La République des cancres

Il y a une dizaine de jours l’Elysée faisait l’actualité à ses dépens, à travers un mémorable communiqué censé rendre hommage à Danielle Mitterrand et rendu public par L’express.fr.

Truffée de fautes, cette communication du cabinet présidentiel a beaucoup tourné sur le web, déclenchant hilarité et stupéfaction atterrée.

Allez, je ne résiste pas à la tentation, voici :

Personnellement, j’ai bien rigolé. J’aurais beaucoup moins ri si j’avais vu certaines de ces fautes dans une dictée ou une rédaction de mes élèves !...

Une fois les rires calmés, c’est le dépit qui m’a gagné. Certes il arrive à tout le monde de faire des fautes d’orthographe (moi-même… dans ce billet, qui sait...), soit par inattention, soit par les méfaits du copier-coller ou d'une reformulation laissant derrière elle des scories, soit tout simplement par ignorance d’une des nombreuses règles exceptionnelles de notre belle langue schizophrène. Il en est qui ne sont connues que d’un nombre restreint de personnes, tant elles sont complexes (au hasard : accord en genre et en nombre du participe passé des verbes occasionnellement pronominaux).

Sur ce blog, plusieurs lecteurs m’ont appris des règles que j’ignorais, rappelé d’autres oubliées, nul n’est parfait. Il n’est pas rare non plus de lire des articles de journaux comportant des fautes parfois grossières. Et je ne parle pas des mots écrits par les parents de mes élèves dans le cahier de correspondance (parfois les mêmes qui pensent que le niveau actuel des élèves est accablant) !

Autrement dit, les fautes d’orthographe nous entourent, elles nous cernent, et elles ont un redoutable effet viral : la mémoire visuelle et la croyance naïve que l’écrit « officiel » est forcément correct, font que ces fautes d’orthographe sont validées par notre esprit qui sera ainsi plus enclin à les reproduire. On sera donc tous d’accord pour dire que certaines personnes, certains organes, par leur visibilité et leur respectabilité supposée, ont une lourde responsabilité vis-à-vis de la langue charriée.

Voilà précisément pourquoi les fautes venues d’en-haut sont si pitoyables et littéralement inacceptables. Diable !, on parle d’un communiqué émanant du cabinet du Président de la République ! Eh bien, que ce soit dit une fois pour toutes : le passé simple n’a pas survécu.

df

En juin, déjà, un discours farci de fautes

C’eût pu être un cas isolé : ça ne l’est pas.

Il y a quelques mois, lors d’un discours du Président Sarkozy au salon aéronautique du Bourget, la version papier de l’allocution était, elle aussi, largement déficiente. Le Petit Journal de Yann Barthes avait le premier sorti le document (vidéo visible ici sur lepost.fr), avec un sens de l’à-propos indéniable : le jour même, le Président, en déplacement pédagogique pour expliquer la réforme de l’école élémentaire, avait souligné comme il était important « que nos enfants sachent lire, écrire et maîtriser cette belle langue française »

La gravité des fautes est particulièrement frappante : « Pour ce partager les usines tout le monde est candidat », « se sont des dizaines d’emplois », « je le dit comme je le pense », « les guéguerres franco-françaises doivent cessées », ou encore "Je ne pense pas qu'il y ait un seul pays au monde qui dégage de telles marches de manœuvre". Homophones grammaticaux (ce / se), conjugaison du présent de l’indicatif, confusion infinitif / participe passé, confusion ch/g : un petit aperçu du programme de CE2.

Le plus drôle est que, si les fautes relevées par Le Petit Journal avaient rapidement disparu du document sur le site Internet de la Présidence, celles non révélées étaient restées intactes !...

df

L’Education Nationale pas en reste

Toujours solidaire de son Président, Luc Chatel avait, sans doute pour fêter sa fraîche nomination au ministère de l’Education Nationale, connu pareille « mésaventure ». Pour couronner le tout, le document fautif n'était ni plus ni moins que le dossier de presse de la rentrée scolaire 2009-2010, censé donner le coup d’envoi de l’année éducative…

Voici ce qu’avait alors révélé l’express.fr :

Confusion ce/se, participe passé, faute d’accord : Luc Chatel / Sarkozy, match nul.

df

Le piège du direct TV

Les ministres successifs de l’Education Nationale se sont également distingués à la télévision, bien aidés certes par des journalistes plus désireux de les piéger que de veiller à la correction de leur propre langue.

