront assurées par des instituteurs remplaçants (en principe titulaires) ». Le ministère de l’époque parle de « rénovation pédagogique », de « développer chez les maîtres l’aptitude au changement », de favoriser une « politique d’innovation dans le système éducatif ».

Et Claude Lelièvre de conclure : « Compte-tenu de l’importance et de l’ampleur du sujet, il devrait être clair qu’il relève (par delà les attributions du ministère de l’Education nationale) du plus haut sommet de l’Etat (du Premier ministre et du Président de la République) ».

Cinquième roue du carrosse

Ce semble être une habitude très française, de réformer l’école sans former les enseignants. Au primaire, on doit enseigner l’anglais sans avoir été formés, on doit enseigner l’informatique (et bientôt le code) sans avoir été formés, on accueille des élèves à « besoins spécifiques » (dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, troubles envahissant du développement, autisme, etc…) sans avoir été formés…

Le monde tourne, de plus en plus vite, la société change à grande vitesse, la technologie évolue très rapidement, les sciences de l’éducation avancent et la recherche scientifique avec, mais tout ceci sans nous enseignants, qui restons enkystés dans nos classes, alors que nous serions tellement preneurs d’une formation de qualité.

A ce besoin de formation, ces envies d’évolution, il est trop souvent répliqué que tout enseignant a l’obligation de mettre à jour ses compétences, de se former à tout ce qui pourra aider son enseignement. Sauf que l’auto-formation a ses limites, on ne peut décemment pas fonder une politique nationale d’éducation sur la capacité de chaque enseignant à se débrouiller seul, à amender dans le désert son enseignement année après année.

Si la formation initiale des profs, supprimée pour faire des économies par Xavier Darcos et Nicolas Sarkozy, a été rétablie par Vincent Peillon en 2013, la formation continue reste la grande absente de la Refondation de l’école. La seule mesure vraiment concrète sur ce sujet a été de promouvoir la formation à distance via la plateforme m@gistère, au détriment de la formation présentielle (nettement moins économique). Un jour peut-être cette plateforme sera-t-elle efficace, quand les contenus seront variés, adaptés et concrets (on s’y croirait en deuxième année de sciences de l’éducation), quand la forme sera moins archaïque (un exemple d’ergonomie ratée). Pour l’instant, c’est un peu court.

 

Nota : on propose à la relecture ce billet de septembre 2013 : « Et la formation continue, bordel ! », dans lequel on pointait notamment les limites de la formation en ligne, avant de constater que les pays qui ont réussi à réformer leur système éducatif ont mis en place une formation continue riche et efficace…

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