Pourquoi Vincent Peillon plaît aux profs (pour le moment) ?

Conseiller éducation du candidat Hollande pendant la campagne, Vincent Peillon vient d’être nommé ministre de l’Education Nationale. Sans surprise, tant son nom est en quelques mois devenu indissociable des questions d’éducation. Très présent durant la campagne, inlassable débatteur et contradicteur de Luc Chatel, Vincent Peillon jouit aujourd’hui d’un capital sympathie important auprès des milieux enseignants. Voici pourquoi.

 

Parce qu’il ne s’appelle ni Darcos ni Chatel

C’est peu dire que les profs n’aimaient pas beaucoup les ministres du quinquennat sarkozyen. Rien de personnel, mais la politique menée pendant 5 ans par Xavier Darcos d’abord, Luc Chatel ensuite a laissé des cicatrices profondes. Au-delà des réformes menées, majoritairement jugées néfastes par la profession, c’est la dévalorisation continuelle de l’école, des enseignants et in fine de l’institution qui a le plus marqué les esprits. Si Luc Chatel a réussi à conserver auprès du grand public une image sympathique et bonhomme, le monde de l’éducation n’a jamais été dupe.

Avant même d’être Vincent Peillon, ne pas être Luc Chatel est la première qualité du nouveau ministre de l’EN.

 

Parce que c’est un ancien prof

On n’est pas obligé de penser qu’il est indispensable, pour un certain nombre de ministères, d’être un spécialiste pour être un bon ministre. Marie-Georges Buffet ne connaissait pas grand-chose au sport lorsqu’elle a hérité du maroquin, elle est aujourd’hui considérée comme l’un des meilleurs ministres des sports de la 5ème République, bien davantage que d’anciens sportifs…

Mais on peut considérer également que si, en plus de ses compétences, un ministre connaît le sujet, c’est pas plus mal ! C’est le cas de Vincent Peillon : ancien prof de philo, agrégé, il connaît parfaitement le milieu de l’éducation pour avoir exercé pendant 13 années, de 1984 à 1997. Par ailleurs, ça se sait moins, mais Peillon est très préoccupé par les questions de laïcité et de République, deux thèmes centraux de la réflexion sur l’éducation sur lesquels il a beaucoup travaillé, publiant en 2010 un livre sur le grand artisan de la laïcité, Ferdinand Buisson.

 

Parce qu’il veut faire de l’école une priorité nationale

Peillon l’a répété durant toute la campagne, et encore depuis la victoire de Hollande, « durant les 6 premiers mois de l’avènement de la gauche, la France va se saisir d’un grand débat sur l’école », sur des questions fondamentales comme les rythmes scolaires, la formation des enseignants, etc.

L’école a été, durant le quinquennat écoulé, la 5ème roue du carrosse, avec un budget en recul par rapport au PIB, 80 000 suppressions de postes, de multiples dévalorisations présidentielles et ministérielles... L’école primaire a particulièrement souffert, complètement délaissée pendant 5 ans. Elle est désormais au centre de toutes les attentions.

 

Parce que le dialogue avec lui est réel

Ceux qui ont suivi de près la campagne de l’éducation ont pu constater ces derniers mois que le conseiller éducation de Hollande avait pris le temps d’écouter, de consulter. Pendant un an, il a visité, reçu, mené débat, dialogué, pour essayer de comprendre les problèmes actuels et les attentes de l’école. Ces nombreux contacts avec les corps intermédiaires, les responsables nationaux, locaux, les syndicats, mais aussi les multiples rencontres avec les associations sur le terrain (parents, profs, directeurs…) ont posé les bases d’une relation réellement bilatérale.

Certes, il est plus facile d’écouter quand on n’a pas encore de responsabilités, et ce le sera sans doute moins quand il y aura des enjeux réels.