Ce fut d’abord Xavier Darcos (agrégé de Lettres Classiques rappelons-le) en avril 2008, déjà au Grand Journal. Le ministre s'était montré incapable dans un premier temps de conjuguer au passé antérieur (soyons magnanimes, acceptons l’excuse de la surprise…), et avait purement et simplement séché sur une règle de trois au tableau noir (le calcul est compliqué, mais c’est bien la méthode qui semble poser problème au ministre).

Plus grave encore, l’échec de Luc Chatel en juin dernier. Interrogé par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV, le ministre avait eu à résoudre un problème figurant dans les évaluations nationales de CM2 : "Dix objets identiques coûtent 22 euros, combien coûtent 15 de ces objets" ?

Contrairement à son prédécesseur, Chatel n’a même pas l’excuse d’un calcul difficile…

Le prochain ministre de l’Education Nationale est averti, il devra réviser avant d’aller communiquer à la télé !

df

Le parler Sarkozien

Depuis la campagne présidentielle de 2007, tout ou presque a été dit sur le parler Sarkozien et ses approximations, ses fautes de syntaxe, de grammaire, toutes censées définir un « parler vrai » destiné à toucher le français moyen, dans une manœuvre purement politicienne (on a vu depuis comme était « vrai » ce « parler »). On ne va pas en rajouter ici, on se contentera de renvoyer à cet article du Parisien datant de 2009 sur les « trouvailles du Président », ainsi qu’à ce florilège de l’émission « Arrêt sur Images ».

Peu nostalgique dans l'âme, je me demande quand même parfois où donc sont passées la langue riche et précise de De Gaulle, la syntaxe irréprochable de Mitterrand ? Faut-il que notre pays soit tombé si bas pour placer à sa tête un homme piétinant avec allégresse la langue et semblant détester à ce point les lettres ?

Un homme qui a choisi de décorer l’auteur de Harry Potter, J.K. Rowling, en faisant ce troublant aveu : « Avec vous, les élèves comprennent que la lecture n’est pas une punition, mais qu’elle est source de plaisir ». Un homme qui déclarait en 2006 : « L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle ! ».

Et dire que le secrétaire général de l'UMP présidentiel, Jean-François Coppé en personne, a osé déclarer dernièrement sa nostalgie de ces temps « où les instituteurs et leur école savaient répondre à leurs missions »...

df

... Il y a un an, le député de l’Eure François Loncle avait écrit au ministre Chatel concernant la façon dont le Président de la République s’exprime en français, demandant à ce que ce dernier fasse des efforts. On avait à l’époque relevé la très triste réponse du ministre de l’Education Nationale, à la fois condescendante, cuistre et insultante pour l’ensemble des français. Et on avait conclu sur ceci :

« Encore merci donc, M. Chatel, de nous aider, enseignants, dans notre grande tâche ; merci pour cette magnifique argutie, merci de nous expliquer qu’il est désormais valorisant de parler mal, de piétiner la langue, de faire des fautes à tout bout de champ, puisque le premier personnage de l’Etat est aussi le premier à le faire ; merci de bien faire entrer dans la tête de tous et particulièrement des élèves que la communication l’emporte sur le langage, le calcul sur la correction, le cynisme sur l’effort, l’inculture sur la culture ; merci enfin pour tous les efforts que nous, enseignants, aurons à déployer au quotidien pour réparer les dégâts causés par cette attitude irresponsable. »

df

Note : un commentaire de Phillis nous informe que le communiqué du candidat PS F. Hollande comportait aussi plusieurs fautes. Vérifié par JM Apathie au Grand Journal, ici : http://tianplus.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/11/24/hommage-a-danielle.html

Plus que quelques mois au candidat Hollande pour  s'occuper de recruter des collaborateurs compétents...

J'ai aussi trouvé ceci, concernant des fautes émanant du ministère de l'Identité Nationale d'Eric Besson. Ça date de 2009, et visiblement la correction de la langue française ne fait pas partie de l'identité nationale... http://www.lepost.fr/article/2009/11/12/1787323_le-francais-fait-il-partie-du-ministere-de-l-identite-nationale.html

df


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