Les 10 idées de l'Europe pour relancer l'attractivité du métier d'enseignant (et pourquoi la France n’est pas près d’y arriver)

(Crédit Gérard Julien / AFP)

La France n’est pas la seule à connaître de grosses difficultés de recrutement dans l’éducation : mis à part l’Irlande, la Finlande et l’Ecosse, les 28 autres pays de l’Union ont eux aussi du mal à recruter leurs enseignants.

Observant les pratiques des 28, plus l'Islande, la Norvège, la Turquie et le Lichtenstein, considérant ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, l’Europe fait, dans un rapport qui vient de paraître (en anglais), 10 recommandations pour relancer l’attractivité du métier d’enseignant.

1. Améliorer les méthodes de recrutement des enseignants

La première recommandation de l’Europe et de continuer à recruter, malgré les difficultés, au plus haut niveau d’étude possible. Parallèlement, il faut développer des programmes de pré-recrutement, diversifier les critères de sélection afin de recruter des candidats issus d’autres champs et favoriser les reconversions vers le métier d’enseignant.

Le rapport insiste aussi sur la nécessité de ne pas se contenter, lors du recrutement, du savoir académique disciplinaire : la capacité d’adaptation au public et au contexte professionnel, qui évolue très rapidement, doit être un critère majeur.

En France : depuis la « masterisation » menée sous Darcos, le niveau de recrutement de tous les enseignants français est le master. Problème : à ce niveau d’étude, un enseignant gagne 75% du salaire moyen. Le pré-recrutement n’est pas vraiment privilégié : Hollande a bien mis en place les « emplois d'avenir professeur», mais ils ne garantissent pas un recrutement futur (et ils ont du mal à attirer...). Les reconversions vers le métier de prof ne sont pas rares, mais rien n’est prévu pour les favoriser. Quant au savoir disciplinaire, il s’agit toujours du critère ultra-majoritaire pour le recrutement des profs de collège et de lycée. La capacité d’adaptation, comme tous les critères psycho-sociaux, sont marginaux, voire inexistants dans le recrutement français.

2. Améliorer la formation initiale des enseignants

Il est important, dit le rapport, de créer lors de la formation initiale des profs une synergie entre le savoir académique et les sessions pratiques d’enseignement. De même il faut augmenter les échanges de pratiques entre enseignants et mieux définir, lors de cette période-clé, les missions et les rôles de l’enseignant. L’accent doit être mis sur le travail en équipe, l’évaluation des élèves (principalement l’évaluation formative) et l’enseignement des compétences-clés.

En France, la formation spécifique des enseignants avait été purement supprimée sous Sarkozy, engendrant une vraie catastrophe sur le terrain (situations de burn out des nouveaux profs lâchés en classe sans être préparés, abandon de nombreux stagiaires…). La création des ESPE par Vincent Peillon a permis le rétablissement de la formation initiale, mais leur fonctionnement soulève de nombreuses critiques : la main mise des Universités sur les ESPE, notamment, ne permet pas de garantir comme il le faudrait les sessions pratiques et les stages, pourtant décisifs d’après tous les rapports. Quant au contenu : la réflexion sur le métier existe mais n’est pas suffisante, le travail en équipe est trop peu abordé, l’évaluation des élèves est un serpent de mer national dont le ministre Benoit Hamon, dit-on, voudrait faire SA grande réforme

3. Développer des programmes de stage et l’accompagnement des enseignants débutants

L’Europe insiste sur cet aspect : il faut développer de manière conséquente les stages de pratique, mettre en place une détection précoce des difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants stagiaires et apporter des solutions. Il faut encourager le travail en équipe pour casser l’isolement des enseignants. Il est également primordial de former les chefs d’établissement à l’accompagnement des enseignants débutants. Enfin, il faut développer la coopération entre le département éducation des universités, les tuteurs expérimentés sur le terrain, les directeurs d’établissement et les inspecteurs, et développer un langage et une culture commune à tous ces éducateurs.

