Discussion animée d’une salle des maîtres divisée sur le bienfondé d’une nouvelle grève (et plus généralement sur la politique de Vincent Peillon)

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Mardi 12 février, les instits sont à nouveau appelés à se mettre en grève pour protester contre la Réforme des rythmes scolaires telle que mise en place par Vincent Peillon. La profession semble divisée. Dans la salle des maîtres, il y a les profs pour, et les profs contre…

 

PROF POUR – Bon, alors, on fait grève ou pas, mardi ?

PROF CONTRE – …

PROF POUR – C’est pas l’enthousiasme, à ce que je vois… Attendez, il faut être cohérent, les collègues ! On a fait la grève la dernière fois tous ensemble, et là il n’y a plus personne ? J’ai du mal à comprendre cette logique ! Pour vous la grève du 22 c’était un coup de sang, quoi !

PROF CONTRE – …

PROF POUR – Je croyais qu’on était tous d’accord, la dernière fois, pour dire que cette réforme des rythmes n’était pas satisfaisante ?!

PROF CONTRE – Oui, mais souviens-toi, déjà, on n’était pas tous d’accord sur ce qui n’était pas satisfaisant…

PROF POUR – Et alors, aujourd’hui la réforme vous paraît satisfaisante ?

PROF CONTRE – Ecoute, elle ne l’est pas plus qu’il y a deux semaines, mais le décret est passé, c’est fini, Peillon ne retirera pas le texte.

PROF POUR – Peut-être, mais il y a moyen de jouer sur son application : après la grève de l’autre fois, le maire a semblé entendre ce qu’on avait à dire, il a ouvert des discussions pour l’année prochaine. C’est donc qu’en manifestant notre désapprobation, on peut se faire entendre et jouer un rôle, non ?

PROF CONTRE – …

PROF POUR – Et puis si le mouvement semble s’essouffler, la pression va se relâcher sur le maire comme sur le ministre, et là on peut être sûr que tout se passera sans nous.

PROF CONTRE – Et si cette réforme n’était pas si terrible, après tout ? Venir le mercredi matin, ça ne m’amuse pas plus que toi, mais si ça peut nous alléger nos semaines…

PROF POUR – Parce que tu crois que ça va alléger nos semaines, aux gamins et à nous ? Ils auront des journées aussi longues, et nous avec, plus une demi-journée supplémentaire. Tu crois vraiment qu’ils seront moins fatigués, les mômes ? Tu crois vraiment que leur fameux périscolaire va être si génial que ça ? Mais enfin, on sait que des animateurs, il en manque déjà régulièrement à la cantine, et tu vois le bordel que c’est, alors imagine pendant presque 3 heures de coupure à midi ! Et par parenthèse, tu te voies laisser ta classe pendant la pause, à un animateur non formé et plein de gamins ?

PROF CONTRE – D’accord, mais on peut se dire aussi que c’est un début et que ça va aller en s’améliorant, il faut aussi laisser sa chance aux choses et aux gens. Il y aura peut-être des ratés, tout ne sera pas parfait, mais avec le temps ça s’arrangera, il ne faut pas toujours tout voir en noir ! Le décret semble laisser la place à l’évolution, aussi. Et puis, merde, la semaine de 4 jours, excuse-moi, on est d’accord c’est usant ! Tu arrives à faire tout le programme, toi ? Tu ne crois pas que d’étaler les cours sur 4 jours ½ va nous aider ?

PROF POUR – Mais je suis pour la semaine de 4 jours ½, comme toi ! Mais pas celle-là ! On aura toujours le même nombre d’heures, et le même programme surchargé !

PROF CONTRE – Oui, mais peut-être qu’on arrivera à mieux le gérer avec des gamins moins crevés.

PROF POUR – Parce qu’ils vont être moins crevés en venant une journée de plus à l’école… Moi, je ne crois pas qu’on sera moins speed, et on n'aura pas plus de temps pour les gamins en difficulté (parce que c’est ça l’important, hein).

PROF CONTRE – Ca, on n’en sait rien, chacun fait ses pronostics… Et puis il y a autre chose… Tu as vu comme on s’est fait taillés dans les médias pour la grève du 12 ?... Les gens ne comprennent pas cette grève, notre image en a pris un sacré coup. Alors moi, une grève sur un décret déjà passé, pour s’entendre traiter de corporatiste ou je ne sais quoi, non merci. Sans compter qu’il y a d’autres chevaux de bataille.

PROF POUR – Justement, on se bat aussi pour les RASED, pour le pouvoir d’achat.

PROF CONTRE – Faut pas tout mélanger, sinon on n’est plus audibles. Et puis, d’accord sur les RASED, sur les salaires, mais peut-être qu’à un moment, il faut regarder ce qui est en train de se mettre en place, aussi.

