Rythmes scolaires : la récupération politicienne de l’UMP

(Crédit AFP)

Cette semaine Jean-François Copé a demandé le report du passage à la semaine de 4,5 jours et a appelé les mairies UMP à faire la grève des nouveaux rythmes scolaires en 2014… année des élections municipales.

Jeudi, sur BFMTV : « Il est impossible d’appliquer cette réforme »

Interviewé par Jean-Jacques Bourdin, le chef de l’UMP a déclaré avoir appelé Vincent Peillon pour lui demander de reporter la réforme des rythmes scolaires (déjà en place pour 20% des élèves de primaire). Copé a ensuite développé son argumentaire, pointant le coût de la réforme et jouant habilement du ras-le-bol fiscal actuel : "Sur le plan financier cette réforme est intenable, sauf à augmenter les impôts locaux (…). Donc, je demande au nom du pragmatisme, au nom du pouvoir d'achat des Français, au nom de l'intérêt national, que cette réforme, qui est un luxe dans un pays où l'on est obligé de se serrer la ceinture, soit reportée". Avant de conclure : "Il est impossible aujourd'hui d’appliquer cette réforme".BFMTV

On avait très peu entendu l’UMP sur les questions d’éducation ces derniers mois (faut dire que c’est pas leur tasse de thé), on comprend donc rapidement que la sortie de Copé, qui ne connaît rien à l’école, est tout sauf anodine. De fait, l’interview à BFMTV a manifestement été préparée la veille, dans les bureaux de l’UMP.

Mercredi, bureau politique de l’UMP : « Nous n’appliquerons pas la réforme des rythmes scolaires »

L’AFP nous raconte que, devant le bureau politique de l’UMP, Copé a été très clair avec ses troupes, les encourageant à aborder cette question des rythmes scolaires lors de la campagne pour les élections municipales : "Notre argument est financier". L’idée : faire comprendre qu’ "on n’a pas les moyens, c’est impossible, on ne peut pas faire payer les français là-dessus". Le chef de l’UMP a ensuite proposé au bureau politique de se mettre "d’accord pour dire : nous n’appliquerons pas la réforme des rythmes scolaires".

Xavier Bertrand, qui s’est dit "prêt à bras de fer avec le gouvernement sur cette question" n’a pas paru très chaud pour la grève. Peut-être que les doutes émis par certains membres du bureau sur la stratégie très agressive de Coppé expliquent pourquoi celui-ci n’a pas repris cette idée de grève sur BFMTV le lendemain. Peut-être aussi que cette idée n’est planifiée médiatiquement que pour plus tard.

Quoiqu’il en soit Copé, qui sent bien que les premières remontées sur les nouveaux rythmes sont assez négatives, a senti qu’il y avait un coup à jouer électoralement. Pourtant, c’est son propre parti qui est à l’origine de la réforme…

L’UMP doublement à l’origine de la réforme

C’est en effet l’UMP, alors au pouvoir, qui a décidé via Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, de supprimer l’école le samedi matin en 2008, sans concertation et au mépris de toutes les recommandations, sans penser une seconde aux conséquences en classe (quatre jours de classe surchargés en raison de programmes inchangés…), sans surtout songer à l’intérêt des élèves.

C’est pour réparer cette monumentale bourde que Luc Chatel avait demandé un rapport d’expert sur les rythmes scolaires dès 2011, lequel préconisait le retour à 4,5 jours hebdomadaires, avant de lancer sa Conférence Nationale des Rythmes Scolaires dans le but de rééquilibrer la semaine de classe. Bref, la situation actuelle, si elle relève de la responsabilité du gouvernement et du ministre actuels, doit beaucoup à l’UMP, Copé semble l’avoir oublié.

Copé gréviste, camarade !

