L’Inspection Générale pointe les instits du doigt (mais pas seulement)

(Crédit AFP)

La semaine dernière, Le Monde publiait, via le blog de Maryline Baumard, un rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale (disponible ici) sur le respect des programmes de 2008. Ces derniers ne sont que partiellement et incorrectement appliqués par les instits, dit le rapport, qui met en cause les enseignants bien au-delà des programmes : leurs compétences même seraient sujettes à caution… Mais au fait, si la qualité des enseignants est en cause, est-ce bien leur faute ?

Un rapport accusateur…

Il faut lire le rapport de Philippe Claus, "Inspecteur général de l’éducation nationale, doyen du groupe enseignement primaire"… Il est très intéressant. Bon, si on est instit, il faut souffler un bon coup avant d’y aller, et rester zen durant 80 pages. On a en effet vite l’impression qu’il s’agit d’un rapport à charge. A l’en croire, les instits ne respectent globalement pas les programmes de 2008, tant sur la forme que sur le fond, et cela expliquerait les mauvais résultats des élèves. Mais le rapport va plus loin : au regard des enquêtes de terrain remontées par les inspecteurs de circonscription à l’Inspection générale, il semble aux rapporteurs que les instits soient en majorité de niveau médiocre, incompétents voire ignorants dans bien des domaines. C’est du moins le sentiment qu’on a au premier abord. Voici deux extraits, parlants, sur deux domaines majeurs :

La lecture : « Ce qui frappe dans ce domaine de la lecture, c’est que la majorité des maîtres ne dispose pas des cadres théoriques minimaux, ce qui ne leur permet pas d’être lucides quant à leurs pratiques. Ils ne différencient pas les composantes des compétences de compréhension et ne peuvent donc pas les faire travailler explicitement. Ils n’ont guère de repères pour juger de la complexité des textes qu’ils proposent. (…) Ce que doit être l’enseignement de la compréhension est encore mal assimilé. La découverte des textes, quand la maîtrise du code commence à s’installer, n’est pas enseignée avec méthode. La compréhension est traitée, en collectif, de manière superficielle et globale, sans distinction entre les composantes cognitives de niveaux différents qui la constituent ».

La langue : « L’observation des pratiques et des traces d’activités des élèves convainc que les maîtres ne disposent pas, pour la grande majorité d’entre eux, des outils conceptuels et didactiques pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et même s’ils étaient allégés, et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue... La majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines. Beaucoup de maîtres mobilisent peu la réflexion des élèves, n’ont pas une juste perception de leurs acquis et de leurs capacités ».

Sinon, les instits ne font presque pas d’oral, ne perçoivent pas la différence entre participation et langage, éprouvent des difficultés à faire de l’anglais (« le fait est que beaucoup de professeurs des écoles n’ont pas encore vraiment intégré les enjeux de cet enseignement, qui reste pour eux en grande partie hors du champ de leur polyvalence »), les séances de calcul mental sont trop souvent « monotones », « archaïques », « pas assez dynamiques », la géométrie et les mesures sont sous-enseignées et mal comprises par les enseignants, l’enseignement des sciences a des lacunes qui « s’expliquent en grande partie par un niveau de connaissances scientifiques insuffisant chez les enseignants », l’usage du numérique est lui aussi insuffisant, etc…

... qui pose question

On sort sonné de cette première lecture, ne gardant en tête que ces mots, ces phrases qui semblent autant de condamnations. On est étonné, aussi, de voir à quel point les programmes de 2008 sont défendus, quasiment toujours, considérés comme d’excellents programmes, particulièrement en mathématiques, domaine où ils « ont permis de renouveler des questions didactiques et pédagogiques fondamentales ». Sur le terrain, pourtant, ces programmes sont loin de connaître un tel plébiscite, et de nombreuses spécialistes ont critiqué de manière très étayée leur contenu comme leur esprit (lire ici pour le français, là pour les maths, ou encore ici pour la ligne générale). Le rapport fait également de peu de cas de la disparition du samedi matin, pourtant contemporaine des programmes, et des conséquences de ces deux heures hebdomadaires de moins sur les enseignements. De même, il balaie trop souvent les explications contextuelles, comme le manque d’équipement, notamment technologique, de ressources, qui pourtant expliquent bien des choses.