PROF POUR – … ?

PROF CONTRE – … Vous êtes amnésiques ou quoi ? Vous vous souvenez de ce qu’ils ont fait de l’école, les Darcos, les Chatel ? Les suppressions de postes par dizaines de milliers, le démantèlement des RASED, la formation supprimée, le flicage organisé, les évaluations pipeautées, la manière de nous parler, l’image dégueulasse qu’ils nous ont collée ?... Là, on a quelqu’un qui, quoique vous en disiez, met des choses en place – d’accord, ça va pas assez loin, c’est insuffisant – mais des choses qui vont dans le bon sens, qui remettent l’école sur de bons rails, et vous vous soulevez, vous êtes remontés comme jamais sous Sarko ! Merde, les 60 000 postes créés et inscrits dans la Loi, le « plus de maîtres que de classes », le rétablissement de la formation initiale, c’est pas rien ça quand même !...

PROF POUR – … C’est pas parce que des choses intéressantes se mettent en place qu’il ne faut rien dire quand des mesures semblent inadéquates, mal pensées, au rabais ! Moi, quand je vois Peillon parader sur tous les plateaux télé et radio, communiquer toutes les semaines dans la presse pour dire que la réforme des rythmes est une révolution, je dis qu’il y a tromperie, que c’est une imposture de faire croire ça aux gens ! On sait tous que c’est tout, sauf une révolution, son truc mal emmanché !...

PROF CONTRE – Je ne dis pas que ton diagnostic sur les rythmes est mauvais, je te dis qu’il faut aussi se demander si on n’oublie pas un peu vite le passé récent, et si on n’est pas en train de faire un erreur de jugement : ce que fait Peillon est peut-être imparfait, il fait des erreurs, ça va de traviole, certaines mesures sont bancales, insuffisantes, mais tu veux quoi, le retour de Sarko ? T’as vu ce que « la droite forte » propose pour l’école ?... Peillon est en train de reconstruire l’école, et on lui fout des bâtons dans les roues avec cette histoire de rythmes.

PROF POUR – Donc si je te suis, il faut accepter des réformes ou des mesures mal foutues sous prétexte qu’on aurait pu connaître pire ?... Excuse-moi, c’est un raisonnement à deux balles, ça. Je pense au contraire que c’est maintenant qu’il faut changer les choses, et vraiment, en profondeur.

PROF CONTRE – Alors on va tout casser parce que ça ne va pas assez loin, parce qu’on espérait autre chose ? Tu sais dans quel état est le pays ?... C’est peut-être juste pas possible de faire mieux, vu les conditions.

PROF POUR – Ne me dis pas ça. La première chose aurait été de revoir les programmes, et ça coûte pas un sou.

PROF CONTRE – Ok, on est d’accord là-dessus. Mais il paraît que c’est en train d’être planifié pour les mois à venir. Comme on dit, Rome ne s’est pas faite en un jour ! Et quoique tu dises, réformer ça coûte des sous, et des sous, y en a pas.

PROF POUR – Alors dans ce cas-là, qu’on arrête de faire croire qu’on « refonde » l’école ! On la rafistole !

PROF CONTRE – Rafistolage ? Rétablissement de la formation, créations de postes, priorité au primaire… et bientôt peut-être revalorisation financière ! Tu as entendu qu’on allait peut-être avoir une prime de 400 € ?...

PROF POUR – 400 € par an, brut, ça fait 1 € par jour, excuse-moi de ne pas sauter au plafond. Tu sais ce qu’on a perdu, comme pouvoir d’achat, depuis 1995 ? T’as remarqué que t’avais encore perdu 5 ou 6 € sur ton dernier bulletin de salaire ?

PROF CONTRE – Eh ben moi je les prends, les 400 € ! Evidemment que c’est pas Bizance, mais merde, c’est pas rien quand même ! Le chômage explose, les salaires sont bloqués partout, pour tous les fonctionnaires, mais nous on va peut-être avoir une prime ! Si c’est pas un sacré geste, ça ! Une manière de dire je vous écoute, je vous entends, je fais ce que je peux !...

PROF POUR – … ou d’acheter notre silence sur ce qui ne va pas.

PROF CONTRE – Vous êtes braqués sur cette histoire de rythmes, le nez dessus, vous n’arrivez même plus à prendre du recul pour voir l’ensemble du tableau.

PROF POUR – Excusez-nous de nous battre pour nos convictions. Ne venez pas vous plaindre l’année prochaine quand ce sera la cata.

PROF CONTRE – Et si c’est pas la cata ?...

 

La cloche sonne la fin de la récréation. Les uns et les autres se lèvent, prennent leur rang, montent dans leur classe.

 

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