Epuisement professionnel des enseignants : enfin une étude !


Cette semaine les médias titraient : « 14 % des agents de l’éducation en situation d’épuisement professionnel ». Pour une fois qu’on dispose d’une étude lisible sur le sujet, on ne s’est pas privé de la dépouiller… On y apprend par exemple que dans l’Education Nationale, 24% du personnel est en état de tension, que la population y est bien plus active qu’ailleurs, que les instits et les CPE sont en mauvais état…

Les chiffres concernant le « malaise enseignant » sont difficiles à obtenir, ces derniers temps. Le ministère rechigne à communiquer sur les conditions d’exercice de la profession et leurs conséquences en matière de santé. On comprend bien le risque : une étude sur le sujet aurait de bonnes chances de pointer directement ou indirectement la politique publique en matière d’éducation. Mieux vaut continuer à (faire) croire que tout va bien, madame la marquise.

On attend toujours, par exemple, une étude fiable sur le taux de suicide des enseignants, qu’on pressent élevé, qui court comme une rumeur sur le web, mais qui reste à étudier.

Dans ce contexte, l’étude parue cette semaine est intéressante à plus d’un titre. Au-delà du chiffre de 14% d’épuisement professionnel (burn out, en anglais), elle permet d’en comprendre les causes, d’une part, elle met en évidence de grandes disparités au sein de la population de l’éducation nationale, d’autre part.

 

L’étude, et un bémol

L’étude a été publiée par le Carrefour Santé Social (un organisme de veille regroupant les organisations syndicales et la MGEN) et menée par la FESP (Fondation d’Entreprise MGEN pour Santé Publique) auprès de 5000 personnes travaillant dans l’éducation nationale (administratifs compris). Elle porte sur deux thèmes : « les risques psychosociaux » et « les troubles musculo-squelettiques ». C’est la première partie qui nous intéresse.

L’étude, très étayée scientifiquement, a le grand mérite d’annoncer en liminaire qu’ « en raison du mode de recueil des données : via Internet et du recrutement au travers des organisations syndicales, cet échantillon de répondants volontaires ne peut constituer un échantillon représentatif du personnel de l’Education Nationale. Dans ce contexte de recrutement particulier, les comparaisons à d’autres études sur cette population seront interprétées avec précaution. »

Une fois posé ce bémol méthodologique, on peut se concentrer sur les apports de l’étude, laquelle se fonde sur deux enquêtes majeures se complétant.

 

1. Environnement au travail et état de tension

Pour comprendre l’environnement psychosocial d’une personne au travail, on a coutume d’évaluer trois dimensions :

- la latitude décisionnelle est la marge de manœuvre dont le salarié pense disposer pour intervenir dans les décisions liées à son travail et à ses possibilités d’utiliser et de développer ses compétences : en gros, son espace d’action personnelle dans la tâche ;

- la demande psychologique correspond à la quantité de travail qui est demandée au salarié, son intensité, sa complexité, son rythme ;

- le soutien social évalue l’aide professionnelle et émotionnelle sur laquelle peut compter le salarié auprès de ses collègues ou supérieurs ; une oreille pour écouter les soucis, des gens avec qui partager son quotidien…

Quand la latitude professionnelle est faible et que la demande psychologique est forte, on parle d’« état de tension ».

 

Ce que dit l’étude

24% des personnels de l’Education Nationale (EN) sont en état de tension.

En comparaison avec le reste de la population active (étude datant de 2008), les agents de l’EN connaissent une demande psychologique et une latitude décisionnelle plus fortes, un soutien social légèrement inférieur. Pour résumer, un agent de l’EN aura, plus qu’un salarié, le sentiment qu’on lui demande beaucoup dans son travail, mais aussi le sentiment de bénéficier d’une marge de manœuvre non négligeable.

Sur l’échelle à quatre niveau mesurant l’état de tension (détendu, passif, actif, tendu), les personnels de l’EN, comparativement au reste de la population salariée, sont bien plus actifs (59% contre 27%), moins détendus (13% contre 25%), moins passifs (4% contre 25%). La part de population tendue est équivalente (24% contre 23%).

En fait les chiffres de la population EN se rapprochent de catégories socioprofessionnelles de type cadres : beaucoup d’actifs (59% vs 58%), peu de passifs (4% vs 6%), mais avec une grosse différence, le personnel de l’EN étant deux fois plus tendu (24% vs 12%) !

Voilà qui devrait remettre les points sur les « i » : dans l’Education Nationale, l’activité, bien supérieure à la moyenne, est la même que pour les salariés cadres, mais avec un état de tension double !

 

Au sein du personnel de l’EN, il y a des fortes disparités :

Les CPE (Conseiller Principal d’Education, en charge entre autres du volet éducatif dans les collèges, une sinécure) sont ceux qui sont les plus tendus : 45% d’entre eux, contre 20% en moyenne dans l’EN. Ils subissent une plus grande demande psychologique, ont une moins grande latitude professionnelle : il leur est demandé beaucoup, mais ils n’ont que peu de marge.

Sont également plus tendus que la moyenne, les personnels d’encadrement (direction, inspection) et administratifs divers : 31%, un chiffre du notamment à une faible latitude décisionnelle. Il s’agit de personnes travaillant dans des bureaux, ayant une hiérarchie forte et peu de marge dans le travail.

