Rentrée décalée : tous perdants

(Crédit Denis Charlet / AFP)

Après la journée de grand flou, jeudi, sur l’annonce ou pas d’un report de la prérentrée pour les enseignants, Benoit Hamon a donc fini par trancher, et tout décalé d’un jour. Les profs rentreront le lundi 1er septembre et les élèves le lendemain, le mardi 2 septembre. Mais cela ne résout rien. Au contraire.

Hamon se justifie : les logiciels du ministère sont pourris

Il aura donc fallu attendre 24 heures pour avoir la version officielle. C’est le ministre lui-même qui le dit, le problème, ce sont les ordis de la rue de Grenelle, incapables de traiter les données… « Un problème informatique empêchait de nommer les nouveaux enseignants avant le 1er septembre », donc de faire travailler les profs officiellement le 29 août. Ce n’est pas du EdukActus ou autre site parodique, c’est du 100% officiel. Le logiciel de paie aurait du mal à intégrer les 40 000 stagiaires de master qui doivent intégrer l'Education nationale au 1er septembre 2014.

La thèse de l’explication technique avait couru sur le web, dès jeudi. Elle est plausible (surtout s’ils ont les mêmes ordis que dans notre école, au ministère), mais on a quand même un peu l’impression que Hamon nous fait le coup de la panne. Le calendrier a été fixé il y a quatre mois, il était temps de lancer les logiciels…

Sur les réseaux sociaux, on pouvait lire ce commentaire amusant : « dans les départements français de l'Océan Indien (La Réunion et Mayotte), ça fait des années qu'on rentre à la fin août. Mais on doit avoir de meilleurs logiciels, ou de meilleurs informaticiens, ou de meilleurs conseillers en communication ».

Et puis, il y a la théorie de Maryline Baumard, sur le site du Monde.fr : « Le nouveau ministre Benoît Hamon a blêmi en apprenant qu'un préavis courait pour le 29 août et risquait de lui faire rater sa première rentrée. Motif ? "La défense des congés d'été des personnels », comme l'explique le secrétaire général du Snalc" (…) Le cabinet Hamon, qui a en vain cherché à faire marche arrière face à l'imbroglio, a décidé jeudi 15 mai en soirée de sortir de l'impasse en décalant la prérentrée enseignante au lundi 1er septembre et celle des élèves au mardi 2 ».

A mon avis, la thèse à retenir est celle-ci : Hamon a voulu faire plaisir aux syndicats su secondaire, il n’a pas du tout mesuré les conséquences d’une suppression de la prérentrée, notamment pour le primaire, et a été contraint de reculer la rentrée des élèves. Les difficultés informatiques sont tombées à point nommé pour justifier le grand bazar…

Une journée à rattraper...

Le ministre a clairement indiqué qu’avec ce décalage de la rentrée, "il y aura une journée à rattraper. Nous ouvrirons des discussions avec l'ensemble de la communauté scolaire sur les conditions de mise en œuvre de cette journée de rattrapage".

Cette année, déjà, il a fallu rattraper le lundi de septembre que les élèves n’avaient pas travaillé mais que les profs avaient travaillé (prérentrée). Cette journée de rattrapage a été placée différemment par chaque rectorat, sous la forme d’une journée complète un mercredi de mai ou de juin ou de deux demi-journées sur deux mercredi après-midi (pour ceux passés aux nouveaux rythmes en 2013). C’est un euphémisme de dire qu’il y a eu une certaine crispation autour de ce rattrapage, côté enseignant… M’est avis qu’on se dirige vers une solution de ce type, pourtant. Parce que, franchement, je ne vois pas le ministre demander aux élèves de revenir le lundi 6 juillet. Soyons sérieux.

On se retrouve donc dans une situation où les instits, qui n’avaient pourtant rien demandé, qui ne souhaitaient pas particulièrement qu’on décale la prérentrée, qui ne revendiquaient rien de spécial sur ce sujet-là, vont devoir venir travailler deux demi-journées supplémentaires pour éponger une bêtise ministérielle !

Comble de l’ironie, si la rentrée avait été fixée au 29 août pour les profs, c’était justement pour éviter les demi-journées de rattrapage placées à la hussarde dans le calendrier ! Au fait, quid des prochaines années ? La rentrée 2015 – 2016 est prévue le 28 août, et la rentrée 2016 – 2017 le 31 août. Les dates vont-elles changer ? Avec quelles conséquences en termes de réorganisation ? La boîte de Pandore est ouverte…

Tous perdants

Elèves perdants (les deux semaines surchargées par une demi-journée de travail supplémentaire, vive les "rythmes de l’enfant"), profs perdants et, aussi, parents perdants, puisqu’ils auront à trouver une solution de garde pour le lundi 1er septembre, attendu que les enfants ne rentreront que le lendemain. Les collectivités auront peut-être, quant à elle, à ouvrir leurs centres ce jour-là. Perdantes aussi.

Côté prof, on ajoutera sur l’ardoise ouverte par Benoit Hamon une petite séance de prof-bashing : bon nombre de médias ont titré sur une supposée victoire des profs dans cette histoire, générant une somme de commentaires aussi nauséabonds qu’ignorants. Tout à fait ce dont le métier, très attractif comme chacun sait, avait besoin.

Ce qui ressort de cette séquence politique, c’est le sentiment que l’amateurisme règne au ministère : mauvaise appréciation de la situation, méconnaissance de la réalité du métier, manque cruel de clairvoyance et d’à-propos, calculs politiciens de pied-nickelé, communication défaillante…

En accédant de manière inconséquente aux desiderata de syndicats d’enseignants du secondaire, Benoit Hamon aura donc réussi un parfait « grand chelem de la loose », parvenant à nuire à peu près à tout le monde à commencer par lui-même, sur un sujet qu’il a amené quasiment tout seul sur le tapis…

Note du 24 mai : jeudi 22 mai, les informaticiens du ministère de l'éducation nationale démentaient les propos du ministre Hamon : "Les informaticiens ont donc rejeté les allégations du ministre en précisant qu'ils étaient tout à fait capables de régler un problème de date dans un logiciel informatique". A lire ici.

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