L’école de Sarkozy : les familles, 500 €, et pschiiit

 

Mardi 28 février à Montpellier, le candidat Sarkozy s’est donc exprimé sur le sujet de l’éducation, mais on ne peut pas dire qu’il ait réellement parlé d’éducation. Un discours d’une quarantaine de minutes assez pauvres en idées nouvelles, peu dirigé vers le monde de l’école mais comportant une annonce choc (quoique), beaucoup de grands mots (travail, mérite, excellence, exigence, respect, autorité…) qui vont plaire à son électorat, constamment ciblé, pas mal d’impasses et quelques lourds silences, et bien sûr, rien sur son bilan.

 

A qui le discours s’adressait-il ?

Certainement pas au monde de l’école, pourtant pas le dernier concerné par ce discours. On l’a dit à chaud, tout s’est passé comme si Sarkozy, ayant fait une croix sur l’électorat enseignant (12% d’intentions de vote), avait décidé de se positionner face à lui en prenant à témoin « les familles », véritable cible du discours. Familles contre profs corporatistes, voici la partition jouée : « L’école c’est l’affaire de tous, pas l’affaire d’une corporation, pas l’affaire d’un statut. Nous avons tous le droit de dire notre conviction sur l’école de la France […]. L’école appartient d’abord à toutes les familles de France  qui lui confient leurs enfants. Ces familles ne veulent pas qu’on leur confisque le droit de prendre la parole sur le devenir de l’école, de leurs enfants […]. Je le dis aux enseignants, je le dis aux syndicats, l’école ne peut pas être une grande cause nationale si on ne fait pas partager cette grande cause nationale aux familles, si on tient les familles à l’écart, si on ne les associe pas, si on ne les écoute pas. »

Discours agressif, dont on perçoit bien l’objectif clivant quand d’autres prônent l’union de la société autour de son école, mais qui laisse quand même un peu perplexe : les profs et les parents sont dans le même bateau, ils constituent ensemble ce qu’on appelle la communauté éducative et se sont globalement montrés soudés ces derniers temps quant aux questions relatives à l’école. Les familles vont-elles mordre à l'hameçon ?

Pour être séduit par ce discours, il faut finalement être assez éloigné du monde de l’école, voire en être déconnecté.

 

La proposition-soufflé : 500 € contre 8 heures hebdomadaires de plus

Ce doit être la proposition choc du jour (travailler plus pour gagner plus, quel choc !), mais elle va vite se dégonfler, tant elle laisse sceptique ceux-là même qui devraient s’enthousiasmer. D’abord elle ne s’adresse qu’aux enseignants du secondaire, ceux du primaire n’étant pas plus concernés par cette mesure que par celle des heures supplémentaires défiscalisées. Ensuite parce que les enseignants du secondaire, le ministère le sait depuis longtemps, travaillent en moyenne plus de 40 h par semaine dont plus de la moitié hors de l’établissement. Ajoutez-y 8 heures et les semaines vont devenir franchement chargées, trop pour de nombreux profs ayant par exemple une vie de famille. Les heures supplémentaires ont déjà du mal à trouver preneur…

Et puis, un rapide calcul démontre que la mesure n’est pas si intéressante : un prof qui fait 3 heures sup’ d’enseignement par semaine va gagner autant que celui qui va faire les 8 heures de présence supplémentaires proposées (à disposition du chef d'établissement) ! Sans compter que la fameuse augmentation de 25% vient en contrepartie d’une augmentation de 44 % du volume horaire de présence dans l’établissement !

 

Polyvalence des profs, orientation précoce, réforme du bac

L’une des annonces les plus surprenantes faites par Sarkozy est la volonté d’aller vers une polyvalence des enseignants dans le but d’agglomérer les matières et de réduire le nombre de profs au collège. « Il faut réfléchir à ce qu’en 6ème et en 5ème on puisse réduire le nombre d’enseignants en regroupant l’enseignement des disciplines littéraires d’une part, et d’autre part celui des sciences en formant des professeurs polyvalents. »

Qu’est-ce à dire ? Va-t-on vers la mise en place de profs de français/histoire/géographie ? D’autres de maths/physique/chimie/biologie ? On n’en saura pas plus, ni quelles seraient les modalités de formation, ni quel redécoupage des matières cela entraînerait. Manifestement, cette annonce est destinée à en rester une, peut-être à hérisser davantage les profs dans l’espoir d’un affrontement idéologique.

Le candidat UMP est également revenu sur l’un des grands sujets de clivage avec ses adversaires, en prônant une fois encore la fin du collège unique, sous la forme d’une orientation précoce. Partant du constat partagé par tous que le collège tel qu’il existe aujourd’hui ne fonctionne pas correctement, Sarkozy renverse la perspective en faisant du collège le responsable de l’échec scolaire. Il propose donc une orientation précoce, à la fin de la 5ème, « le socle commun étant acquis » (si le socle est acquis, il n’y a plus d’échec, Nicolas !). A ceux qui restent persuadés que cette orientation précoce est une bonne chose, on ne peut que conseiller de lire attentivement l’excellente et solidement argumentée tribune de Jean-Louis Auduc du Café Pédagogique : « Orientation en fin de 5ème : le grand bond en arrière ».

Dernière annonce, prononcée vite fait et du bout des lèvres : celle d’une réforme du bac, que Sarkozy veut revaloriser. Là aussi on n’en saura pas beaucoup plus, seule la piste très discutée (iniquité) du contrôle continu est avancée.

Enfin, sourions à la promesse d’un bureau pour les profs dans les établissements : une mesure qui ne coûterait rien à l’état (mais aux collectivités) et qui devrait être drôle à suivre dans les faits (150 profs, combien de bureaux ?...).

