Education Nationale : une année de communication mensongère


La parution cette semaine d’un article dans Le Monde sur les petites et grandes manipulations du ministère de Luc Chatel est venue confirmer une dérive de la communication ministérielle vers la propagande. Rien de très surprenant pour ceux qui suivent ce blog avec assiduité.

On se souvient que la Cour des comptes avait durement pointé, en novembre dernier, les dépenses de communication des ministères. Celui de l’Education Nationale notamment, dont le budget com’ a progressé de 41% en cinq ans (passant de 6 844 000 euros en 2006 à 9 647 000 euros en 2010). Et bien voilà à quoi sert cet argent.

 

« Dissimulées ou retardées, les données sur l’école sont jugées peu fiables »

L’article de Maryline Baumard est assez édifiant. La journaliste cite nombre de dossiers dérangeants pour le ministère et restés soigneusement dans les tiroirs pendant que seuls ceux pouvant avaliser sa politique générale sortent et sont commentés. Les statisticiens de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) sont priés de se taire quand l’INSEE publie un dossier allant dans le sens inverse des propos ministériels. Quant à leurs enquêtes, « [elles] sont bienvenues lorsqu'elles accompagnent la communication du ministre. Sinon, elles attendent ».

Les informations émanant du ministère et destinées au grand public sont en très forte baisse : au début des années 2000, une soixantaine de « notes d’information » sont publiées chaque année ; depuis 2009, moins de 20. Cette année encore une cinquantaine étaient prévues, entre bilans d’expériences menées sur le terrain et études diverses : bilan sur les internats d’excellence (mis en place il y 4 ans !), bilan sur l'expérimentation du sport l'après-midi les collèges (prévu pour novembre), bilan sur le dispositif d'accompagnement éducatif (avril), étude sur  le niveau de lecture en 6ème, sur la vision du collège par les parents, bilan sur l'évaluation de l'assouplissement de l'affectation dans les collèges et les lycées, etc. Les informations sur ce dernier sujet existent, nous dit un statisticien, mais elles sont accablantes pour la politique menée…

Le ministère préfère d’ailleurs que certains travaux et certaines études soient directement menés par ses services : on n’est jamais mieux servi que par soi-même…  D’autres informations voient leur sortie différée, enfin mise sur la place publique quand le dossier ne fait plus l’actualité. Noyer le poisson en misant sur la dictature de l’instant : peu importe si les vrais chiffres sortent, tant que ce n’est pas au moment où ça pourrait faire mal.

 

Je ne sais pas vous, mais dans ma conception de l’état de droit, la transparence sur la communication des chiffres et des rapports en possession d’un ministère doit être au centre de l’information due à tout citoyen. Les méthodes pratiquées ici relèvent purement et simplement de la propagande et constituent un déni de démocratie.

 

Quand on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, on s’aperçoit qu’en 2011 de nombreuses communications du ministre Chatel n’avaient finalement pour objectif que de laisser passer l’orage et de faire passer un message contre vents et marées, quitte à asséner des contre-vérités sans le moindre scrupule afin de justifier la politique du gouvernement en matière d’éducation.

 

Suppression de postes

Ca a été la grande affaire du début d’année. Dès la fin décembre 2010, en pleine période de fêtes (c’est mieux ça passe inaperçu) sortaient les chiffres des suppressions de postes pour la rentrée 2011. Il a fallu quelques semaines avant que la grogne monte, non plus chez les profs mais chez les parents d’élèves, les inspections et finisse par s’étendre, jusqu’aux mairies et aux collectivités.

Quand est publié en avril le chiffre de 1500 classes fermées, c’est l’émoi. Depuis 2007, ce sont 66 000 postes qui ont été supprimés au total.

La communication de Chatel : « Nous avons 35.000 postes d’enseignants de plus qu’il y a quinze ans alors que nous avons 500.000 élèves de moins. Nous restons l’un des pays de l’OCDE qui investit le plus dans l’éducation. » (Figaro, 4 avril)

Pourtant en février paraissait une étude de l’OCDE révélant que la France possède l’un des taux d’encadrement les plus faibles de l’OCDE avec 6,1 profs pour 100 élèves, et même 5 pour 100 dans le primaire.

Quant au nombre d’élèves à la rentrée 2010, il a fallu attendre un an pour l’obtenir : + 40 000 élèves… On aura attendu seulement 4 mois pour les chiffres de cette rentrée 2011, Luc Chatel ayant été un peu bousculé sur RTL a lâché + 25 000 uniquement dans le secondaire.

