Raïssa, ma réussite


Tableau de dernier jour...

Dernier jour d’école, mes élèves jouent tranquillement à des jeux de société dans la classe, et je les regarde. Assis à mon bureau j’observe ces enfants que j’ai accompagnés une année durant, en essayant de me souvenir de la première impression que j’ai eue d’eux en septembre.

Mon regard tombe sur Raïssa. Je souris. Je me rappelle très nettement m’être dit il ya dix mois : « Ah… Raïssa… L’année va être longue… ».

Raïssa fait partie de ces élèves que tous les instits d’une école connaissent très vite. Grosse personnalité, sacré caractère, ce je-ne-sais-quoi qui fait qu’on la remarque même quand elle ne fait rien et surtout, surtout, cette incroyable capacité à se braquer au moindre sentiment de frustration ou d’injustice, à se refermer alors comme une huître et à rester butée durant des heures, littéralement plantée. Pour couronner le tout, frondeuse voire insolente.

Le genre d’élève aussi à trimbaler une réputation malgré elle et à ne jamais parvenir à s’en dépêtrer.

Je me souviens d’un accrochage il y a deux ans alors que je lui demandais des explications sur une altercation avec une autre élève. Elle s’était comme souvent murée dans le silence, visage cadenassé à double tour, œil dur. Après avoir essayé la persuasion, l’amadouement, la négociation, la fermeté, bref, une fois mon carquois vide, j’avais été obligé de m’employer physiquement pour arracher la demoiselle au poteau auquel elle s'était accrochée avec une étonnante densité physique, pour la tracter ensuite chez le directeur.

Combien de fois cette situation (Raïssa, arrimée à un poteau contre vents et marée) s’est-elle reproduite avec un adulte de l’école ? Tant et si bien que ce premier jour de septembre j’ai fait le compte des points de prise qu’elle pourrait utiliser sur le chemin de la classe…

A cela, il fallait ajouter un niveau scolaire faible, une entrée délicate dans la lecture, de grandes difficultés en français, en maths, un redoublement déjà.

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L’année de Raïssa a alors défilé à toute vitesse : mon appréhension, ma méfiance des premiers jours, la sienne aussi, petit à petit notre apprivoisement mutuel, les longues heures passées à ses côtés à la guider, son travail, de plus en plus consistant, pertinent, ses manques et ses lacunes, ses démobilisations, mes coups de gueule, ses bouderies, ses jours noirs, mes jours gris, ses avancées saccadées, ses progrès, considérables, finalement cette plénitude dans nos rapports, cette complicité presque, elle qui sait que je suis là pour elle, moi qui sais qu’elle fait tous les efforts nécessaires…

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Et voilà ma Raïssa aujourd’hui, un an plus tard, seule à sa table alors que jouent les autres, ma Raïssa à l’œil triste et lointain. Je sais ce qu’elle ressent : elle a peur. Elle est triste de quitter ma classe et a « peur des maîtresses de l’année prochaine », comme elle me le confie elle-même un peu plus tard, le visage noyé de larmes. Je m’accroupis et je la rassure, la gorge un peu nouée moi aussi.

« Tu n’as pas à t’inquiéter, Raïssa. D’abord parce que tu es prête pour la classe supérieure. Tu as bien travaillé cette année, tu as fait d’énormes progrès, je suis très fier de toi. Il a fallu que je te secoue des fois, mais tu as tellement progressé… Et puis j’ai choisi de te mettre avec une maîtresse avec qui ça va bien se passer, une maîtresse qui comprendra ta personnalité, qui saura faire l’effort si toi tu fais l’effort. Je lui ai déjà parlé de toi. Je lui ai dit tout le bien que je pense de toi, que tu es une petite fille très volontaire, que tu aimes travailler, réussir, que tu veux comprendre. Je lui ai dit que tu avais des problèmes en lecture, en orthographe, qu’il fallait t’aider. Je lui ai dit aussi que tu avais un caractère de cochon mais une personnalité très attachante ; que tu avais besoin d’être en confiance, que tu te décourages parfois, qu’il y a des jours où tu n’arrives pas à t’y mettre, et alors, qu’il faut venir te chercher et te mettre des coups de pied aux fesses pour te mettre au travail, parce que tu ne demandes qu’à être une bonne élève. Alors je veux maintenant que tu partes en vacances l’esprit libéré, ma Raïssa, car tu n’as aucune raison de t’inquiéter. Et puis, je serai toujours là l’année prochaine, tu pourras venir me voir quand tu le voudras, me parler, me dire comment ça se passe pour toi… D’accord ? ».

Elle a souri, séché ses larmes, s’est levée et est allée rejoindre des copines autour d’un jeu.

Je n’ai pas tout réussi cette année, loin de là. Mais Raïssa, ce que nous avons réussi cette année elle et moi, j’en suis fier. Je fais ce métier pour ça, pour des enfants comme elle.

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En partant le soir, j’ai trouvé sur mon bureau un petit papier plié en 8. J’ai reconnu l’écriture de Raïssa, ses fautes, ses hésitations. C’était écrit ceci :

« Vendredi 1er juillet 2011

Bonjour monsieur Marbeuffe,

et Merci pour tout se que vous nous avai enséniez

mintenant je travail mieu qu’aven et

mes parent sont fières de moi. Merci beaucoup.

Un cou depié et je travaillerais mieu !

Bonne vacance. Raïssa ».

df

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