En France, les stages existent, même s’ils devraient être plus nombreux, et les stagiaires sont suivis par des tuteurs et des formateurs, de même que les enseignants débutants. Leur accueil et leur intégration varient énormément selon le chef d’établissement, qui n’est pas formé à cela. La coopération entre les différentes institutions et les différents acteurs est très lacunaire. Conséquence : le cadre prévu n’empêche pas les stagiaires et de se trouver régulièrement démunis face aux difficultés rencontrées sur le terrain, surtout que les premiers postes sont souvent les plus durs.

4. Développer et améliorer la formation continue

L’Europe conseille de rendre la formation continue obligatoire, un enjeu "décisif, étant donné la vitesse à laquelle évolue la société et les défis que rencontrent école et enseignants". Elle demande d‘encourager les congés pour formation professionnelle et de prendre en compte les compétences nouvellement acquises dans l’avancement et l’évolution de carrière des enseignants. Il faut également améliorer les conditions de formation continue : possibilités d’expérimenter, structures, documentation…, et améliorer les dispositifs de formation en ligne.

Le rapport insiste sur le fait que renoncer à la formation continue des enseignants en raison de la crise économique serait une erreur, et cite l’exemple de l’Irlande et de l’Ecosse, qui ont mis l’accent sur la formation continue avec succès.

En France : on l’a dit à plusieurs reprises sur ce blog, la formation continue est le parent pauvre de l’éducation française. Réduite à une peau de chagrin sous Sarkozy, elle constitue l’une des déception de la refondation de l’école par Peillon, qui a essentiellement développé des structures en ligne – encore vides de contenu – délaissant la formation présentielle, pourtant indispensable.

Dans les faits, les profs sont le plus souvent obligés de se former seuls, comme ils le peuvent, s’ils veulent continuer à évoluer ou simplement se mettre à jour.

5. Développer et améliorer l’accompagnement des enseignants en difficulté

Le rapport recommande de développer des structures d’accompagnement pour les enseignants rencontrant des difficultés et de former les chefs d’établissement à l’accompagnement de ces derniers.

En France, les enseignants en difficulté sont très peu accompagnés. Aucune structure n’existe, les cadres ne sont pas formés et les soutiens sont alléatoires (collègues ou inspecteur bienveillant…). Quant aux médecins du travail, ils sont 70 pour plus de 800 000 profs. Conséquence, le taux de burn out est très élevé dans la profession (voir aussi ce rapport complet du Sénat), de même que le taux de suicide.

6. Développer la mobilité professionnelle et géographique des enseignants en Europe

Le rapport préconise de faciliter la possibilité pour les enseignants de faire un stage de pratique ou une période d’enseignement dans un autre pays européen tous les 10 ans. Dès la formation initiale, il s’agit de sensibiliser les enseignants à la mobilité et aux analyses comparées des systèmes éducatifs.

En France : la mobilité n’est absolument pas encouragée et se limite à des initiatives confidentielles, l’analyse comparée des systèmes éducatifs est un domaine d'études très intéressant mais qui ne trouve bizarrement pas de prolongement concret dans la formation des enseignants.

7. Améliorer l’évaluation des enseignants

Pour l’Europe, il est primordial d‘évaluer régulièrement les enseignants sur des critères transparents et de leur fournir un retour précis de l’évaluation. Le rapport recommande aussi de lier l’évolution de carrière à l’efficacité des enseignants, à leur investissement et de développer une reconnaissance institutionnelle à la mobilité, à la formation continue et à l’innovation.

En France : c’est un sujet très sensible chez les profs, surtout quand il est correllé à une rémunération au mérite comme c’est le cas dans le rapport de l’Europe. Il faut dire que la culture de l’évaluation, au sein de l’éducation nationale, laisse franchement à désirer : les inspections sont trop rares (tous les 4 à 5 ans en moyenne) et menées le plus souvent de manière autoritaire, sous une forme rarement formatrice ou constructive. La note donnée lors de l’inspection joue dans l’avancement, mais de façon minoritaire. Par ailleurs, on croit savoir que les inspections vont se raréfier dans les mois à venir, précisément afin de diminuer les avancements et donc de faire des économies… Cela en dit long sur le rôle et la conception de l’inspection dans le pays !