Pour ce qui est de l’investissement, l’OCDE dit l’exact contraire. Dans son rapport paru en septembre, «Regards sur l’Education», la France apparaît comme le canard boiteux de l’OCDE pour ce qui est de la part de dépense publique consacrée à l’éducation. De 6,5% du PIB en 1997, elle est passée à 6% en 2007, une baisse supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE. « Alors que la part de l’éducation dans les budgets publics est passée de 11,8% en 1995 à 12,9% en 2009, en moyenne dans l’OCDE, en France, la part dans l’éducation dans ces mêmes budgets a diminué, passant de 11,5% en 1995 à 10,6% en 2008 »

 

La masterisation

C’est l’une des grandes réformes du quinquennat côté éducation : les profs passent une année de plus sur les bancs de la fac, au détriment d’une formation solide et d’une entrée progressive dans le métier. Surtout, ça fait une année de salaire d’apprentis profs d’économisée…

Sur le terrain, c’est la catastrophe : de tous côtés remontent des témoignages de jeunes profs désabusés, perdus, écœurés (ici même...). Près d’un tiers déclare songer à quitter le métier, qui peine déjà à attirer les jeunes.

Interrogé au sénat sur cette question, Luc Chatel répond ceci :

« La nouvelle formation initiale des enseignants répond aux enjeux de notre école. Cette réforme permettra de la mettre en phase avec la société de la connaissance qui se met en place.[…] L’Inspection générale de l’éducation nationale, dans son rapport, indiquait que les premiers éléments de bilan étaient bien éloignés de la catastrophe annoncée. Seuls 1 % des professeurs stagiaires ont été en difficulté et les arrêts maladie et les démissions pas plus nombreux qu’auparavant. » (16 avril)

Au moment où il dit cela, le ministre a en sa possession depuis quelques temps un rapport sur le sujet qui dit clairement : « La situation actuelle semble la pire ».

Le 7 décembre dernier, un rapport parlementaire UMP est adopté à l’assemblée, destiné à améliorer les imperfections de la masterisation. La supercherie a assez duré.

 

Les évaluations nationales

En CE1 et en CM2, les élèves français passent des évaluations nationales dont les résultats sont abondamment commentés par le ministère. Ces évaluations sont censées montrer la progression des élèves et dont avaliser la politique ministérielle. J’ai dit ici dès la mi-janvier ce que beaucoup de profs sur le terrain constatent depuis deux ans : ces évaluations ne sont pas fiables.

En juin, Luc Chatel se gargarise au Conseil de Ministres, s’appuyant sur ces évaluations mises en place en 2009. Il déclare : « Les élèves de CE1 constituent la première cohorte à avoir bénéficié de la réforme [du primaire] depuis la grande section de maternelle. Les résultats obtenus sont encourageants, puisque près de 80% des élèves arrivent en fin de CE1 en ayant de bons acquis en français et en mathématiques. Plus précisément : 78,4% en français, en progression de 3,8 points par rapport à l’année 2010 et de 5,6 points par rapport à l’année 2009 ; 78,7% en mathématiques, contre 77,4% en 2010 et 74,8% en 2009. » (29 juin)

Il faut dire que la réalisation de ces évaluations a été retirée à la DEPP pour être centralisée en interne, dans les bureaux du ministère de la DGESCO, conception et synthèse incluses…

On apprend cette semaine que le ministre Chatel, quand il a fait cette déclaration au conseil des ministres, avait « sous le coude les résultats d’une autre évaluation des acquis des élèves à l’école, l’enquête CEDRE – réalisée selon des règles scientifiques –, qui montrait que les résultats des écoliers n’avaient pas progressé significativement de 2003 à 2009 et que les élèves rencontrant des difficultés scolaires en compréhension de l’écrit étaient nombreux. Il faut aussi savoir que la publication de cette enquête a été bloquée par le ministère pendant une petite année et n’a été rendue publique que la semaine dernière. » (étude visible ici)

En septembre paraît un rapport du HCE (Haut Conseil de l’Education), sans appel pour le ministre Chatel : « Les indicateurs annuels fournis au Parlement ne sont pas satisfaisants […], partiels, peu exigeants et donc trompeurs [...]. Ils ne sont pas fiables pour des raisons de méthode ». Le HCE demande même la suppression pure et simple de l’évaluation de CE1 « étant donné son caractère très partiel et son niveau d’exigence très insuffisant ».

Les dernières phrases du rapport sont lourdes de sens concernant la méthode du gouvernement : « Le moment est venu de confier à une agence d’évaluation indépendante la mise en œuvre d’un tel programme (…). Il est essentiel en effet que, dans notre démocratie, les données concernant les résultats de notre système éducatif soient objectives, donc incontestables ».

 

Le problème, pour Luc Chatel, c’est que l’élection présidentielle approchant, il va falloir présenter un bilan positif de l’action gouvernementale en termes d’éducation, et qu’il devrait avoir du mal à le faire sans continuer à traficoter un peu les chiffres et « égarer » les rapports gênants…

 

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