 

Rien sur son bilan… Ah si, les ERS !

Il ne fallait pas trop lui en demander : son bilan éducatif doit être trop dur à défendre et Sarkozy a préféré ne pas s’y coller… Tout juste a-t-il parlé, vite fait, de la réforme des universités, avant de vanter les internats d’excellence qu’il a mis en place au début de son mandat, modèles selon lui de cette « exigence de l’excellence » qu’il veut généraliser.

Beaucoup de publicité pour ces internats, qui ne rassemblent que 0,02% des élèves et sur lesquels aucune étude sérieuse n’est parue (il y en a bien une, très critiquée, signée des profs des internats et commandée par les services du ministère…).

Plus étonnant encore, Sarkozy a cité en exemple les très obscures ERS, Établissement de Réinsertion Scolaire, soit… 100 élèves.

 

Les impasses : rythmes scolaires, formation

En mettant ainsi l’accent sur la marge, le Président-candidat se permet de ne pas aborder les sujets importants, ceux qui fâchent et sur lesquels il est attendu. Rien sur les rythmes scolaires, alors qu’il s’agit d’un des gros dossiers de l’école à venir. Il faut dire que le désastreux passage à la semaine de 4 jours au début du quinquennat a clairement entaché sa crédibilité sur le sujet.

Autre mesure phare du quinquennat, toute aussi désastreuse, celle de la formation des enseignants. Les députés UMP eux-mêmes ont poussé pour une refonte de cette formation, mais le candidat Sarkozy s’est contenté d’annoncer timidement et en 10 secondes, un pré-recrutement et une formation en alternance, sans détailler, avant de vite changer de sujet.

 

Et l’école primaire ? Oubliée…

Rien, pour ainsi dire. Oui, vous avez bien lu : RIEN pour le primaire, qui regroupe plus de la moitié des élèves, 6,5 millions sur 12, près de la moitié des enseignants ; RIEN pour le primaire, déjà parent pauvre de l’éducation pendant 5 ans ; RIEN pour le primaire, dont tout le monde s’accorde à dire que c’est là qu’il faut porter les efforts si on veut lutter contre l’échec scolaire ; R-I-E-N.

Tellement rien que Sarkozy a omis de mentionner la seule mesure à annoncer. Il a littéralement oublié de prononcer le passage de son discours déclarant le gel des réductions de postes en maternelle et en primaire. Son équipe de campagne a du apporter une précision à la presse pour confirmer la mesure !

C’est dire l’attention portée à l’école primaire…

 

Contre-vérités, mensonges, chiffres tronqués

Comme il l’avait montré la veille sur RTL, le chef de l’état ne s’est pas privé de dire un peu tout et n’importe quoi, avec la ferme certitude que « plus c’est entendu, plus c’est vrai ».

« L’échec scolaire recule », a osé le Président ! On renverra juste aux derniers rapports (PISA) indiquant que les élèves de 15 ans en grande difficulté sont passés de 15 à 20 % en quelques années.

« Si le problème était le nombre d'enseignants, nous devrions avoir la meilleure école du monde », a également scandé Sarkozy sous les vivats de la foule, raillant le nombre prétendument élevé de profs en France. On va donc l’écrire une fois de plus : de tous les pays de l’OCDE, la France est l’un de ceux où le taux d’encadrement est le plus faible, avec 6,1 profs pour 100 élèves (5 dans le primaire).

« Les salaires de début de carrière ont été augmentés de 18 % depuis 2007 ». Certes vrai, les profs entrant dans le métier sont mieux rémunérés : il faut bien tenter d’attirer des jeunes qui se détournent d’un métier déconsidéré ! Mais il faut aussi rappeler deux choses : 80% des enseignants n’ont pas été augmentés depuis des années. Et les enseignants français restent en-dessous de la moyenne des pays de l’OCDE concernant la rémunération…

 

Attaques répétées contre Internet

De manière frappante, le candidat Sarkozy a, à plusieurs reprises, pointé Internet du doigt : tantôt en opposant à l’ère numérique l’ère du livre et des classiques français (Princesse de Clèves, m’entends-tu), comme si les deux étaient incompatibles ; tantôt en rendant le web coupable de la baisse d’autorité des profs, menacés dans leur savoir. Un dernier coup, plus ciblé, contre les tablettes numériques : c’est que son adversaire socialiste a décidé d’en équiper les collégiens de Corrèze…

Chaque attaque sur Internet a été vivement applaudie par le public.

Qu’en penser ? Que là aussi, le but est de diviser, d’opposer deux mondes, deux cultures ? On sait que la prise en compte des outils numériques à l’école est un sujet clivant au sein-même de l’école… On a surtout senti la défiance profonde vis-à-vis d’un outil, le web, qui ne lui est pas franchement favorable dans son utilisation : dire que « tout se vaut » sur Internet, c’est décrédibiliser un média qui lui est majoritairement hostile et dont la partie conservatrice de son électorat se méfie.

 

Enfin d’accord avec Sarkozy

Un passage du discours, toutefois, emporte mon adhésion totale : « L’école de la République doit apprendre à distinguer le vrai du faux, ce qui est crédible de ce qui ne l’est pas. Dans une société où l’information est partout et sans filtre, l’école a une mission plus importante encore, celle de structurer les intelligences et de permettre aux enfants de former leurs jugements  ». Je suis tout à fait d’accord avec ce rôle, central, de l’école. Et il faut accorder à Sarkozy le mérite de militer en faveur de ce qui pourrait bien se retourner contre lui… Comme quand il dit, pour finir : « Aidez-moi à faire gagner la vérité contre le mensonge ».

Chiche.

 

Note du 02/03/12 : les français pas convaincus par la mesure 8 heures / 25%, sondage ici.

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