Viennent ensuite les instits et professeurs des écoles (23%) : c’est à l’école élémentaire que la demande psychologique est la plus forte. Le risque d’être tendu à l’école élémentaire est 70% plus élevé qu’ailleurs dans l’éducation nationale. (250% pour un CPE !).

Les professeurs d’université témoignent d’une forte demande psychologique, mais aussi d’une latitude professionnelle élevée : en conséquence ils sont moins tendus (10%) que la moyenne (20%). Plus généralement, ceux travaillant dans le supérieur (fac, grandes écoles…) et la recherche sont les moins tendus (13%).

 

2. L’épuisement professionnel dans  l’Education Nationale

L’épuisement professionnel ou burn out est mesuré en croisant trois champs symptomatiques :

- l’épuisement émotionnel : il s’agit de l’impression de saturation affective et émotionnelle vis-à-vis de la relation à autrui ; y sont sujettes les personnes qui se sentent débordées, épuisées, désarmées face à la situation qu’elles vivent ;

- la dépersonnalisation : elle se traduit par un désinvestissement de la relation à autrui, une attitude négative et du cynisme ;

- une diminution de l’accomplissement personnel : elle correspond à une évaluation négative de son travail et de ses compétences.

Pour qu’on puisse parler d’épuisement professionnel, il faut que deux de ces données correspondent négativement : une personne épuisée émotionnellement et en forte dépersonnalisation est en burn out ; de même pour une personne épuisée émotionnellement et ayant le sentiment d’un faible accomplissement personnel.

 

Ce que dit l’étude

Comme annoncé dans la presse, 14% des agents de l’EN sont en burn out, état d’épuisement professionnel. Rappelons que le chiffre pour l’ensemble du monde du travail est de 11%.

Cependant, on observe que selon le lieu de travail, le sexe, l’âge et la profession, les chiffres varient très sensiblement en sein de l’EN.

A l’école élémentaire, la population en situation d’épuisement professionnel monte à 19%, tandis qu' au collège elle est de 18%. A contrario, 7% seulement en classes préparatoires, fac, grandes écoles.

Les hommes sont plus sujets au burn out (17%) que les femmes (13%).

Au-delà de 55 ans, le burn out augmente (18% contre 14% avant).

 

Considérant les diverses professions, on s’aperçoit que les instits se font encore remarquer.

Avec 16% de burn out, les instits sont aussi ceux qui connaissent le plus fort épuisement émotionnel de tous les personnels de l’EN (30% contre 24% en moyenne). Leur sentiment d’accomplissement personnel est faible (19% contre 24% en moyenne). Je confirme : on est débordé, las, et on n’a pas franchement le sentiment de faire correctement notre boulot et d’être armé face à ce qu’on nous demande !

Les CPE ne sont pas en très bon état non plus : épuisement émotionnel important (29% vs 24% en moyenne), accomplissement personnel déplorable (4% contre 24% en moyenne), fort taux de dépersonnalisation (29% contre 21% en moyenne). Les profs de lycée professionnel suivent, juste derrière.

A l’autre bout de la chaîne, les personnels travaillant en bibliothèque semblent bien se porter: 5% de burn out, fort accomplissement personnel (32% contre 24% en moyenne), faible épuisement émotionnel (5% contre 24% en moyenne), faible dépersonnalisation (9% contre 21% en moyenne).

Notons aussi que les profs d’université, maîtres de conférences, chercheurs, formateurs témoignent d’un accomplissement personnel fort.

 

En résumé, si vous êtes un homme de plus de 55 ans, instit travaillant à l’école élémentaire, vous êtes proches du burn out si ce n’est déjà le cas ! Si vous voulez continuer à travailler dans l’Education Nationale, essayez la bibliothèque ou le supérieur…

 

CONCLUSION

Les 14% de burn out annoncés doivent être sacrément nuancés : comme le dit l’étude elle-même, « l’ensemble des personnels de l’Education Nationale se trouve dans un contexte d’activité professionnelle hétérogène. Les métiers, les conditions de travail sont très  différentes  ».

Une analyse détaillée de l’étude met en évidence que la population enseignante est particulièrement exposée au burn out et à l’état de tension. Des pistes permettant de comprendre ce qui mène à ces états sont données. Elles ne surprendront aucun enseignant, mais valent le coup d’être citées ici. « L’épuisement professionnel est à considérer de manière sérieuse chez les enseignants de la maternelle au lycée. Les enseignants, ou plus généralement les personnels éducatifs en contact avec les enfants à qui ils doivent fournir une éducation, sont régulièrement confrontés aux jugements, à la critique, aux bavardages, parfois aux réflexions outrageantes, insolentes, voire même à des paroles ou actes violents, émanant des élèves, des parents ou des collègues. Le personnel chargé de l’éducation est pris entre deux feux, d’un côté il doit faire son maximum pour assurer la discipline, la gestion du programme annuel et l’éducation des enfants de manière générale, et de l’autre il doit subir les critiques, les attaques que suscitent ses méthodes d’enseignement. »

Oui, je sais, je ne contribue pas à relancer l’attractivité de notre beau métier.

 

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