 

Parce qu’il est bien entouré

On ne sait pas encore qui Peillon va réunir autour de lui au ministère, mais on a pu constaté, durant la campagne, qu'il avait constitué un véritable shadow cabinet composé de personnes que l'on retrouvera pour partie aux responsabilités. Parmi elles, d’anciens profs, des gens qui connaissent bien l’éducation pour avoir travaillé sur ce sujet de l’intérieur, pour avoir planché sur la politique d’éducation à venir pendant des mois, synthétisant le travail accompli depuis des années : Jean-Paul Delahaye, qui connaît aussi bien les rouages du ministère de l’EN, où il est apprécié, que le terrain et ses zones difficiles ; Jean-Yves Daniel, inspecteur général et spécialiste des sciences à l’école, qui a coordonné le groupe des experts au rang desquels on trouve Daniel Assouline, ancien prof d’histoire-géo, Daniel Bloch, spécialiste de l’enseignement professionnel ; on trouve encore dans le cercle étroit Bruno Julliard, ancien Pdt de l’UNEF, qui a rédigé le projet socialiste pour l’école, Lionel Collet, ancien président de la Conférence des présidents d'Université, ou encore Yannick Trigance, inspecteur de l’EN.

Des personnes, donc, qui connaissent parfaitement le monde de l’école et qui détiennent une réelle expertise sur l’éducation. Cela ne donne aucune garantie quant à la politique à venir, mais c’est tout de même un gage de compétence, de cohérence et de pertinence. Restera pour le ministre à articuler expertise, technicité, vision éducative et pragmatisme…

 

Parce que ses premières interventions ont plutôt convaincu

Durant la dizaine de jours de transition qui ont suivi l’élection de François Hollande, Vincent Peillon a eu l’occasion de prendre position sur quelques sujets importants. Il a réagi très rapidement à la signature du décret par Luc Chatel réformant l’évaluation des enseignants. Un sujet très sensible, un projet très critiqué par la grande majorité des acteurs de l’éducation pour son manque de pertinence et ses dérives potentielles. Par un communiqué très ferme et très clair, Peillon a remis les pendules à l’heure, annonçant que le décret serait abrogé, et a pointé du doigt la méthode Chatel, « un modèle de mépris du dialogue social ».

Peillon s’est également exprimé sur un dossier d’actualité, les évaluations nationales (de CE1 et de CM2, qui auront lieu du 21 au 25 mai). Ces évaluations chères à la droite, détournées par elle à des fins de communication, dénoncées par tout le monde sur le terrain, sévèrement condamnées par le Haut Conseil de l’Education en septembre dernier les qualifiant d’indicateurs « pas satisfaisants, partiels, peu exigeants et donc trompeurs », « pas fiables pour des raisons de méthode » et recommandant leur suppression. Peillon a annoncé que ces évaluations allaient être refondées dès l’année prochaine, afin de servir « aux professeurs et pas à la communication gouvernementale ».

 

Attention, le crédit s’use vite…

Vincent Peillon est très certainement conscient du crédit très important dont il dispose en ce début de mandature, probablement le plus grand jamais accordé par l’école à son ministre. Il doit être tout aussi conscient que ce crédit, doublé de l’attente importante de toutes les professions d’éducation, peut très vite se retourner contre lui, et ce avec une grande force, si la déception devait poindre, s’il devait perdre la confiance de l’école.

Paradoxalement sa marge de manœuvre est étroite : il devra savoir réformer l’école avec les enseignants et tous les personnels d’éducation, mais il devra lutter aussi contre les archaïsmes et les conservatismes de la profession, potentiels obstacles à la rénovation nécessaire de l’institution. Les foyers de tension existent d’ailleurs dans le programme éducatif du candidat Hollande.

La manière de communiquer de Peillon, sa façon de faire passer ses idées, ses projets, auprès de l’école mais aussi auprès des parents et du grand public, des relais médiatiques (où il compte quelques solides critiques) sera décisive.

A lui donc de retrouver les vertus de pédagogie qui furent les siennes quand il exerçait…

 

Note du 17/05 : les premières rumeurs sur l'équipe du nouveau ministre vont bon train ; le site educpro fait le point, dans un excellent papier, sur ceux qui pourraient rejoindre Vincent Peillon, mais aussi Geneviève Fioraso, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

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