Dans le même ordre d’idée, il y a quelque chose de très ironique à observer comme un parti républicain et légaliste comme l’UMP, qui érige le respect des lois en vertu cardinale, se propose de se la jouer façon maquis ! Comment un parti qui condamne sans appel toute activité gréviste, envisage très sérieusement d’avoir recours à la grève ! Copé a beau jouer la carte de l’inconstitutionnalité de la réforme ("une atteinte majeure à un principe constitutionnel"), il se propose tout de même de boycotter un décret officiel paru au journal du même nom. On se souvient que durant la mandature sarkozienne, sous Darcos puis Chatel, de nombreux "désobéisseurs" entrés en "résistance pédagogique" avaient été sanctionnés par leur hiérarchie pour ne pas avoir voulu appliquer les textes officiels. Voilà que les censeurs d’hier se muent en désobéisseurs de demain. Cohérence, cohérence…

Copé pense aux municipales, pas aux élèves

Au fond, la manœuvre est limpide : Copé se contrefout des élèves, se contrefout de l’école, se contrefout du contenu de la réforme, ce qui l’intéresse est le levier qu’elle peut constituer pour faire campagne en 2014. D’ailleurs, pas une seconde il n’aborde le bienfondé ou non de la réforme, l’organisation des temps scolaire, périscolaire, les questions d’éducation ou d’enseignement qui en découlent, et encore moins les rythmes de l’enfant, cadet de ses soucis. Son appel à la "grève" ne critique rien, n’argumente pas, ne construit rien, n’apporte rien. Une fois de plus, l’UMP s’empare d’une question d’éducation sous le seul angle de son coût (quitte à manipuler les chiffres) et perd une occasion de montrer qu’elle s’intéresse vraiment à l’école.

Ce qui intéresse Copé, ce n’est pas l’école, c’est le ras-le-bol fiscal sur lequel il entend bien capitaliser rapidement : "Un congrès des maires va se tenir dans quelques semaines. Les maires de France, qu'ils soient de gauche ou de droite, car ça n'a rien à voir avec la politique [ben tiens], qu'ils soient en zone urbaine ou en zone rurale, vont dire qu'ils ne peuvent pas imposer à la population française de nouvelles hausses d'impôts".

Plus que jamais, les élèves et la classe sont ignorés.

Va-t-il rester de la place pour la critique ?

Le problème de la politisation d’un sujet d’éducation, comme de tout sujet de société, c’est qu’il n’y a plus guère de place pour la nuance. Très rapidement, si l’UMP continue à s’exprimer sur le sujet de cette manière, le débat ne sera plus possible. On a déjà dit ici maintes fois notre peu d’enthousiasme pour la réforme des rythmes tels que proposés par Peillon : on avait espéré plus cohérent, moins précipité, plus global. Depuis la rentrée, on ne s’est pas exprimé sur leur mise en place (dans quelques semaines peut-être émergera une première impression) : il paraît évident que trois semaines de recul, fussent-elles chargées d’indices apparemment concordants, ne sauraient suffire à jauger une réforme.

Mais, le moment venu, pourra-t-on dire son scepticisme sur ces nouveaux rythmes scolaires-là sans être accusé de verser de l’eau au moulin de la contestation la plus obtuse, sans être accusé de jouer le jeu de l’UMP ?... La politisation du débat va sans doute figer les positions, caricaturer les pensées, opposer deux camps, sans place pour les "oui mais", les "peut-être", noir et blanc écrasant les zones de gris. Cela aussi on le devra à Copé et à sa confiscation du débat public à des fins politiciennes.

Cela dit, au final, il faut peut-être le remercier d’avoir utilement rappelé que, quand l’UMP s’empare des questions d’éducation, ce n’est jamais pour elles-mêmes ni pour les élèves, mais souvent pour l’argent et pour des considérations électoralistes.

 

Deux lectures possibles, pour prolonger :

1. Sur l’amnésie des médias, qui critiquaient massivement et durement les instits en janvier quand ils avaient osé faire part de leurs doutes sur la réforme, et qui crient aujourd’hui haro sur le baudet.

2. Sur les propositions politiques de l’UMP en matière d’éducation, qui font rire ou peur, c’est selon : ce papier de l’excellent Claude Lelièvre (et celui-ci, posté il y a un an sur ce blog).

 

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