Rythmes scolaires : pourquoi Vincent Peillon ne parvient pas à rassembler

Vincent Peillon à Brest, jeudi 10 janvier 2013 - AFP

Cette semaine a confirmé le hiatus entre le ministre et les acteurs de l’école autour de la question des rythmes scolaires, un sujet pourtant plutôt consensuel au départ et devenu emblématique de la Refondation de l’école initiée par le ministre. Comment en est-on arrivé là ?

Le Conseil Supérieur de l’Education rejette le projet

Mardi 8 janvier le projet de décret sur les rythmes scolaires était présenté aux différents acteurs de l’école réunis au sein du CSE : syndicats, associations de parents d’élèves, collectivités locales, associations périscolaires, employeurs… Le vote est un rejet sans appel du texte : 5 voix pour, 23 voix contre, 30 abstentions et 14 refus de vote. Seulement 5 votes pour sur 72 !... Vendredi, c’est le Comité Technique Ministériel, sans surprise (il regroupe les syndicats), qui rejette le texte.

Le texte ? Semaine de 4 jours ½ avec introduction du mercredi, 5 h 30 de classe par jour maximum, 3 h 30 le mercredi, 45 minutes d’activités périscolaires, fin de l’aide personnalisée remplacée par des « activités pédagogiques complémentaires » menées par les profs. Tout ceci pour 2013, au plus tard 2014.

Personne ou presque n’adhère au projet : les syndicats enseignants sont contre (« le compte n’y est pas, ni pour les élèves, ni pour les enseignants »), les associations de parents d’élèves sont contre (le décret est trop rigide et empêche les adaptations locales, les journées sont encore trop longues, le périscolaire pas assez affirmé), seules les collectivités locales sont pour.

Peillon pire que Darcos !?

En 2008, Xavier Darcos, présentant au CSE son projet de passage à la semaine de 4 jours, avait fait un bien meilleur score que Peillon, avec 21 voix pour et 31 voix contre !...

Comment est-il possible que la semaine de 4 jours, aujourd’hui unanimement reconnue comme une catastrophe, ait suscité plus d’adhésion que le retour à la semaine de 4 jours ½, hier encore reconnue par la plupart comme allant de soi ?!!... Il y a là un paradoxe, voire une aberration, qui interroge…

La première explication tient au fait que, dans les deux cas, les intérêts particuliers l’emportent. Bien sûr, tous jurent que seul l’élève compte mais dès qu’il s’agit d’exprimer des revendications, chacun voit midi à sa porte. En 2008, trop de monde avait intérêt à ce qu’il n’y ait plus école le samedi matin (et tant pis pour les conséquences sur les journées des élèves) et cela ne coûtait pas un sou ; aujourd’hui les différents acteurs ne parviennent pas à s’accorder parce que leurs intérêts divergent, sur le mercredi matin, sur la fin de journée, sur le financement... Les intérêts des uns et des autres se rejoignaient en 2008, ils les éloignent aujourd’hui.

Blocages enseignants

Les enseignants, comme les autres (c’est-à-dire ni meilleurs, ni pires, mais eux sont concernés au premier chef) font opposition au projet en raison d’intérêts personnels : ils ne veulent globalement pas faire classe une demi-journée de plus (non au samedi matin à 69%, au mercredi matin à 62%, voir ce sondage). Mais le problème est ailleurs, le mal plus profond.

Les années Sarkozy ont laissé des traces. Durant 5 ans, Xavier Darcos puis Luc Chatel ont mené une politique agressive envers les enseignants, les dévalorisant fréquemment, les stigmatisant souvent, les pointant du doigt comme responsables de tous les maux de l’école, ils ont abîmé leurs conditions de travail, organisé un caporalisme stérile et stressant, et surtout réformé en toute méconnaissance de l’école et des besoins des élèves. Cette période noire pour l’école peut être élargie à une dizaine d’année, période sur laquelle le niveau général des élèves a baissé sensiblement, à mesure que baissait le pouvoir d’achat des profs, - 14 % depuis 1999.

Il ne faut pas sous-estimer les conséquences à long terme de tout ceci chez les profs : Peillon a commis une erreur de communication et de jugement en affirmant que « la revalorisation morale du métier [avait] été faite ». Lassitude, démotivation, colère, rancœur se sont durablement emparés de nombreux collègues. Les troupes sont à fleur de peau, ne sont plus en mesure d’accepter quoique ce soit, se réfugient dans des réflexes de protection – donnez-nous d’abord, nous verrons ensuite ce qu’on pourra, éventuellement, donner.

C’est dans ce contexte qu’il faut lire le NON massif à l’école le mercredi, jour décisif pour les instits, pause, travail, vie de famille.

L’intérêt des élèves ?

A titre personnel, comme nombre de mes collègues je pense, je me suis toujours prononcé pour la semaine de 4 jours ½, ai toujours regretté le samedi matin, et suis prêt à venir travailler le mercredi matin (là, c’est l’instit qui parle, le père de famille n’est pas d’accord), si et seulement si j’ai la certitude, au moins la conviction que cette matinée supplémentaire s’inscrit dans un dispositif qui offrira de meilleures conditions de travail aux élèves (donc au prof que je suis) et permettra leur progression. Mais, au contraire :

- les journées de classe des élèves seront à peine moins longues, mais ils viendront un jour de plus à l’école

- les heures de classe ne seront pas moins chargées, le rythme de la journée sera toujours aussi dense, car le ratio volume horaire annuel / programmes ne change pas d’un iota

- l’ouverture culturelle périscolaire a perdu son ambition : des créneaux de 45 minutes, récré, déplacements et passage aux toilettes compris, sont grandement insuffisants pour mettre en place des activités intéressantes

- le rythme de l’année scolaire n’a pas été abordé : il est pour l’instant déséquilibré, certaines périodes d’école durent 11 semaines et ne sont pas propices au travail de qualité...