On s’interroge aussi sur la publication par le Monde.fr de ce rapport, qui date de juin, à seulement quelques jours des résultats de PISA, l’omnipotente évaluation internationale où la France sera une fois de plus l’un des mauvais élèves de l’OCDE. Comme le note F. Jarraud, dans le Café Pédagogique : « La publication le 3 décembre des résultats de PISA devrait envoyer un véritable électrochoc dans l'opinion publique. En faisant sortir ce rapport juste avant on lui désigne des responsables : les enseignants ». Sans être aussi catastrophiste, on aimerait quand même demander au Monde.fr pourquoi sortir ce rapport juste maintenant, dans un papier intitulé « D’où viennent les mauvais résultats de l’école primaire française ? »…

Se regarder dans la glace, oui mais…

Et puis… Et puis si on laisse de côté les soupçons, la paranoïa, si on passe sur certaines incohérences du rapport, lequel semble parfois avoir été écrit à plusieurs mains qui ne se seraient pas toujours concertées, alors il y a des choses intéressantes dans ces 80 pages. Des constats, une radiographie certes imparfaite, incomplète, mais instructive, des manques de l’enseignement en élémentaire actuellement en France.

Pour tout dire, je me suis reconnu en de nombreux endroits ! A maintes reprises, je me suis vu dans ces descriptions de séances imparfaites, manquant parfois de liant, de cohérence au long cours, dans ces lacunes didactiques, ces insuffisances, ces compétences inégales… Oui, je l’avoue, je me suis souvent reconnu dans ce portrait pourtant dur de l’instit du début du 21ème siècle (même si je fais aussi des choses bien, faut pas déconner !). Et je le dis sans honte – même si j’ai conscience de tendre le bâton. Parce que je ne me sens pas coupable.

Voyons. J’ai Bac + 5, je ne suis pas plus con que la moyenne de mes amis qui ont aussi Bac +5, des postes de cadre, à responsabilité, dans le privé ou l’administration. J’ai une capacité de travail égale à la leur, sans doute aucun, une certaine puissance de feu en plein rush. Je sais plutôt bien maintenir mes compétences, connais et pratique l’autoformation. Je pense savoir me remettre en question, accorder sa juste place au doute. Je pense avoir confiance en moi, pas trop j’espère. J’aime mon métier, beaucoup, je crois me donner sans trop compter, ne pas être encore essoufflé après dix ans de pratique. Mes élèves aiment venir à l’école et travailler, leurs parents m’apprécient, je suis bien noté par mon inspectrice. Je crois dans le service public d’éducation, suis concerné par son évolution, ses problématiques. En tout ceci je n’ai rien de très original et ressemble à bien de mes collègues.

Alors quoi ?!! Où est le problème ? Nous ne sommes pas plus idiots que nos homologues étrangers, ni moins diplômés ! Notre profil n’est pas si éloigné de la moyenne des profs de primaire du reste du monde ! Sauf que contrairement à eux, nous devons porter le poids des mauvais résultats de l’école de notre pays…

A moins que…

Hausser le niveau !

A moins que les instits ne soient pas directement responsables de leur niveau jugé insuffisant. A moins que l’institution n’ait pas su, ne sache pas que faire de cette matière grise, de cette bonne volonté.

Si le rapport de l’Inspection Générale n’est pas tendre dans la description qu’il fait de la pratique enseignante, il faut bien percevoir les conclusions qu’il tire de cette description et les préconisations qu’il donne. On s’aperçoit alors que, la plupart du temps, il ne tient pas les enseignants pour responsable, mais pointe le déficit de formation, le manque de pédagogie de l’institution, l’insuffisance de l’accompagnement… Autant de facteurs expliquant les manques des enseignants.

Passé la dureté des mots, la sécheresse des constats, vient peu à peu l’idée d’un instit livré à lui-même, perdu parfois, à côté souvent, se débattant dans le brouillard. On s’éloigne alors d’une accusation brute et entre les lignes de ce rapport décidément complexe, pas toujours facile à saisir, on perçoit que l’instit n’est pas le coupable, mais plutôt la victime d’un système imparfait qui ne lui donne pas les moyens de réussir dans sa mission, le bras désarmé d’une institution qui ne se préoccupe pas de savoir si ce qu’elle veut peut être mis en œuvre concrètement.

Retour sur la lecture :

« Il manque donc aux maîtres des compétences importantes que la formation ne leur offre pas. Ce défaut semble valoir aussi bien pour les maîtres depuis longtemps dans les classes, qui n’ont donc pas bénéficié des derniers apports de la science et pour les nouveaux venus, sans formation depuis 2008. »

Sur le français : « Il convient d’insister ici sur l’impression de « panne didactique » en français, à l’école primaire, qui appelle des réponses en formation. Beaucoup reste à faire pour faire connaître et comprendre les travaux aujourd’hui exploitables de la recherche ».

