Le sondage qui dit enfin ce que les enseignants pensent de la Refondation de l’école (entre autres…)

Le sondage* du Snuipp, premier syndicat du primaire, sur "Les enseignants et la Refondation de l’école primaire", paru hier jeudi 15 novembre a été abondamment commenté, le plus généralement pour pointer la réticence des enseignants concernant la réforme des rythmes scolaires. Pourtant, l’enquête (synthèse ici, rapport complet ) fournit d’autres données très intéressantes : mieux, une bonne image de l’état actuel des troupes, nombreuses (23 000) à répondre aux questions pour une fois qu’on leur demande leur avis.

Ecole mal aimée et mauvaises conditions de travail

Marqués par les années de dénigrement Darcos / Chatel, les instits ont très majoritairement (82%) le sentiment que l’école a une mauvaise image auprès du grand public (et ce ne sont pas les commentaires sur les sites web d’information qui risquent d’inverser cette impression !). 93% pensent que cette image s’est détériorée au cours des dernières années.

Les conditions de travail sont jugées mauvaises par 80% des instits, qui estiment à 96% qu’elles se sont fortement dégradées ces dernières années, à cause du nombre croissant d’élèves, de l’accroissement des tâches administratives, de la densification du rythme de travail, mais aussi en raison du comportement des élèves (il faudra un jour se pencher sérieusement là-dessus : il y a de plus en plus d’élèves « difficiles ») ; sont également cités comme facteurs de dégradation : l’émergence d’une logique économique et comptable de l’école primaire, la baisse d’implication des parents, la désacralisation de l’école et sa remise en cause au sein de la société.

Les instits déclarent aussi ne pas avoir les moyens d’assurer pleinement la réussite de leur élèves : manque d’aide de professionnels spécialisés (RASED,90%), manque de formation continue (77%), manque de matériel (53%)...

De bonnes relations avec les élèves… et les parents

Fort heureusement les instits trouvent des sources de satisfaction dans l’exercice de leur métier au quotidien : le plus important, la relation avec les élèves, est satisfaisante pour 90% d’entre eux. C'est aussi le cas de l’ambiance au sein de l’école, bonne pour une grande majorité d’enseignants (84%). Bonne nouvelle, les rapports entre enseignants et parents, facilement étiquetés sources de tensions, sont au beau fixe d’après les instits, qui sont 3 sur 4 à s’estimer satisfaits du dialogue avec les parents, même si 39 % trouvent que les parents ne s’intéressent pas assez à la réussite de leur enfant.

Les missions de l’école

Sans surprise, les instits pensent que la mission première de l’école est d’apprendre à lire, écrire, compter (89% très important, 10 % important). Ils pensent dans les mêmes proportions que l’école doit donner aux enfants le goût d’apprendre.

A l’autre bout de la chaîne, n’est pas considéré comme relevant des missions de l’école ce qui relève de la sphère éducative privée : seuls 21% des instits pensent que l’école a pour mission très importante d’inculquer la discipline et la politesse. Ils ne sont que 3% à juger comme une mission très importante le fait de prendre le relai des parents pour éduquer les enfants.

Notons aussi le mauvais classement dans ce domaine de l’intégration des enfants en situation de handicap, particulièrement mental (à croiser avec une autre donnée : 77% des instits pensent que l’école ne parvient pas à les intégrer correctement). Et, à mon grand étonnement, les instits ne sont que 23% à estimer la préparation au collège comme une mission très importante de l’école primaire.

Envie de changement…

Les enseignants sont volontiers jugés conservateurs et frileux dès qu’il s’agit de réformer, mais ils sont ici 89% à souhaiter qu’une réforme de l’école primaire soit engagée. Autant dire que l’écrasante majorité des instits veut des changements, mais pas forcément de la même nature : 38% pensent que cette réforme doit revoir le fonctionnement de l’école primaire dans sa totalité, 61% qu’il faut se concentrer sur ce qui fonctionne le moins bien dans l’organisation actuelle de l’école primaire.

… mais quels changements ?

Il est très intéressant de considérer l’ordre des priorités donné par les instits : le plus urgent pour eux est d’abaisser le nombre d’élèves par classe (81% prioritaire, 17% important) ; puis la refondation de la formation des enseignants (75% prioritaire, 22% important) ; le développement du travail en petits groupes avec le "plus de maîtres que de classes" (73% et 21%) ; la prime faite aux écoles qui concentrent les difficultés scolaires et au suivi des élèves en difficulté, etc.