Autant vous dire que j’irai à l’école mercredi l’année prochaine sans grand enthousiasme. En continuant à demander l'allègement des programmes, une solution parmi d'autres.

Ah si j’étais riche

Il faut dire que le ministre n’est pas aidé par la situation économique. Certes son ministère a été épargné par les restrictions budgétaires, mais on si on veut réellement Refonder l’école, il faut des sous, or les 60 000 postes promis par Hollande aspirent la majeure partie des fonds. Avec de l’argent, nul doute que cette réforme des rythmes scolaires serait plus facile à mettre en place.

- d’abord, l’état pourrait prendre en charge la partie périscolaire du projet, non échue aux collectivités locales : les mairies ne grogneraient (légitimement) pas, on pourrait raccourcir vraiment la journée de classe et mettre en place une vie après la classe dans l’école digne des ambitions affichées ; certes, une aide de 250 millions a été accordée aux mairies pour organiser le temps périscolaire accordé au rabais, mais on sait qu’il faudrait en fait 600 millions

- ensuite, il serait possible d’imaginer une compensation financière aux instits pour les frais engagés le mercredi (transport, garde des enfants, …) ; cela ne convertirait pas tout le monde aux bienfaits du mercredi matin, mais mettrait tout de même de l’huile dans les rouages.

Peillon n’a pas les sous, ce n’est donc pas sa faute. Ce qui l’est, en revanche, c’est de ne pas avoir envisagé plus tôt les implications matérielles et financières d’une telle modification des rythmes, d’une part, d’avoir érigé cette réforme en grande priorité malgré ces difficultés de faisabilité immédiate, quitte à brader ses objectifs même, d'autre part.

La méthode Peillon en question

Et pourtant, on se rappelle précisément l’époque où Vincent Peillon faisait une entrée triomphale rue de Grenelle, porteur de tous les espoirs. Fin diagnostiqueur des difficultés de l’école, expert de l’histoire de l’éducation, réformateur ambitieux, demandeur de concertations, Peillon suscitait l’adhésion, voire l’enthousiasme d’une grande partie de la communauté éducative, impressionnée par sa connaissance des dossiers (de l’avis de tous les syndicats, étonnés de voir le ministre mener les négos lui-même jusqu’à des heures indues). Aujourd’hui, Peillon semble en mesure de mobiliser contre lui bien plus de profs que Darcos et Chatel n’en ont mobilisés durant cinq ans ! Autant dire que Peillon n’a pas su surfer sur une vague de sympathie sans précédent, un contexte très favorable au changement malgré l’impasse financière. Il doit donc s’interroger sur sa méthode.

Le ministre communique beaucoup, trop, sûrement, et trop sûrement, trop vite aussi, ce qui lui a valu plusieurs recadrages de Matignon, mais pas seulement. Son discours est parfaitement huilé, mais semble tourner en rond, renforçant le sentiment que les bonnes intentions l’emporteront, en mode Coué. Empressé, parfois brouillon, il semble susciter le doute, voire l’agacement, jusque dans son cabinet. En quelques jours, deux hommes clé de son équipe s’en sont allés en toute discrétion : Piere-Yves Duwoye, directeur de cabinet de Peillon, et Bruno Julliard, conseiller du ministre. C’est rarement le signe que tout fonctionne parfaitement.

La Refondation, quand ?

Le monde de l’école espérait beaucoup de la Refondation annoncée par Peillon : des réformes profondes, radicales, un nouveau sillon creusé pour l’école, ses problèmes pris à bras le corps, une vision à la barre. Après 7 mois, une grande concertation estivale ayant associé « le millier de personnes traditionnellement impliqué dans le fonctionnement de l’institution » mais « sans que les acteurs de terrain aient les moyens de s’en saisir » (Meirieu), après des annonces en veux-tu en voilà, des reculs et des tergiversations, la grande Refondation que tout le monde appelait de ses vœux n’est pas au rendez-vous, et même les observateurs les plus peillonnistes commencent à avouer à demi-mots leur déception. Si Peillon passe à côté de la Refondation, qui parviendra à réformer l’école pour de bon ?…

Cette semaine, dans une tribune importante mais peu relayée, Philippe Meirieu regrettait que la Refondation se soit muée en une série de « réparations » aux ambitions limitées, sans réel fondement. Le pédagogue et député EELV achevait son texte sur ces mots : « Nous ne retrouverons pas, d’ici longtemps, une telle fenêtre de tir. Ne laissons pas passer l’occasion ».

 

Note du lundi 14 janvier, 20 h 20 : l'Association des Maires de France, l'une des 5 voix du CSE en faveur du décret mardi 8 janvier, a fait savoir lors d'une réunion de la Commission Consultative d'Evaluation des Normes (CCEN) qu'elle faisait part de ses "fortes réserves" sur le texte et a demandé le report de son examen. Info sur le site du Café Pédagogique.

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