Lobby du tourisme 1 - Conseil Supérieur de l’Education 0

(Crédit AFP)

Cette semaine, les professionnels du tourisme ont obtenu gain de cause. Ils s’étaient insurgés contre le calendrier prévisionnel pour l’année scolaire 2016-2017, coupable selon eux de mettre en danger les activités de sports d’hiver. Souvent soupçonné d’être très influent, trop écouté dans les ministères, le lobby du tourisme a parfaitement su trouver des alliés parmi les Parlementaires (une soixantaine, dit-on…). Mercredi, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée, la députée UMP Sophie Dion a interpellé Vincent Peillon sur la question : « Vous le savez bien, fixer les vacances de printemps en glissant sur les mois de mai menace les emplois, menace l’économie locale, menace l’équilibre des territoires de montagne, sans rien apporter aux enfants ». On découvre, au passage, que l’UMP possède en son sein des spécialistes de l’économie qui sont aussi spécialistes de l’éducation et des rythmes de l’enfant.

Réponse du ministre : « Le Conseil Supérieur de l’Education se réunira demain matin et je modifierai donc les deux semaines de vacances de Noël, en particulier du calendrier 2016 – 2017, lequel prévoyait également d’aller jusqu’à la mi-mai ».

Le calendrier de la discorde

Concrètement, le calendrier de l’année 2016 – 2017 proposait initialement de commencer les vacances de Noël le mercredi 21 décembre pour les terminer le jeudi 5 janvier. De quoi mécontenter les professionnels du tourisme hivernal, où les réservations se font souvent du samedi au samedi. Moralité, les vacances auront lieu du samedi 17 décembre au mardi 3 janvier. Par ailleurs, les vacances de Pâques n’iront pas au-delà du 9 mai, alors que le projet prévoyait de les échelonner jusqu’au 15 mai, une date trop tardive pour les sports d’hiver.

Les conséquences pour l’école et les élèves ? Il suffit de jeter un coup d’œil au projet initial pour comprendre : « Les projets du calendrier sont fondés sur les principes suivants : (…) respecter au mieux le rythme "7/2" en alternant 7 semaines de cours et 2 semaines de vacances ». Sans y parvenir totalement, le projet tentait de s’approcher de cet idéal, partie intégrante du dossier plus vaste des rythmes scolaires. On a beaucoup parlé de la modification de la journée et de la semaine, avec le polémique passage à 4,5 jours, mais moins de la modification nécessaire du calendrier annuel. Or, l’un ne saurait aller sans l’autre, ainsi que le rappelle l’Académie de Médecine : « Seules des mesures coordonnées d’harmonisation des trois temps scolaires (journée, semaine, année) seront capables d’apporter une réponse satisfaisante ». Grâce à l’intervention du lobby du tourisme, les périodes d’école resteront déséquilibrées sur l’année, certaines zones alternant une période d’à peine plus de 4 semaines après Noël et quasiment 11 semaines en fin d’année.

Et encore, certains professionnels du ski, non contents de dicter le calendrier, estiment que le « problème reste entier » concernant les vacances de Pâques et souhaiteraient des vacances cantonnées au mois d’avril, au risque de déséquilibrer un peu plus l’année scolaire…

Le Conseil Supérieur de l’Education rejette massivement les modifications

Comme annoncé à l’Assemblée, le ministre a présenté jeudi 16 un nouveau projet modifié de calendrier pour 2016 – 2017 aux membres du Conseil Supérieur de l’Education (CSE). Ce nouveau calendrier, qui répond donc aux demandes du tourisme, prévoit aussi une rentrée anticipée, fin août. Le CSE a donc voté, de manière extrêmement claire : 41 voix contre les modifications, 19 abstentions, 3 refus de vote et 0 voix pour ! Rappelons que le CSE est composé de personnes représentant toute la communauté éducative : enseignants du 1er et du 2nd degré du public et du privé, chercheurs, chefs d’établissements, inspecteurs, parents d’élèves, universitaires, étudiants, lycéens, associations familiales, représentants des collectivités territoriales (régions, départements, maires), associations périscolaires, employeurs et représentants du patronat...

Ce n’est pas la première fois que le ministre procède ainsi. On se souvient notamment que lors de la mise en place des nouveaux rythmes et du mercredi travaillé, il y a un an, le CSE, amené à s’exprimer sur le projet de décret par le ministre, avait voté comme ceci : 5 voix pour, 23 voix contre, 30 abstentions et 14 refus de vote. Malgré ce rejet assez net qui témoignait aussi de divergences de vues importantes et qui aurait au moins mérité de nouvelles discussions, Peillon avait validé le décret.

Certes, le CSE n’a aucun pouvoir de décision, il s’agit d’une instance consultative (il est obligatoirement consulté pour tous les textes et réformes qui régissent l’éducation). N’empêche, à quoi sert de regrouper les différents acteurs de l’éducation, de leur demander leur avis, si c’est pour ne pas en tenir compte ensuite ? On peut se demander à quoi sert le CSE, dans ces conditions…

Une décision lourde de sens

En accédant aux desiderata des professionnels du tourisme (quand bien même leurs revendications pourraient être légitimes, s’agissant de dizaines de milliers d’emplois), mais surtout de cette manière, le ministre Peillon a pris une décision lourde de sens et d’implications.

1. Sa réforme des rythmes est bel et bien vidée de sa substance. Après avoir fait fi des recommandations de l’Académie de Médecine concernant le retour du samedi matin plutôt que l’ajout du mercredi matin (afin d’éviter la désynchronisation liée à un weekend prolongé, « les performances mnésiques étant meilleures après un week-end de un jour et demi comparé à un week-end de deux jours »), voilà que le ministre tire un trait sur un autre pilier de la réforme, le fameux « 7/2 ». Quant au troisième pilier, le raccourcissement des vacances d’été, on sait déjà qu’il n’aura pas lieu avant la fin du quinquennat.

2. En donnant raison au lobby du tourisme contre l’ensemble de la communauté éducative, le ministre envoi un signe pour le moins négatif à cette dernière. Non seulement il donne du grain à moudre à ceux qui pensent que les forces de l’argent l’emportent contre l’intérêt général, mais il laisse également à penser aux professionnels de l’éducation que leur représentants n’ont que peu de poids, que leur consultation est purement théorique et qu’il  les écoute pour la forme. Voilà qui ne risque pas de faire remonter sa côte auprès des enseignants, globalement déçus voire remontés et peu sensibles aux mesures prises par le ministre en leur faveur (60 000 postes, restauration de la formation initiale, reprise de l’éducation prioritaire, installation de la prime d’ISAE…) car peu perceptibles sur le terrain.

Surtout, le ministre perd toute crédibilité quant au fameux « intérêt supérieur de l’enfant », pourtant brandi à longueur de déclaration depuis son arrivée rue de Grenelle…

 

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