Sur les maths : « L’enseignement des mathématiques à l’école primaire souffre de l’insuffisance de formation des maîtres et des inspecteurs dans cette discipline. Si la formation initiale des enseignants doit être assurée dans les futures ESPE et soutenue par le maintien d’exigences de bon niveau au concours de recrutement des professeurs des écoles, la formation continue restera un élément essentiel de la professionnalisation des maîtres. Dans le cadre d’un accompagnement des programmes, d’un apport de connaissances scientifiques ou d’un approfondissement didactique, les mathématiques doivent rester une discipline majeure de la formation continue ».

Sur l’histoire : « des enseignants de très bonne volonté, trop peu formés », « la nécessité de programmes précis et clairs », « des enseignants mis en difficulté par le manque de temps, le manque de formation, le manque d’outils »

Pour tous les domaines, les préconisations de l’Inspection Générale ne concernent pas les instits, mais l’administration centrale, les autorités académiques, les inspecteurs de circonscription. Ce sont eux qui peuvent faire bouger les choses, en aidant les instits.

Conclusion du rapport : « Les inspecteurs généraux constatent des besoins réels de modification des programmes et la nécessité d’une réflexion approfondie sur le facteur-temps dans les apprentissages », et constatent « des difficultés liées à la lourdeur des programmes de 2008 rapportée au temps réel de classe ». Ils appellent aussi à accompagner les programmes, qui n’ont que peu de chance d’être appliqués s’ils ne sont pas explicités : « Une fois encore, nous ne pouvons manquer d’évoquer le déficit de formation autour des programmes ; s’il y eut des séances d’animation pédagogique dans la première année de mise en œuvre ou la deuxième, le dispositif n’a pas été assez durable et important pour permettre de déconstruire des habitudes et d’en faire acquérir de nouvelles ».

 

On a déjà dit sur ce blog à maintes reprises à quel point la formation des enseignants est une question cruciale. La formation initiale : elle a été carrément bradée par le gouvernement Sarkozy pour faire des économies, et n’est qu’incorrectement remise en place par les ESPE de Peillon. La formation continue : coûteuse, elle a été réduite à une peau de chagrin durant des années, et la Refondation peillonnienne ne lui accorde qu’une petite place, numérique. Dans les autres pays, ceux où les élèves réussissent, la question de la formation, notamment continue est prise très au sérieux. Ken Robison, un des experts les plus influents au niveau mondial en matière d'innovation éducative, estime que "si un supplément annuel de 5 % au budget de l'éducation était consacré au développement professionnel des enseignants, cela aurait un impact considérable sur la qualité de l'enseignement, de l'apprentissage et sur le niveau de tous les établissements scolaires."

Dans notre beau pays, on en est encore à essayer de convaincre qu’il faut être correctement formé à un métier pour le pratiquer correctement, à tenter d’expliquer qu’il faut sans cesse mettre à jour les compétences d’un enseignant si on veut qu’il reste efficace dans un monde en perpétuel changement.

Par ailleurs, si on veut hausser le niveau des instits, on peut toujours essayer d’attirer les meilleurs (si tant est qu’il y ait un lien avec la réussite des élèves). On connaît la recette, les études nous l’ont donnée : il faut un métier valorisant qui bénéficie d’une excellente image (en Scandinavie, le professeur est l’égal du médecin ou de l’avocat), dénigré par personne, surtout pas les politiques, un métier dont les tâches multiples et complexes doivent être parfaitement décrites et écrites, impeccablement accompagné et encadré, et surtout un métier qui soit bien payé. Bref, un métier attractif intellectuellement et financièrement.

 

Nota : pour prolonger (des fois que ce post serait pas assez long !), on lira avec grand intérêt la tribune de Louise Tourret sur Slate (oui, celle de Rue des écoles, sur France Inter), qui anticipe les résultats de PISA de très intéressante façon : « Bref, ce n’est pas aux élèves français que Pisa attribue une mauvaise place dans le classement, ni à leurs enseignants, c’est à un discours et des politiques éducatives qui n’ont pas été à la hauteur ». 

Et dans le même ordre d’idées, on écoutera l’indispensable Emmanuel Davidenkoff  - le meilleur journaliste éducation de France ?- sur ce sujet ("si ce qui est écrit dans ce rapport relève de la réalité, on ne peut que relever le formidable cynisme de l'institution, parce qu'il est tout de même assez facile de reprocher aux professeurs des écoles de ne pas savoir faire des choses auxquelles on ne les a pas formés et pour lesquelles on ne leur donne pas suffisamment de temps. Plus que jamais cette question de la formation initiale et continue des enseignants s'impose comme le véritable cœur de la refondation de l'école"), et encore dans cette chronique récente où il anticipe lui aussi PISA (je lui emprunte la citation de Robinson).

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