8. Améliorer les conditions d’avancement et rendre les salaires plus attractifs

Le rapport préconise de rémunérer les enseignants stagiaires en échange d’un engagement de 8 à 10 ans, d‘augmenter le salaire d’entrée dans la profession pour la rendre plus attractive pour les étudiants brillants et motivés. Il faut également encourager une progression salariale rapide pour les professeurs les plus efficaces / performants et prendre en compte les difficultés de certains environnements (zone d’éducation prioritaire…) par des incitations financières et des évolutions de carrière rapides. Sur tous ces sujets, il est important de développer un dialogue social, note le rapport.

En France : L’augmentation du salaire en début de carrière est une des rares mesures positives du quinquennat Sarkozy. Mais on sait qu’elle a été "rattrapée“ en diminuant la progression salariale les années suivantes afin de rester à masse salariale équivalente : déshabiller Paul pour habiller Pierre qui débute... Malgré cette mesure, le salaire d’entrée reste inférieur à ce que touche ailleurs quelqu’un ayant le même niveau d’étude. Les enseignants français, particulièrement les instits, restent nettement sous-payés par rapport à leurs collègues étrangers, et leur pouvoir d’achat a baissé de 10 % depuis 2000. Côté incitation, Peillon a intégré à son plan ZEP un volet d’incitation financière pour les profs travaillant en ZEP. Quant au dialogue social…

9. Améliorer les conditions de travail

Le rapport recommande d‘améliorer les équipements informatiques et multimédias, leur maintenance. Mais aussi d‘améliorer le ratio élèves / enseignant (taux d’encadrement) en prenant en compte les difficultés et les niveaux des élèves. Enfin, il demande de fournir aux enseignants des infrastructures adéquates : salles de réunion, bureaux…

En France : le moins qu’on puisse dire est qu’on est très à la traîne dans ces domaines ! Le taux d’équipement informatique est l’un des plus mauvais d’Europe, le taux d’équipement en tableaux numériques est très inférieur à ce qui se fait par exemple en Angleterre. La maintenance, mieux vaut en rire qu’en pleurer. Le taux d’encadrement reste l’un des plus élevés de l’OCDE. Quant aux infrastructures, la bonne blague ! Bref, un futur prof doit savoir qu’il travaillera avec des ordi pourris à l’usage bridé par les administrateurs, sans bureau ni salle de réunion.

10. Améliorer l’image de la profession dans la société

En interne, l‘Europe conseille d‘inclure les questions sur l’identité professionnelle dans la formation initiale. Vers l’extérieur, il s’agit de développer une communication authentique, des débats publics sur les questions d’éducation. Il est important de communiquer sur les innovations pertinentes afin de donner une image positive du métier. Plus généralement, il faut améliorer l’image des enseignants en mettant l’accent sur leur professionnalisme. Afin de prendre le pouls, il est important d‘organiser de fréquents sondages d’opinion, fondés sur des échantillons fiables.

Autre point intéressant : il faut former les cadres de l’éducation aux médias, les inciter à nouer des relations constructives avec les médias.

En France : On ne peut que regretter que les débats d’éducation se résument le plus souvent au poids du cartable ou à des faux débats stériles sur les méthodes de lecture. Le professionnalisme des enseignants, leurs innovations ne sont pas franchement mises en valeur par les gouvernements successifs (le pompon pour Darcos qui affirmait que les profs de maternelle n’étaient là que pour changer les couches). A quand une grande émission sur l’éducation à la télévision publique, genre "le magazine de la santé“ ?

Conclusion

On le voit, le rapport de l’Europe explore différents horizons afin de moderniser le métier d’enseignant et de redorer son image afin d’attirer les candidats. On le voit aussi, la situation en France est assez éloignée des recommandations de l’Europe, qui recoupent celles de l’OCDE. Pire, les projections, à partir de ce qui existe et de ce qui est en chantier, n’invitent pas l’optimisme : tout porte à croire que le recrutement des profs va continuer à être problématique.

Cette année, le concours de professeur des écoles a retenu des candidats à 4,17 / 20 de moyenne dans certaines académies, et le CAPES de maths n’a pas permis de pourvoir tous les postes

La baisse du niveau des profs entraînera mécaniquement celle des élèves, surtout si la formation n’y remédie pas, et contribuera à dévaloriser l’attrait du métier. Cercle vicieux…

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