Fermetures de classes : Sarkozy tente de calmer le jeu


Après quatre années de mise à mal continue de l’Education Nationale (hier soir encore un éditorialiste déclarait sur iTélé : « l’éducation est le plus gros échec de Sarkozy depuis son élection »), le président Sarkozy et le ministre Chatel ont pris conscience de l’urgence de la situation. Pas de l’urgence professionnelle ou pédagogique, rassurez-vous, mais de l’urgence de reprendre la main en terme d’image donnée et de communication, une fois encore.

Première étape il y a quelques semaine avec cette ridicule campagne de recrutement lancée par le ministre (« Laura a trouvé le poste de ses rêves », mais qui pouvait croire une seconde au ministère que les gens allaient y croire ?) heureusement immédiatement démasquée par l’ensemble des médias. Un pschiiit de 1,3 millions d’euros. Bravo Luc.

Deuxième étape : Sarkozy, en déplacement hier à La Canourgue (Lozère), tente de calmer le jeu sur la question des fermetures de classe, déclarant : « A la rentrée 2012, nous ne procéderons, hors démographie, à aucune fermeture de classe à l'école primaire ».

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Les chiffres, toujours aussi têtus

1. On aura d’abord noté ce « hors démographie » sur lequel le président a bien appuyé. On sait ce que ça signifie : quand il y a moins d’élèves, on ferme des classes, quand il y en a plus, on n’en ouvre pas. Du coup on a forcément envie de consulter les chiffres des naissances de l’INSEE pour ces dernières années. En 2012 entreront au CP les enfants nés en 2006, soit 23 000 enfants de plus que l’année précédente (2005, faible année). En 2012 entreront en maternelle les enfants nés en 2009, soit 10 000 enfants de moins que l’année précédente. Impossible vu les chiffres de toucher à l’élémentaire en 2012, il y a donc fort à parier que c’est la maternelle qui connaîtra des fermetures de classes "pour cause de démographie" à la rentrée 2012.

2. Comme le note le SNUIPP, le gouvernement va être confronté à quelques petits problèmes d’arithmétique : « En effet, si le budget 2012 maintient le recrutement de seulement 3 000 postes au concours de professeurs des écoles alors que 11 000 départs à la retraite sont programmés au 1er juillet 2012, ce sont 8000 postes d’enseignants du primaire qui seront encore supprimés l’année prochaine. » Encore des remplaçants ? La situation est déjà critique. Des enseignants spécialisés pour les élèves en difficultés ? Y en a presque plus. Les formateurs ? La réforme dite de la masterisation a déjà fait le grand ménage. Qui, alors ?

3. Bien entendu tout ceci ne concerne que l’école primaire. Pour le reste rien n’a été annoncé hier, le président a confirmé la poursuite de la politique de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux : il y aura bien 16 000 postes supprimés à la rentrée 2012. Si ce n’est pas dans le primaire, ce sera forcément ailleurs, particulièrement dans le secondaire qui risque de le sentir passer.

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Les raisons de cette annonce

Il y a plusieurs niveaux de lecture de cette annonce. Sarkozy, manifestement, veut envoyer un signe fort. A qui ?

Evidemment pas aux enseignants, qu’il sait très en colère, contre lui et son ministre Chatel, et dont il sait aussi que majoritairement, ils ne voteront pas pour lui en 2012.

Bien plus probablement aux parents d’élèves, des millions d’électeurs eux aussi très en colère, dont on a pu mesurer ces dernières semaines le mécontentement sur ce sujet des fermetures de classe : communications, manifestations, occupations d’écoles, lettres et pétitions, leurs actions ont fait un certain bruit, particulièrement en province où la presse régionale s’en est souvent fait l’écho.

Mais ceux qui étaient visés au premier titre étaient certainement les élus, maires et sénateurs de l’UMP, que le président a cherché à rassurer. On sait que l’Association des Maires de France (AMF), entre autres associations d’élus, a publié un communiqué il y a peu sur ce sujet, demandant au président de cesser les fermetures de classe. On sait aussi qu’il n’y pas un jour sans que les élus de terrain ne fassent remonter directement leur inquiétude aux oreilles les plus averties, pas un jour sans que les couloirs de l’assemblée ne bruisse des doléances venues de tous les coins du pays.

Le 25 septembre prochain auront lieu les élections sénatoriales, qui remplaceront la moitié des sénateurs. Ce sont eux qui craignent le plus la grogne du bon peuple, cette année… Ils savent très bien que c’est ce genre de sujet, dont on les entretient tous les jours dans leur circonscription, qui peut leur coûter cher dans l’isoloir.

L’isoloir, Sarkozy y pense aussi : les promesses faites hier n’engagent que ceux qui y croient, les chiffres officiels des fermetures de classes seront donnés pour la rentrée 2012 après les élections présidentielles…

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L’exécutif entend donc, à défaut d’écouter

Contre toute attente, cette annonce de la Canourgue montre que le Président a entendu la grogne populaire, via les élus de l’UMP certes, mais tout de même. Il a fallu beaucoup d’agitation fertile et de mobilisation active des parents d’élèves, mais cela a donc porté ses fruits.

Accessoirement, tout ceci tend également à rendre justice au monde enseignant qui dénonce depuis des années la situation, sans être entendu. Les profs avaient donc raison, les parents s’en sont rendu compte, puis les élus, enfin la tête de l’état (qui le savait déjà). Le problème du corps enseignant est que l’actuelle présidence a réussi en quelques années à lui couper le sifflet, en le décrédibilisant par deux biais : d’abord en multipliant les déclarations assombrissant l’image des profs, les rabaissant à des privilégiés profiteurs, blasés et peu professionnels ; ensuite en renvoyant les syndicats à leurs combats et leur sémantique d’un autre âge. Conséquence : les enseignants, bien malgré eux, et les syndicats, un peu par leur faute,  ne sont plus audibles aujourd’hui dans ce pays. Bien joué la sarkozie. A nous de nous remettre en question, car des choses à dire il y en a, on est sur le terrain, on le sait et il faut les faire savoir.

En attendant, cette affaire des fermetures de classes montre la voie : les enseignants peuvent compter sur les parents, et s’ils affûtent leurs combats et leurs argumentaires, s’ils se mobilisent et s’unissent pour l’école, cela a encore du poids.

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