Une semaine riche pour l'éducation (la partie se joue aussi en coulisse)

La semaine a été très chargée dans le monde de l’éducation, avec deux pics de médiatisation : la lutte contre le décrochage scolaire et la publication du projet de loi pour l’école. Mais la partie s’est aussi jouée ailleurs, en coulisses… et au tribunal.

Mardi : le décrochage Peillon

Mardi matin, le ministre parle dans le poste. Sur RTL, Peillon lance son plan de lutte contre le décrochage. Plus exactement, un plan de lutte pour le raccrochage, ce qui n’est pas tout à fait pareil. On l’a dit, ce plan comporte quelques zones d’ombres. On a également du mal à ne pas penser aux révélations faites sur l’Express.fr, quelques jours plus tôt : un rapport sur la loi Ciotti, supprimant les allocations aux familles d’enfants absentéistes, dormirait les tiroirs du ministère. Ledit rapport serait plus nuancé que le gouvernement (Pau-Langevin a supprimé la loi, jugée « inefficace », en octobre) : dans certains cas, la loi Ciotti aurait des effets positifs. En attendant la publication du rapport, on ne peut que supputer l’embarras idéologique suscité à gauche par le succès, même très partiel, d’une telle loi répressive.

Jeudi : le projet de loi sort sur les sites d’info

Fuite volontaire ou véritable scoop ? Jeudi, dans la soirée, l'Express.fr et LeMonde.fr donnent les grandes lignes du projet de loi pour l’école issu de la grande concertation estivale, que le ministre doit présenter au Conseil Supérieur de l’Eduction le 14 décembre et au Parlement en janvier. Je n’ai pas eu le temps de lire en détail ce texte de 63 pages (évaluations + corrections + livrets = grosse charrette de fin de trimestre, promis je le lis pendant les vacances), mais rien de révolutionnaire dans le contenu. Il semble néanmoins qu’il faille retenir l’aspect particulièrement habile du texte : dans sa structure comme dans ses formulations, il joue avec les zones d’ombres, les nuances de gris, se contentant parfois de grands mots sans donner de précisions, veillant surtout à ne miner aucun sujet, quitter à faire des impasses. Comme le dit Maryline Baumard sur le blog du Monde.fr : « on pose le cap, on ne fâche personne, on considère qu’une refondation est une somme de petites avancées qui transforment en profondeur l’école ».

Les impasses du projet

Le projet a été globalement assez peu commenté. Il faut dire que plusieurs mois de débat en ont un peu éventé les orientations et démotivé l’exégèse. On lira avec intérêt le papier du Café Pédagogique, qui note que « sur ces 63 pages, seulement 23 ont une valeur législative contraignante. L’exposé des motifs est plutôt une explication des articles de loi. Quant à l’annexe, elle présente les grandes orientations de la politique gouvernementale, y compris sur les points qui sont absents de la loi. Sur bien des points l’essentiel du changement sera inclus dans des textes non législatifs. C’est le cas par exemple de la réforme des rythmes scolaires ». François Jarraud note que bien des sujets restent flous : rien de précis sur la formation continue des enseignants, très peu de choses sur le second degré, rien sur la revalorisation des enseignants ou sur l’évolution du métier.

Marylin Baumard, dans la synthèse citée, y ajoute le flou entretenu sur les questions du socle, du brevet des collèges, se fait ironique sur les mots employés pour décrire l’école maternelle à venir (« comme aujourd’hui ? ») et rappelle que tout ce qui concerne l’orientation et la formation est en cours de discussion entre l’état et les régions, décidément appelées à jouer un rôle majeur.