La surprise vient du fait que la réforme des rythmes scolaires ne vient qu’en 11ème position des changements à apporter ! On a parfois l’impression, vu la place occupée dans les médias, que c’est la priorité numéro 1, ce sondage permet de relativiser les choses : les instits pensent qu’il y a bien d’autres mesures à mettre en place pour changer l’école et permettre la réussite du plus grand nombre…

Les rythmes scolaires

Alors que le débat se focalise le plus souvent sur l’organisation de la semaine, les instits mettent en tête des priorités (85%) une autre mesure, demandée par divers rapports, l’alternance 7 / 2, 7 semaines de classe et de 2 semaines de vacances : ils savent bien comme des périodes de travail de 10 ou 11 semaines consécutives sont source de grande fatigue et donc néfastes à la qualité des apprentissages.

La fin de la classe à 15 h 30 est massivement demandée (75%), mais pour mettre en place des activités périscolaires beaucoup plus que pour de l’accompagnement scolaire au sein de l’école (aide aux devoirs, soutien…), ce qui s’entend aisément si l’idée est d’alléger la journée de classe.

Par ailleurs, les instits rappellent une évidence qui semble malheureusement oubliée dans un processus politique qui tend à isoler les mesures les unes des autres : la réforme des rythmes scolaire ne doit pas être conçue indépendamment d’autres mesures, comme la redéfinition du nombre d’heure d’enseignement annuel, de l’aide personnalisée, ou comme la révision des programmes.

Enfin, quelques pierres sont jetées dans le jardin du ministre : les instits disent manquer d’information à 87% sur ce sujet ; 61% pensent que les intérêts économiques et politiques l’emporteront ; 56%pensent que la réforme sera imposée d’en haut, sans qu’on leur demande leur avis.

Comment les instits définissent-ils leur métier ?

Il y a un fort consensus dans la définition du métier d’enseignant en école primaire.

Pour 99% des instits, le métier d’enseignant demande une forte implication personnelle (je plains le 1% restant), des compétences variées (98%). Le métier est jugé fatiguant (97%) mais passionnant (92%) il est toujours vu comme utile à la société (98%). Les enseignants apprécient l’autonomie et l’indépendance dans l’exercice quotidien de leur métier (73%), sont tout à fait conscient de la sécurité de l’emploi dont ils bénéficient (93%) mais ne considèrent pas qu’il permet de disposer de temps libre pour faire autre chose (60%). Par ailleurs, ils considèrent que leur métier offre peu de perspectives de carrière (97%), que ce n’est pas un métier d’avenir (61%). Voilà qui va relancer l’attractivité de la profession…

Paradoxes

Il y a dans les réponses des instits quelques paradoxes. Ainsi, la moitié des instits se prononce en faveur du passage de la semaine de 4 jours et demi. Mais lorsqu’on leur propose de placer la ½ journée supplémentaire le mercredi matin, ils sont 62% à dire non ! L’opposition monte à 69% s’agissant du samedi matin !!! Faut-il en déduire que les instits plébiscitent le dimanche matin ?... De même, alors qu’il se dit qu’une réforme complète des rythmes scolaires demanderait un raccourcissement de deux semaines des vacances d’été, 60% des instits sont plutôt contre. Ici, il faut considérer le sentiment (la peur ?) qu’ont les instits de devoirs "lâcher" des choses sans contrepartie…

Par ailleurs, les enseignants de primaire veulent à 77% une réforme des rythmes scolaires qui soit guidée par l’intérêt des élèves avant celui des parents et des enseignants, mais ils souhaitent tout de même qu’elle s’accompagne d’une revalorisation de leur salaire à 86%, voire d’un allègement de leur temps de service (57%, sont ici visées les 108 heures dues hors enseignement).

Enfin, dernier paradoxe, et non des moindres : les instits sont nombreux à penser que le public a une mauvaise image de l’école, mais près d’un instit sur deux considère que l’école élémentaire fonctionne plutôt mal, contre 28% seulement du grand public !

Conclusion : écoutez les enseignants !

Il faut écouter avec attention ce que disent les enseignants de primaire : ils ont des choses à dire, bien plus nuancées, complexes que ce qu’on entend habituellement dans les médias. Malgré quelques paradoxes, il apparaît que les préoccupations des instits sont massivement tournées vers la réussite de leurs élèves et non vers leurs petites personnes. Moins figés que l’on croit, les instits sont demandeurs de changement, mais pas à n’importe quel prix : il doit être cohérent et adapté aux réalités du terrain. Les désaccords exprimés par les profs concernant les réformes sont souvent perçues par le grand public comme de l’immobilisme, quand ce sont les mesures proposées qui sont jugées insuffisantes et inadaptées par les instits et non la nécessité de réformer, bien au contraire. Les instits connaissent le terrain, ses réalités, ils connaissent leur métier, leurs élèves ; il y a forcément des choses à entendre dans leur discours…

 

*Consultation papier réalisée par Harris Interactive entre le 11 septembre et le 11 novembre auprès de 23 444 enseignants du primaire public, via des questionnaires distribués par les militants du Snuipp au sein des écoles.

 

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