Le grand bazar syndical

Côté syndicats, c’est le grand bazar, entre ceux qui saluent « une loi qui a du souffle et de l’ambition », ceux qui pointent « la persistance de scories idéologiques partisanes », ceux qui soulignent que « sans la mobilisation des personnels, il n’y aura pas de véritable alternative, pour les politiques éducatives comme pour le reste », ceux qui pensent que "la partie législative n'est pas déterminante pour changer le quotidien du système éducatif, il y aura un flux de décrets" (F. Sève, Sgen), ceux qui ne communiquent pas (s’ils ne communiquent pas là, quand ?)… Le plus dur reste FO pour qui, « plutôt que de "sanctuariser l’école" et de la "protéger de la crise" comme il l’avait annoncé, Monsieur Peillon a choisi de la dégrader et de remettre en cause son caractère national, ce qui mène inéluctablement à une attaque frontale contre les statuts des personnels. Le ministre ne peut s’appuyer sur aucun consensus des personnels et des organisations syndicales ».

On ne peut donner tort à FO sur ce point : autant Chatel avait fait l’unanimité contre lui et sa politique, soudant toute la communauté éducative, autant après 6 mois de Peillon, celle-ci est profondément divisée, morcelée : on le voit chez les syndicats, on le sent sur le terrain. A une nuance près : la base se reconnaît de moins en moins dans les syndicats, et se radicalise.

En coulisse, projet de décret sur les rythmes scolaires

Jeudi, on apprenait aussi que la veille, une partie du projet de décret sur les rythmes scolaires avaient été communiquée aux syndicats. Le site Touteduc nous précise que ce projet a été lu aux syndicats mais qu’ils n’ont pu y avoir accès. Devenue emblématique de la Refondation, à tort ou à raison, la question des rythmes scolaires paraît se décanter loin des projecteurs, dans les cabinets du ministère.

Voici ce qui a été communiqué : semaine de 24 h pour les élèves, maximum 5 h 30 de cours par jour, pause médiane de 1 h 30 minimum, demi-journée supplémentaire le mercredi matin de 3 h 30 maximum. Les deux heures d’aide personnalisée, question sensible, sont transformées en « activités pédagogiques complémentaires ». Les rythmes scolaires des enseignants seront communiqués avant Noël. On peut imaginer ceci : 26 heures hebdo devant élèves avec des journées de presque 6 heures de cours, aide perso incluse, et une demi-journée de plus le mercredi matin. Je connais quelques dindons qui vont faire la grimace… Mais peut-être que Peillon garde dans sa manche un joker, sous la forme d’une compensation financière.

De toute façon, pour les élèves comme pour les enseignants, cette réforme des rythmes ne sera décidément pas ce qu’elle aurait du être.

Jurisprudence sur les vacances

C’est passé assez inaperçu, sauf pour l’impeccable Claude Lelièvre (cf. son blog) et le très au fait site touteduc, mais quelque chose d’important, pour l’instant symboliquement, s’est joué au Conseil d’Etat concernant les vacances des profs. Voici l’histoire : une prof d’espagnol a demandé devant la justice le report de ses congés annuels de l’été 2010 à l’issue de son congé maternité (comme cela se fait dans la plupart des grandes entreprises). Dans un premier temps le tribunal administratif de Besançon lui donne raison, s’appuyant sur le droit européen. Une directive européenne (76/207) demande en effet que « les états membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleuses […] bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues », une autre directive (2003/88) précisant que cela doit s’appliquer « à tous les secteurs d’activité, privés ou publics ». La Cour de justice européenne ajoute qu’ « une travailleuse a droit au bénéfice de son congé annuel lors d’une période distincte de celle de son congé maternité ».

Mais dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat, considérant l’affaire, a donné tort à la jeune femme. Plus que le verdict, ce sont les termes du rendu qui pourraient bien constituer une révolution : « Une enseignante ne peut exercer son droit à un congé annuel, d’une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service, que pendant les périodes de vacance des classes ».

Outre que la Conseil d’Etat contrevient ici au droit européen et opère une manière de discrimination à l’endroit de la population enseignante féminine, la véritable information se niche au creux de la phrase : la durée légale de congé annuel d’un prof est de 5 semaines et se distingue de celle des élèves !

La cadre réglementaire est désormais prêt pour, au hasard, la formation sur le temps de vacances ou, tiens, le passage à 6 semaines l’été…

 

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